“UBER FILES”: le rapport d’enquête parlementaire confirme ...
"une relation opaque, mais privilégiée" entre la société « Uber » et Emmanuel Macron
La commission d’enquête parlementaire vient de publier ce mardi un rapport qui confirme les liens étroits entretenus entre Uber et Emmanuel Macron entre 2014 et 2017.
L’enquête dévoilée en juillet 2022 par de nombreux médias avait fait couler beaucoup d’encre. Reposant sur des milliers documents fuités auprès du Consortium international des journalistes d'investigation (ICJ), l’enquête révélait comment Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, a sciemment agi dans l’intérêt de Uber lors de son implantation en France.
Un “deal secret” en faveur du géant du VTC en France qui a fait l’objet d’une enquête d’une commission parlementaire présidée par le député Renaissance Benjamin Haddad - proche du Président de la République - et animée par la rapporteure Danielle Simonnet, membre de la France Insoumise (LFI). Ainsi, une divergence s’est dessinée dès l’introduction du rapport : “La rapporteure regrette que la commission d’enquête n’ait pu auditionner aucun des anciens membres du ministre de l’Économie de l’époque puisque le bureau de la commission d’enquête s’y est systématiquement opposé”, est-il précisé.
67 auditions, 120 personnes entendues
Au total, 67 auditions ont été menées et 120 personnes ont été entendues pour alimenter le dossier. Il est conclu que “Uber a trouvé des alliés au plus haut niveau de l’État” et que ‘l’intensité des contacts entre Uber, Emmanuel Macron et son cabinet témoigne d’une relation opaque, mais privilégiée, et révèle toute l’incapacité de notre système pour mesurer et prévenir l’influence des intérêts privés sur la décision publique".
Devant la commission, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, respectivement Premier ministre et ministre de l’Intérieur de l’époque, ont prétendu n’avoir jamais entendu parler de ce “deal”. Le rapport évoque également un SMS reçu par Emmanuel Macron de la part d’un représentant d’Uber pendant une perquisition des locaux de l’entreprise menée par la Répression des fraudes (DGCCRF). Un échange qui a échappé au système de “Kill Switch” qui aurait été mis en place grâce au logiciel “Casper” qui rend possible l’effacement des données des ordinateurs d’Uber en cas de descente de police.
Cet accord tacite aurait permis l’élaboration d’une stratégie visant à abaisser le nombre d’heures de formation obligatoires pour devenir chauffeur Uber de 250 à 7, en contrepartie de l’interdiction d’Uber Pop, un système de covoiturage qui permet à un simple particulier de devenir chauffeur VTC. La commission n’a été en revanche pas en mesure d’identifier clairement cette contrepartie.
Cependant, elle révèle tout de même qu’après cette affaire, Mark MacGann, alors lobbyiste pour le compte d’Uber, a versé de l’argent au parti d'Emmanuel Macron lors de sa candidature et participé à une levée de fonds pour le compte du parti En Marche. Marc MacGann se serait aussi chargé de mettre en relation le candidat avec des entrepreneurs de la Silicon Valley, dont Jim Messina, l’ex-directeur de campagne de Barack Obama. Des échanges de SMS confirment également qu’Emmanuel Macron aurait invité à dîner le directeur général d’Uber France Thibaud Simphal afin de lui proposer de financer sa campagne.
Les promesses d’Uber non tenues
La sociologue Sophie Bernard a aussi été entendue par la Commission et a défendu qu’Uber n’a fait que déplacer des travailleurs précaires vers un autre type d’emploi tout aussi précaire. Un modèle d’ubérisation aujourd’hui largement répandu qui ne contribue pas selon elle à faire baisser les chiffres du chômage. "Les promesses d’Uber en termes de création d’emplois n’ont pas été tenues", peut-on lire dans le rapport.
Si les études fiables sur le sujet ne font pas encore légion, la Commission a présenté plusieurs exemples de plateformes du même acabit: les services de livraison Deliveroo, Getir et Stuart (filiale de Geopost appartenant au groupe La Poste), la plateforme de travail étudiant StaffMe ou encore Mediflash, qui s’occupe de mettre en relation des aides-soignants avec des Ehpad.
La Commission a délivré une interprétation politique de ce débat en estimant dans son rapport que les lois et réglementations adoptées après 2017 se sont attelées à renforcer les droits des chauffeurs Uber afin d’éviter de les requalifier en tant qu’employés. Uber est aussi accusé de la même stratégie pour conserver le statut d’indépendant de ses chauffeurs.
34 échanges avec les services d’Emmanuel Macron après 2018
Uber continuerait donc d’avoir une influence sur les décisions d’Etat. Le rapport détaille par exemple que 34 échanges ont eu lieu entre les services du président de la République entre 2018 et 2022 ainsi que 83 autres avec le ministère des Transports durant la même période.
Un autre potentiel conflit d’intérêts est aussi pointé du doigt: chargé d’animer un comité d’orientation pour viser une évolution du dialogue social entre Uber et ses chauffeurs, le cabinet de conseil américain AT Kearney a proposé qu’il soit présidé par l’ancien DRH d’Orange Bruno Mettling.
Ce dernier a été choisi en décembre 2021 par Élisabeth Borne, alors ministre du Travail, pour prendre la direction d’un groupe de travail pour plancher sur l’évolution du cadre réglementaire des plateformes en France. En avril 2022, rebelote: la direction de l’Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi (ARPE), créée en avril 2022, est à nouveau confiée à Bruno Mettling. "Je ne suis pas ici pour défendre la société Uber compte tenu de la neutralité que m’impose ma fonction de président de l’ARPE", a-t-il justifié devant la Commission, n’y voyant aucun conflit d’intérêts.
Danielle Simonnet accusée de politiser l'affaire
Les conclusions du rapport ont été sévèrement critiquées par le président de la commission d'enquête, Benjamin Haddad (Renaissance), qui a reproché à Danielle Simonnet de politiser l'affaire.
"Il n'y a eu ni compromission, ni deal secret, ni conflit d'intérêts, ni contreparties, contrairement à ce que tente de démontrer vainement notre rapporteure", a-t-il écrit dans son avant-propos, témoignant des fortes dissensions entre les membres de la commission d'enquête.
Pierre Berthoux
Date de dernière mise à jour : 19/07/2023
Ajouter un commentaire