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SCANDALE : Une professeure de danse de Sciences-Po a-t-elle été virée pour avoir employé les mots «homme» et «femme» ?

«Une professeure de danse refuse de faire danser des duos de même sexe, l’école la congédie», «Une enseignante contrainte de quitter son poste pour avoir osé dire «homme» et «femme» pendant son cours», a titré la presse d’extrême droite cette semaine. Ces contenus font suite aux informations du Parisien, qui écrivait mercredi 7 décembre que «l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, alias Sciences-Po, fabrique à élites de la rue Saint-Guillaume, vient en effet de congédier sa professeure de danse de salon», et ce pour «discrimination».

PROFESSEURE SCIENCES PO

Le quotidien fait état de «plaintes d’étudiants dénonçant des propos sexistes, dégradants, discriminatoires, racistes» de Valérie P. Lesquelles ont poussé Sciences-Po à contacter l’enseignante, «lui demandant de changer sa sémantique et de switcher les termes «homme-femme» pour «leader-follower», sans distinction de sexe». Face au refus de l’intéressée, décision aurait été prise de mettre fin à ses cours.

Au lendemain de cet article, l’IEP a mis en ligne un communiqué pour dénoncer «fermement les mensonges et l’instrumentalisation politique générée par la démission d’une professeure de danse». «Plusieurs étudiants inscrits à un cours de danse, composé de 20 élèves, se sont plaints auprès de l’administration de Sciences-Po de propos sexistes, discriminatoires, dégradants et minimisant les violences sexistes et sexuelles, tenus de façon répétée par l’enseignante», ce qui a motivé l’école à lui faire «part de la nécessité de cesser ses propos à caractère discriminatoire», rapporte le texte. «Dans ce contexte et contrairement aux allégations de la presse, l’enseignante a indiqué à l’administration qu’elle ne souhaitait pas poursuivre ses activités au sein de notre institution.»

Contrairement à ce qui a été écrit, «le sujet n’est pas la question de dire ou pas «homme et femme» à Sciences-Po», renchérit une source à l’IEP de Paris, proche de la direction, jointe par CheckNews. «Un ou deux étudiants ont écrit à l’administration. Par ailleurs, l’association sportive de Sciences-Po a centralisé les témoignages de plusieurs étudiants, puis fait remonter une revendication collective. Je ne connais pas le nombre exact d’étudiants concernés, mais sur un groupe de 20 élèves, quand bien même il y en aurait 4-5-6, ça fait tout de suite une part importante.»

Selon l’exposé des étudiants, «cette prof a tenu des propos dégradants, irrespectueux, discriminatoires». «Ces propos n’étaient pas acceptables au regard de la charte de déontologie de Sciences-Po», ajoute notre source. D’où la réaction de l’administration, qui «a échangé avec la prof en lui demandant, en l’occurrence, de cesser [d’employer] ces termes-là. Et elle a dit «si c’est comme ça, je m’en vais, parce qu’on dénature mon art»».

« Enseignements de l’angoisse »

Un étudiant qui a assisté au début de l’année scolaire à plusieurs séances encadrées par Valérie P., affirme à CheckNews que «c’est parce qu’elle refusait d’utiliser les termes follower-leader pour ses cours et s’obstinait à garder hommes-femmes qu’elle a préféré mettre fin, d’elle-même, à ses cours».

Mais pour cet étudiant, qui fait partie de ceux qui ont écrit à l’association sportive (AS), d’autres problèmes se sont posés. L’étudiant a détaillé par mail les raisons l’ayant décidé à ne plus se rendre à ces cours. «Il faut savoir qu’à Sciences-Po, deux absences valent pour une défaillance, et c’est en prévision de ma défaillance que j’ai adressé ce mail à l’AS, nous précise-t-il. A aucun moment je n’ai souhaité ou demandé son renvoi.»

Dans ce courrier électronique, transmis à CheckNews, le «sciencepiste» indique que les «nombreux commentaires à caractère sexiste et homophobe» de la professeure «rendent l’ambiance du cours pesante et [le] décourage de [se] rendre aux cours, ressentant suite à ces enseignements de l’angoisse, de l’énervement voire de l’exaspération».

Et de revenir sur les «commentaires» en question : «Au début du semestre, elle nous a par exemple clairement expliqué que la nomenclature «follower-leader» proposée par Sciences-Po ne lui allait pas et qu’elle aurait préféré la mention «femme-homme». Puisque, je cite «ce sont les hommes les leaders et les femmes les followeuses». Elle a par la suite lourdement insisté sur la sexualité d’un de mes camarades homme qui s’était mis dans la catégorie «follower». Insistant sur le fait que ce n’était pas sa place s’il voulait danser avec un homme, et que des écoles spécifiques «same sex», existent pour cela. Ces commentaires ont été répétés lors de chaque leçon ou elle déplorait l’infériorité numérique des hommes, bien que les femmes présentes lors du cours auraient accepté de danser en tant que leader. De plus, elle a lors du dernier cours suivi avec elle, le 20 septembre, abordé la question des [violences sexistes et sexuelles] dans une plaisanterie lors d’une explication d’un mouvement de rock : en nous expliquant que «l’on ne sait pas ce qu’une gifle peut vous valoir aujourd’hui». Faisant ici référence à l’actualité, et à la main courante déposée par la femme d’Adrien Quatennens pour violence [le député La France insoumise a publiquement reconnu avoir donné une gifle à son épouse, ndlr]. Cette minimisation des [violences sexistes et sexuelles] n’a aucunement sa place dans un cours de danse, et m’ont mis, ainsi que nombreux·ses de mes camarades, mal à l’aise.»

D’après cet étudiant, «ses commentaires ont été répétés pendant tout le semestre», ses amis restés inscrits aux cours évoquant «plus de deux heures de tirades en cumulé».

« Pourquoi j’aurais parlé d’une gifle ? »

«Je ne suis pas homophobe, je ne suis pas raciste, je n’ai pas eu de propos discriminatoires», se défend Valérie P. auprès de CheckNews. Elle nie ainsi avoir adressé des remarques désobligeantes à un étudiant en raison de son identité sexuelle. Par ailleurs, sur la référence à l’affaire Adrien Quatennens mentionnée par un étudiant, la professeure répond là aussi que «c’est totalement faux». «Je ne me suis jamais exprimée sur une gifle qu’aurait donné un député à sa femme. Pourquoi j’aurais parlé d’une gifle dans un cours de danse ? Et puis, ce député, je ne le connais pas vraiment.» Quant aux accusations de sexisme, elle les justifie ainsi : «Il y a des expressions qui disent que certaines fois la femme «suit», donc moi j’en déduis qu’on décide que c’est la femme qui est la «followeuse».»

D’ailleurs, insiste la professeure, dans la nouvelle fiche d’inscription aux cours de danse, Sciences-Po écrit que le «follower», c’est «celui qui va suivre la danse». Ce qu’elle regrette, car «les professionnels de la danse ne disent jamais que nous, en tant que danseuses, on «suit» : le danseur nous invite et nous faisons quelque chose. Nous ne sommes pas des pots de fleurs, nous avons notre propre rôle».

Son départ, selon elle, découle directement des modifications apportées à ce formulaire : «Sciences-Po a rajouté, ce qui n’était pas mis en septembre, «indépendamment du genre ou du sexe». Là, on me précise bien que dans mon enseignement, je ne peux plus dire «le rôle de la femme et le rôle de l’homme». Or dans cette discipline, je suis obligée de continuer à le dire. Comment je fais pour qu’une jeune fille porte un garçon sur les genoux dans une passe de rock’n’roll ?» Elle assure s’appuyer sur la sémantique «officielle» qui régit la danse : «Je donne des cours avec un tableau d’inscription «homme-femme», suivant une pédagogie que j’ai apprise, qui est régie par des concours et une fédération internationale de danse.»

Du côté de la direction de Sciences-Po, on tient le discours inverse : «Il se trouve, apparemment, qu’on n’utilise plus «homme et femme» dans le domaine de la danse, qu’on dit de plus en plus «leader et follower». Il semblerait que ce soit les termes qui recoupent le mieux, aujourd’hui, la réalité des couples qui peuvent être amenés à danser. Mais de toute façon, ce n’est pas le sujet : quand bien même elle aurait dit «homme et femme», on ne fait pas partir les gens pour ça.»

Elsa de La Roche Saint-André

Date de dernière mise à jour : 09/12/2022

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