Benoit XVI, le pape émérite, s’est éteint à l'âge de 95 ans, ce samedi matin 31 décembre à 9 h 34.

Le prédécesseur du pape François aura marqué son passage au Vatican d'une empreinte très personnelle, mais parfois contestée.

Le pape Benoît XVI s'est éteint, ce 31 décembre, à, 9 h 34 au monastère Mater Ecclesiae, dans l’enceinte de la cité du Vatican où il s’était retiré après sa renonciation à la charge pontificale, le 11 février 2013.

Un pontificat court - huit ans – mais une personnalité et un règne qui ont profondément marqué l’Église catholique.

BENOÎT XVI

Joseph Aloisius Ratzinger est né le 16 avril 1927 à Marktl am Inn, en Allemagne. Dernier d’une fratrie de trois enfants, ses parents l’élèvent dans une foi catholique fervente, ce qui explique son hostilité au nazisme : n’a-t-il pas vu, dans sa jeunesse, les nazis frapper le curé de sa paroisse ?

Ses parents lui inculquent également l’amour et la pratique de la musique, qui l’ont accompagné toute sa vie. Lorsqu’il était à Castel Gandolfo, il n’était pas rare d’entendre le pape jouer du Mozart, dont il disait en 2005 : « Il m'émeut toujours aussi intensément, parce que sa musique est si lumineuse et en même temps si profonde. Ce n'est jamais un simple divertissement. Tout le tragique de l'humanité y est contenu. »

Il est obligé, comme son frère Georg, d’adhérer aux jeunesses hitlériennes à 14 ans. Il effectue son service militaire dans la Wehrmacht, puis il déserte mais est interné dans un camp de prisonniers de guerre en 1945. Il est ordonné prêtre, avec son frère Georg, le 29 juin 1951.

Durant ses années de séminaire, il a beaucoup fréquenté la littérature française : Claudel, Bernanos, Mauriac, Henri de Lubac, mais il lit aussi Nietzche, Heidegger, Bergson et surtout saint Augustin, pour lequel il a une grande prédilection. D’une solide envergure intellectuelle, il poursuit ses études après son ordination et devient docteur en théologie. Il enseigne à l’université de Bonn puis de Munster, Tübingen et enfin Ratisbonne, dont il sera vice-président.

Lors du concile Vatican II, il est le conseiller théologique (peritus) du cardinal Joseph Frings. Il est sur une ligne plutôt moderniste, souhaite l’aggiornamento de l’Église et une réforme liturgique, à l’opposé de la minorité conservatrice menée par le cardinal Ottaviani et dont fit partie Monseigneur Marcel Lefebvre.

Très vite, pourtant, Ratzinger voit les dérives post-concile, qu’il attribue non pas au concile lui-même mais à une mauvaise interprétation de celui-ci, notamment pendant ses cinq années comme archevêque de Munich. Il gardera cette grille de lecture du concile toute sa vie en lui appliquant une herméneutique de la continuité, à rebours de la rupture. On pourrait même parler de révolution dans l’Église, qui a suivi Vatican II. Une analyse qui éclaire certains actes de son pontificat mais qui n’est certes pas celle du pape François. Un prêtre aux origines intellectuelles classiques mais à la théologie moderne, qui pourtant, au regard des dérives de l’Église et à mesure que ses yeux se décillent, se posera peu-à-peu comme un rempart contre celles-ci.

Mgr Ratzinger explique la devise épiscopale qu’il choisit alors, « Coopérateur de la vérité » : « Il me semblait, d’une part, que cela soulignait le lien entre mon travail de professeur et ma nouvelle mission. Si les activités étaient différentes, il n’en demeurait pas moins que ce qui était en jeu, c’était toujours suivre la vérité et être à son service. D’autre part, j’ai choisi cette devise parce que, dans le monde qui est le nôtre aujourd’hui, on oublie presque complètement le thème de la vérité, tant cela paraît trop élevé pour l’homme, et pourtant, si la vérité vient à manquer, tout s’écroule » (in Le Sel de la terre, Flammarion, 2005, entretien avec Peter Seewald).

Le cardinal Ratzinger devient, en 1981, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, l’ex-Saint-Office ; il le restera pendant 23 ans. Il condamna de nombreux théologiens de la Libération comme Leonardo Boff, trop proche du marxisme… envers qui le pape François a multiplié les gestes d’amitié et autres preuves de reconnaissance.

Membre de diverses congrégations et conseils pontificaux, proche et fidèle du pape Jean-Paul II, le cardinal Ratzinger est alors un personnage incontournable de la Curie romaine. Le catéchisme de l’Église catholique publié en 1992, dont il a dirigé la rédaction, lui doit beaucoup. Il a toujours soutenu et secondé Jean-Paul II dans ses prises de position en matière morale, qui ne font en réalité que suivre l’enseignement de l’Église.

Joseph Ratzinger est élu pape le 19 avril 2005. Lors de la messe d’entrée en conclave, il s’était exprimé sur la modernité et l’immense défi qu’elle constitue pour l’Église : « L'on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Nous possédons, en revanche, une autre mesure : le Fils de Dieu, l'homme véritable. C'est lui la mesure du véritable humanisme. Une foi "adulte" ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés ; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l'amitié avec le Christ. »

Des propos plus que jamais d’actualité…

On ne peut résumer en quelques lignes un pontificat certes court mais intense et fécond. Pour mieux connaître Benoît XVI, on ne saurait trop conseiller la lecture des deux tomes de la biographie signée Peter Seewald, publiée en français aux Éditions Chora.

On retiendra cependant du pontificat de Benoît XVI une prise en main énergique et tous azimuts du problème de la pédophilie dans l’Église : alors qu’il était encore préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il avait maintes fois alerté sur le cas de Marcial Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ, en vain. L’une des premières décisions de son pontificat fut de lui intimer une vie de prière et de pénitence à l’écart du monde.

Il s’attaque au problème sur tous les continents, aux États-Unis, en Australie, en Europe (Irlande, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Autriche). Le pape François n’a fait que poursuivre cette œuvre purificatrice.

Autre fait marquant de son pontificat, le discours qu’il prononça à Ratisbonne, le 12 septembre 2006, où il entend démonter l’assertion communément admise, que la foi est irrationnelle, que la foi et la raison - et donc la science - sont incompatibles, la foi chrétienne étant ravalée au rang de croyance. Il bat en brèche un élément fondamental de la modernité qui dénie à la foi toute la noblesse du raisonnement. Et il tranche, lumineux : « Une raison qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures. » C’est ainsi qu’il condamne tout usage de la violence - par essence irrationnelle - au service de la religion. Ce discours de haute teneur intellectuelle a provoqué un tollé dans tout le monde musulman, mais Benoît XVI tint bon.

Ce pape dont on regrettait l’absence de charisme instaura, lors des JMJ, la pratique de l’adoration eucharistique : on se souvient du silence impressionnant du million de jeunes recueillis, avec le Pape, devant l’ostensoir renfermant la présence réelle. Ce pape discret a su
par sa profondeur, par la prière, conquérir le cœur d’une jeunesse pourtant sur-sollicitée à
l’ère du tout-communication. Je l’ai pour ma part souvent constaté lors des angelus dominicaux à Rome.

Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses actions pacificatrices, par le motu proprio Summorum pontificum du 7 juillet 2007, il reconnut que la messe de rite tridentin, dit « extraordinaire », a toujours droit de cité dans l’Église et que sa célébration ne doit en aucun cas être retreinte ou empêchée. Une œuvre de justice, un souci visible de la liturgie, une volonté de restaurer le sens du sacré presque aboli par les suites du concile : ce motu proprio a beaucoup apaisé la vie de l’Église. En 2021, le pape François n’a pas hésité à désavouer son prédécesseur encore vivant par un autre motu proprio, Traditionis custodes, établissant que la messe post-conciliaire était la seule autorisée dans l’Église, rallumant ainsi inutilement des incendies éteints depuis longtemps.

Le 11 février 2013, Benoît XVI annonce en latin sa décision de renonciation au trône de Pierre, ouvrant une période inédite de l’histoire de l’Église : l’ouverture d’un conclave en présence d’un pape encore vivant. Lors de sa dernière messe publique, le mercredi des Cendres de cette année 2013 à Saint-Pierre de Rome, beaucoup de prélats qui l’assistaient étaient étreints d’émotion : la douceur et l’humilité du pape théologien étaient déjà regrettées.

Par sa renonciation, un acte proprement révolutionnaire, le pape Benoît XVI a ouvert une séquence de conjectures et d’hypothèses sur la nature du ministère pétrinien, mais aussi sur les raisons réelles de cet acte.

Retiré dans un monastère au Vatican, le pape Benoit en est rarement sorti. Il poursuivait néanmoins une vie intellectuelle active, recevant des visites, étudiant, priant. Il s’est néanmoins affranchi de sa réserve en mars 2018 et avait opposé un vigoureux rectificatif à la
grossière – au propre et au figuré – opération de communication de Mgr Dario Vigano, Ministre de la communication du Pape François, qui se targuait du soutien du pape Benoit dans la publication d’une série d’écrits théologiques en illustration à la pensée du pape François …soutien que Benoit XVI avait justement refusé. Parmi ces écrits, ceux de Hünermann, disciple de Hans Küng, opposant historique des papes Jean-Paul II et Benoit XVI.

De façon toute aussi marquante, avec sa précision coutumière, il était intervenu dans le débat sur le célibat sacerdotal : il soutint explicitement la publication du livre du cardinal Sarah sur ce sujet en janvier 2020, Des profondeurs de nos cœurs, jugeant sans doute qu’il ne pouvait se dérober à son devoir de réaffirmer la doctrine de l’Église sur le sujet. Un pape théologien, préoccupé du service et de la contemplation de Dieu et du bien des âmes bien plus que des affaires de ce monde, Benoit XVI lors de son pontificat agit bien souvent à contre-courant, pour le temps long. C’est là qu’est la force et la mission de l’Église.

Marie d'Armagnac

Date de dernière mise à jour : 31/12/2022

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