PLONGÉE AU CŒUR de la prison la plus surpeuplée de France
Au 1er juillet 2022, le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan était la prison la plus surpeuplée de France. Un rapport cinglant de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a dénoncé des «conditions inhumaines de détention».
«C'est accablant ce que vous allez voir.» D'emblée, le député de Gironde, Alain David, plante le décor. C'est la deuxième fois qu'il fait usage, comme tout parlementaire le peut, de son droit de contrôle d'un lieu de privation de liberté au sein de la maison d'arrêt de Bordeaux-Gradignan, mise en service en 1967. C'est l'établissement pénitentiaire le plus surpeuplé de France, avec, au 1er juillet, 742 détenus pour 350 places, soit une densité de 212%.
Il est reçu par le directeur, Dominique Bruneau, en poste depuis septembre 2021. De taille moyenne, en pantalon et chemise bleus, c'est un peu monsieur Tout-le-monde. «On se voit deux minutes?», demande-t-il au député, faisant allusion à un entretien auquel les journalistes ne sont pas conviés.
Recommandations d'urgence
Le 30 juin dernier, après une visite de quelques jours entre fin mai et début juin, Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) depuis 2020, publiait des recommandations d'urgence, après avoir fait état de «conditions de détention inhumaines au quartier des hommes».
Elle estimait que «l'intégrité physique des détenus [n'était] pas assurée» et qu'il y avait de «graves carences [qui] affectent l'accès aux soins». Un état des lieux sans appel dans lequel elle notait «un nombre important de dysfonctionnements». Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, lui avait répondu par une longue lettre, quelques jours plus tard.
Au sortir de son entretien privé avec le député, le directeur insiste pour que la visite débute par le quartier des femmes, un bâtiment qui jouxte celui des hommes. Un syndicaliste de Force ouvrière, rencontré après la visite, nous informera que ce détour aurait permis de faire «un brin de ménage» chez les hommes avant le passage de l'élu.
La cour de promenade du quartier des femmes est particulièrement verdoyante et tranche avec celle des hommes, toute goudronnée. Des détenues s'y trouvent regroupées sous l'ombre d'un pin. «Regardez, nous avons un potager», me fait remarquer l'une d'elles. «Les femmes sont très exceptionnellement incarcérées et quand elles le sont, c'est généralement pour des faits très graves», tient spontanément à préciser le directeur.
Le député s'impatiente. Il veut voir le quartier des hommes, cible principale des recommandations d'urgence de Dominique Simonnot, mais le cadre de l'administration pénitentiaire semble vouloir encore retarder la visite et nous montre la fouille –là où sont entreposés les objets personnels des détenus interdits en détention. Une trottinette y dépasse même d'une étagère. «Les détenus nous sont remis comme ils ont été arrêtés, on a déjà eu un homme habillé pour la chasse, une fois.»
Évier bouché, sanitaires rouillés...
Dans cette prison de Bordeaux, six prisonniers sur dix sont des prévenus, et n'ont donc pas encore été jugés. La France est l'un des pays européens à avoir le plus recours à la détention provisoire.
Nous passons par le quartier disciplinaire (QD), au 4e étage du quartier des hommes. C'est là que sont placés les détenus sanctionnés en cas de faute disciplinaire. Trois cellules du mitard (l'autre nom du QD), sur les huit disponibles, sont occupées lors de notre passage. «Toute infraction fait l'objet d'un CRI [un compte rendu d'incident, ndlr]», déclare Dominique Bruneau. De fait, une personne peut rester jusqu'à trente jours au quartier disciplinaire. Une éternité en prison.
Lorsque le parlementaire entre dans la cellule, le silence s'installe, des regards s'échangent avec son collaborateur. «C'est du disciplinaire, on n'est pas dans une chambre d'étudiant», justifie le directeur de l'établissement. L'évier est bouché, les toilettes et le lit rouillés. Le sol est particulièrement abîmé et une odeur d'urine se fait sentir au niveau du «coin sanitaire».
De retour dans l'espace de détention normale, Alain David tient à observer une cellule surpeuplée. «La semaine dernière on était à soixante-dix matelas», nous informe la cheffe de service pénitentiaire, le plus haut grade opérationnel en détention. Une diminution de moitié par rapport à la visite de contrôle faite par la CGLPL.
«Je n'ai pas attendu le rapport de la contrôleuse pour lutter contre la surpopulation», réplique le directeur, qui se plaint du manque de contradictoire dans le rapport de l'instance indépendante, bien que le garde des Sceaux y ait répondu, point par point. D'ailleurs, selon lui, «la réponse du ministre était parfaite».
«Les magistrats de l'institut de défense pénale» ont été invités, ainsi que des avocats, «pour les inciter à plaider les alternatives à l'incarcération», complète le directeur de la prison. Il annonce qu'une convention de Bordeaux est en cours d'élaboration avec les présidents des tribunaux de la ville et de Libourne. L'idée est de fixer «un taux de population carcérale à ne pas dépasser».
«Indigne de la France en 2022»
Au moment du passage de l'élu, aucune tension ne se fait ressentir, malgré des conditions de détention difficiles. Jules*, un prisonnier d'une cellule triplée, se plaint des nuisibles. «Je dormais par terre, il y avait des cafards, j'en pouvais plus. Il n'y a rien pour les insectes.» Et son codétenu, Farid*, de poursuivre: «Rien n'est fait pour la réinsertion et quand on écrit, ils mettent vingt ans à nous répondre.»
Les murs de la pièce sont jaunis, les vitres noircies, les espaces communs vétustes –s'y trouvent un lavabo et des toilettes particulièrement dégradés par le temps. Le tout est accompagné d'une odeur de renfermé.
Dans une autre cellule surpeuplée, où un nuage de fumée de cigarette s'abat sur le plafond, c'est un détenu unijambiste qui dort au sol. La journée, le matelas reste par terre, ce qui complique la circulation des trois détenus.
Lors d'un détour par les douches collectives, nous remarquons du calcaire en quantité et de la rouille sur les murs, le plafond et les parois. Au moment de quitter la prison et de prendre congé du directeur, le député tient à lui rappeler que la prison «est un problème qui touche l'humanité et la dignité». «Sur le plan sanitaire, c'est désastreux. C'est indigne de la France en 2022.»
L'élu nous fera ensuite la confidence que lors de son entretien de pré-visite avec Dominique Bruneau, ce dernier aurait déclaré qu'il «pratiquerait la langue de bois [devant les trois journalistes, ndlr]». Comme une évidence.
Cory Le Guen
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