
D'où vient que les partisans de la pensée unique, qui foisonne surtout à gauche mais contamine aussi une grande partie de la droite, n'acceptent pas la contradiction et ne supportent pas qu'on puisse penser différemment d'eux ? Ne vous en étonnez pas. Certes, selon la tradition révolutionnaire, il n'est « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » ; mais c'est surtout la certitude d'avoir raison qui les conduit à l'intolérance. Qu'on l'appelle « pensée unique » ou « bien-pensance », la pensée conformiste est au pouvoir et se défend bec et ongles contre tout ce qui viendrait la contrarier.
Voyez comme on s'acharne, jusqu'au sommet de l'État, contre les médias qui osent transgresser les normes de la pensée unique ! Voyez comment on discrédite tous ceux qui s'en écartent, accusés de déviance ou de désinformation ! Il ne s'agit pas seulement d'étouffer la dissidence, de l'empêcher de s'exprimer ; on prétend défendre la vérité contre ceux qui la falsifient, on se donne bonne conscience en faisant passer pour un devoir moral ce qui s'apparente à une dictature de la pensée.
Pourquoi reproche-t-on à Vincent Bolloré ou Pierre-Édouard Stérin de soutenir la droite la plus réactionnaire, tandis qu'on fait preuve de la plus grande complaisance à l'égard d'un George Soros ? Pourquoi un professeur qui exprime dans ses cours des convictions de gauche n'aura jamais d'ennuis, ce qui ne sera pas le cas si, d'aventure, il est soupçonné d'avoir de la sympathie pour le Rassemblement national ou Reconquête ? Pourquoi peut-on étudier à loisir Annie Ernaux, alors que Brasillach, qui écrit autrement mieux, est mis à l'index ? Pourquoi vous regarde-t-on de travers si vous estimez que le projet de loi sur la fin de vie n'est pas nécessairement un progrès ou qu'il pourrait y avoir des alternatives à l'interruption volontaire de grossesse ?
Attaques contre la liberté d'expression
On pourrait multiplier les exemples, dans le domaine politique, social ou sociétal, tout comme dans la vie ordinaire de chacun. Le catéchisme de la bien-pensance fait loi, celui qui ne le respecte pas est donc considéré comme sacrilège et hors la loi. Quand Emmanuel Macron évoque une labellisation des médias, précisant que ce n’est pas à l’État, mais aux « professionnels » de dire « ceci est une information, ceci n’en est pas », quand on sait que l'initiative de créer un tel label vient de Reporters sans frontières, dont l'impartialité n'est pas la qualité première, on est en droit de s'inquiéter des attaques contre la liberté d'expression.
Accuser le pouvoir de céder à la tentation totalitaire, évoquer la perspective d'un « ministère de la Vérité » n'a rien d'excessif ni de complotiste. Sans doute ne vit-on pas encore sous un régime totalitaire comme dans 1984 d'Orwell, mais le totalitarisme est multiforme. Nous n'aurons pas l'insolence ni le mauvais goût de comparer Macron à un Staline ou un Hitler ; mais le dictateur moderne, pour embrigader les foules, n'a pas besoin de porter un uniforme, de débiter des slogans simplificateurs ni d'enfermer les dissidents dans des goulags ou des camps de rééducation. Il lui suffit de diffuser patiemment, au nom de la vérité, les préjugés et les clichés de la pensée unique.
Quand on a la tentation de contrôler tous les aspects de la vie sociale et individuelle, quand on méprise le peuple au point de rejeter son vote quand il ne vote pas bien, quand on cherche à façonner les comportements, fût-ce avec le sourire, quand on croit détenir la vérité au lieu de chercher à l'approcher dans la libre confrontation des idées, quand on est incapable de se remettre en question, qu'on est sectaire en se prétendant tolérant et qu'on limite les libertés en affirmant les défendre, on se comporte comme un dictateur en herbe. Rien n'est plus insidieux que le totalitarisme à visage humain.
Philippe Kerlouan