JACQUES CHIRAC : LE BILAN
L’ancien président Jacques Chirac est mort. Quarante années de carrière politique avec une ascension impressionnante au pouvoir. Incontestablement, il marquera longtemps les esprits et l’histoire de la République tant par sa présence médiatique que par sa longévité en tant que chef d’État, 12 années de présidence à peine dépassées par le mandat de François Mitterrand qui représenta 14 années à l’Élysée.
Si c’est le moment du souvenir et des hommages que la France rend à ses plus hautes dignités, c’est aussi l’instant des inventaires politiques et des bilans économiques et sociaux.
Oui, Jacques Chirac est mort et ainsi se tourne une page de la Vème République. Au moment même où ses héritiers (les Républicains) sont considérablement affaiblis par les divisions et les combats internes, la légende du RPR restera toujours dans la mémoire des Français, comme un parti de renouveau au moment de sa création en décembre 1976. Issu directement du gaullisme, ce mouvement voulait « soutenir une politique fondée sur le respect intransigeant de la souveraineté du peuple et de l’indépendance nationale, de la liberté, de la responsabilité et de la dignité de l’homme » selon même la définition de ses statuts. Au tout début, le RPR connut un grand succès parmi l’électorat français. Au fil du temps, l’image du parti connut des hauts et des bas, ce qui n’empêcha pas Jacques Chirac d’être élu président de la République en 1995 devant Lionel Jospin affaibli par la longue présidence du président Mitterrand. En 2002, Chirac est très largement réélu face à Jean-Marie Le Pen qui ne recueille que 17,80 % des voix.
Alors, quel bilan laissera le président Chirac après deux mandats consécutifs ?
Lors de la campagne présidentielle de 1995, le candidat Chirac avait édité un projet de réformes qui était très séduisant. À partir de ce programme alléchant, les électeurs voyaient en lui, le véritable changement démocratique et social après la déception qui était attachée la présidence Mitterrand. C’est ainsi qu’une majorité de Français lui apporta toute sa confiance et et donc son soutien inéluctable.
Aujourd’hui, l’inventaire des réformes chiraquiennes reste très mitigé. Sa présidence fut marquée par de grandes grèves contre les réformes Juppé sur les retraites (qu’il réformera finalement en 2003 avec la loi Fillon). Lors de son second mandat, Chirac du affronter en 2005 les grandes émeutes de banlieues, alors que le chômage atteignait en 1997 le triste record de 12,20 %.
Pour apporter un point de vue précis sur la personnalité de Jacques Chirac, je citerai ci-dessous un article du journaliste Éric Le Boucher, directeur de la rédaction du magazine Enjeux-Les Échos et cofondateur du magazine en ligne Slate.fr.
Article paru sur Slate.fr le 27 septembre 2019 (Éric Le Boucher)
« Jacques Chirac, le premier des mauvais présidents.
En France comme en Europe, il fut un chef de l'État immobile.
Il n'est pas d'usage de critiquer un mort, quel qu'il fut. Paix à son âme, donc. Que ses proches dans la douleur pardonnent les lignes qui vont suivre.
Jacques Chirac reçoit un tel hommage, une telle brassée de «mec sympa», des tresses pour son «indépendance», des bouquets de «dernier vrai président» (c'est Florian Philippot, alors vice-président du FN, qui lançait ce compliment en septembre 2016, c'est dire), de louanges de grand président face à George W. Bush en refusant que la France participe à la guerre d'Irak, etc., etc., que non. Non, désolé. Jacques Chirac ne fut pas un grand président, ni même un bon président.
Jacques Chirac fut le premier de ces hommes politiques s'enfermant dans l'impuissance, dans l'incapacité de faire ces réformes dont la France avait tant besoin. Et, ce qui est à mes yeux pire encore, il fut le premier des présidents français pas vraiment eurosceptique, mais à coup sûr euro-immobile. Jacques Chirac, en somme, a fait beaucoup de mal à la France. Jacques Chirac a fait beaucoup de mal à l'Europe.
Son refus des réformes tient à son ADN de profond radical-socialiste corrézien. Son parcours intellectuel de boule de flipper le montre. Des débuts communisants, un repli gaulliste, pompidoliste plutôt, des velléités thatchériennes en 1986, puis des tentations socialo (la fracture sociale en 1995) et, au bout du bout, une fois assis sur le pouvoir, l'immobilisme comme doctrine.
Indétermination européenne
Il le montre aussi dans ses expériences malheureuses. En 1974, il est Premier ministre lors de la grande grève de La Poste. Valéry Giscard d'Estaing, le président nouvellement élu, voulait transformer l'institution en «office», les postièr(es) craignaient de perdre leur statut d'assimilé fonctionnaire. Ce fut le feu. Neuf jours de grève, nous sommes encore dans l'effervescence de Mai 68, les extrêmes gauches sont puissantes et «tout passe par la lutte».
Le ministre des PTT doit démissionner, Jacques Chirac cède et accorde de fortes augmentations de salaire.
Premier ministre, en 1986, devenu thatchérien, il privatise et baisse les impôts. Il faudra couvrir les déficits budgétaires. Président, il abandonne la politique économique dite de la « désinflation compétitive », et place la France dans le déficit commercial.
Sa longue carrière politique tout entière est celle d'une quête du pouvoir pour le pouvoir. «On gagne, et on voit après», avouait-il. Malgré deux échecs à la présidentielle (1981, 1988), il réussit à se maintenir à la tête de son parti. Trahisons, coup bas, limogeages des concurrents, on ne lui reproche pas cela, c'est la vie politique. Mais il installe en France le système du jamais définitivement battu. Quand souvent, ailleurs, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, l'échec signifie la fin de la vie politique, ce n'est plus le cas chez nous depuis Jacques Chirac.
D'où cette monopolisation de la classe politique, son côté perdurant et monocolore, cette absence de sang neuf. D'où, pardon de paraître tracer un portrait au canon, mais d'où cette baisse de qualité du personnel politique français. Nous en souffrons aujourd'hui.
Le plus grave, c'est son indétermination européenne.
Son prédécesseur, Valéry Giscard d'Estaing s'est inscrit dans la ligne des pros, des agissants, pour construire la Communauté. Il fait encore des propositions aujourd'hui. Jacques Chirac, c'est le contraire. On a dit qu'il était le premier président à n'avoir pas fait la Seconde Guerre mondiale, ceci expliquant cela. Possible.
Le fait est qu'il a longtemps hésité avant le vote en faveur de Maastricht. L'avancée européenne, la fameuse bicyclette qui doit avancer, s'arrête avec lui. Il signera le traité de Nice, avec son Premier ministre Lionel Jospin, il est vrai. Ce traité restera comme celui qui installera l'indécision, la reprise du pouvoir par les chef·(fes) de gouvernement et d'État, c'est-à-dire comme la mort de la Commission et de l'Europe progressive à la Monnet. Il n'était pas seul, Gerhard Schröder, alors chancelier outre-Rhin, sera son compagnon d'assassinat.
Voilà. Après, on peut, dans plein de domaines, souligner que Jacques Chirac a bien fait, qu'il était un président sympa, et tout et tout. Mais gravement, il a nui à la France et à l'Europe. Il faut le dire. Et ajouter, encore une fois, paix à son âme. »
Pierre Reynaud
Date de dernière mise à jour : 29/07/2020
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