Pierre-Yves Rougeyron : « L’UE est devenue un Ehpad stratégique »

EUROPE - DIPLOMATIE

ENTRETIEN. Dans un entretien au Monde vendredi dernier, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’est plaint de la montée des « populismes diplomatiques », notamment chinois et russe. Des concurrents qui n’auraient « plus aucun tabou ». Nous avons demandé un commentaire au président du Cercle Aristote, Pierre-Yves Rougeyron.

JEAN YVES LE DRIAN

Front Populaire : Notre ministre des affaires étrangères pointe du doigt les « populismes diplomatiques ». Que faut-il comprendre ?

Pierre-Yves Rougeyron : On peut en déduire que monsieur le Drian a depuis longtemps dépassé son seuil d’incompétence pour entrer dans sa zone de nuisance. Dans la bouche des communicants du Quai d’Orsay, populisme est synonyme de démagogie. En réalité, il faut rappeler une règle d’analyse des relations internationales : une diplomatie ne doit être évaluée que sur ses résultats et à cette aune pragmatique, les qualificatifs idéologiques moralisateurs n’ont pas grand intérêt. Bien sûr, si on admet dans ce cadre que les diplomates français doivent servir les intérêts de la France - ce que leur comportement ne traduit pas toujours - alors le bilan est modeste, voire inexistant face à la Chine et la Russie. Si on prenait M. Le Drian et ses services au sérieux, ce qui implique un effort d’imagination, on pourrait dire que le « populisme diplomatique » implique de faire une diplomatie nationale avec son peuple derrière soi. En effet, M. Le Drian en est loin.

Front Populaire : Alors même que le dossier Assange nous rappelle la mise sur écoute des dirigeants français par la NSA et que le dernier le coup de Trafalgar du « Contrat du siècle » implique directement les États-Unis, Le Drian ne voit de menaces que du côté russe et chinois. Comment analysez-vous cette ligne diplomatique ?

Pierre-Yves Rougeyron : Il s’agit très simplement de la traduction concrète de la vassalité de la France incarnée par son appartenance à l’UE et l’OTAN, en plus de la servilité personnelle d’un homme et d’une caste qui allient méconnaissance du fond des affaires diplomatiques a une indicible lâcheté.

Front Populaire : « Il faut agir maintenant, sinon l’histoire ne nous attendra pas. L’enjeu pour l’Europe est d’accélérer pour avoir la capacité d’être une puissance affirmée », déclare Jean-Yves le Drian. Le serpent de mer de la défense européenne est toujours à l’ordre du jour ?

Pierre-Yves Rougeyron : C’est un habituel numéro de Ouija diplomatique. Esprit de l’Europe de la défense, es-tu là ? Alors que plusieurs États européens vont s’armer aux États-Unis, la France est encore prête à se saigner pour cette idée idiote dans laquelle elle est la seule à croire. Cette idée est politiquement inepte, mais surtout irréaliste stratégiquement pour des raisons simples. Il y a 5 zones géopolitiques en Europe (Atlantique, méditerranéenne, danubienne, nordique et est) avec leurs extensions (liens avec l’Amérique, l’Amérique latine, l’Afrique, les Balkans, l’Asie mineure, le Grand nord, l’Eurasie). Vous allez me dire : quel intérêt un letton porte-t-il aux intérêts espagnols en Amérique latine ? Aucun, évidemment. Nous n’avons quasiment aucun intérêt commun et ce pour des raisons historiques, à savoir que dans la réalité de nos cultures, nous sommes souvent peu liés et même parfois adversaires. Qu’on l’accepte ou non, Orban soutient la Turquie au nom du touranisme (ndlr : idéologie politique hongroise promouvant une union des peuples de langues altaïques et finno-ougriennes) face à la Grèce par exemple. Enfin, pour des raisons anthropologiques, il y a une volonté de sortir de l’histoire chez beaucoup de peuples européens, volonté marquée par l’absence de pensée de défense. La diplomatie française a sur la conscience de saigner le corps sein de notre patrie pour une chimère.

Front Populaire : Le Drian tacle le Royaume-Uni post-Brexit dans son entretien, considérant que la stratégie « Global Britain » semble concerner le monde entier, sauf l’Europe. En somme, le Royaume-Uni est accusé de se tourner vers l’Asie davantage que vers l’Europe. Comprenez-vous cette critique ?

Pierre-Yves Rougeyron : C’est terrible, en effet, de se tourner vers le monde de demain et de ne pas voir les formidables promesses européennes… Bientôt l’Albanie sera dans l'UE avec son cortège de merveilles. M. Le Drian, dont la loyauté est peut-être plus proche de Berlin et Bruxelles que de Paris, fait par ailleurs montre de mesquinerie. Les Britanniques ne demandent pas mieux que des liens avec la France. Ce sont les amis de M. Le Drian, Barnier et consort qui ont affaibli les intérêts français lors du Brexit par leur germano-servilité. Au lieu d’en vouloir aux Britanniques, nous devrions réfléchir au fait que l’UE est devenue un Ehpad stratégique et un asile (de fous) diplomatique. On ne réforme pas une prison qui s’effondre, on s’en évade. 

Pierre-Yves Rougeyron - Politologue

 

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