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Grosibou, porte noire et PMU… Bienvenue dans les pas de Pagnol

À l’occasion des 50 ans de la mort de Marcel Pagnol, on a cherché, entre un bar, une grotte, la France moche et un « passage secret », ce qu’il restait à Marseille de ses « Souvenirs d’enfance »

L'essentiel

Ce jeudi marque les cinquante ans de la mort de Marcel Pagnol.

L’auteur et cinéaste a laissé une trace indélébile dans la culture provençale du début du XXe siècle et sa représentation, notamment avec sa trilogie d’enfance La Gloire de mon père, Le Château de ma mère et Le Temps des secrets.

Si la filière touristique est en structuration, marcher dans les pas des « Souvenirs d’enfance » de Marcel Pagnol, mort il y a cinquante ans, n’est pas si simple.

Deux petites plaques commémoratives et un itinéraire de vacances enchantées qui traverse une zone d’activité. Un bar-tabac-PMU et ses deux platanes. Un morceau de maison branlante et une grotte toujours intacte dans un massif du haut duquel le temps semble figer. A Marseille, marcher dans les pas des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol, mort il y a cinquante ans, n’est pas si facile.

La Gloire de mon père » & « Le Château de ma mère » - 20 films pour partir  en vacances - Elle

Pourtant, le récit de ses vacances d’été passées dans les collines marseillaises ont marqué « les jours les plus heureux de [l] a vie » de l’auteur peut-être le plus emblématique de la Provence. Et à ces grandes vacances à la Pagnol, Damien y a déjà consacré près de dix ans de sa vie. Pourtant originaire de Béziers, le guide touristique est « tombé dans Pagnol tout petit » : « j’ai arrêté l’école à 14 ans. Et les Souvenirs d’enfance sont les seuls livres que j’arrivais à lire. Il y a eu les films aussi (en 1987 et 1990), et c’est devenu une passion. »

Un fada, des ronces et le château de Buzine

Damien, 45 ans, est donc logiquement venu vivre en région marseillaise il y a sept ans et s’est depuis consacré à satisfaire son obsession. Avec succès, puisqu’il a retrouvé le raccourci, celui du Château de ma mère, le second volet de la trilogie des Souvenirs d’enfance. « Un passage secret », longeant en partie le canal de Marseille et traqué pendant de longues années, qu’il a fini par dénicher il y a tout juste deux ans, à force de lectures et de travail d’archives.

« Une partie du sentier était envahie par les ronces, j’y ai retrouvé des vestiges et même la vraie dernière porte ! », s’enthousiasme le guide. Cette même « horrible porte noire, celle qui n’avait pas voulu s’ouvrir sur les vacances, la porte du père humilié… », a écrit Pagnol dont la famille s’était fait surprendre dans ce passage par un garde et son chien. « Elle est située tout au fond d’un jardin, chez un particulier, le long de l’enceinte nord du château de la Buzine », détaille Damien. Le même château aujourd’hui au cœur d’un conflit entre l’héritier Pagnol et la mairie de Marseille.

La France moche et un bar PMU
 

Mais avant d’atteindre ce raccourci qui divise par quatre les trois heures de marche entre La Barasse et le carrefour des Quatre-saisons, signalé par un bar, il fallait prendre le tramway depuis les Chartreux, dans le centre-ville de Marseille. Aujourd’hui, il n’y a plus de tramway et c’est en voiture qu’est parcourue la dizaine de kilomètres entre l’ancienne école publique des Chartreux – à présent un collège, où seule une maigre plaque rappelle que Pagnol y a fait ses premières études et que son père y enseignait – et La Barasse, première étape du voyage de la célèbre famille vers « l’asile des vacances ».

Un premier trajet aujourd’hui sans intérêt, dans un continuum urbain qui mène jusqu’en périphérie. Autrement dit la France moche, celle des pavillons, des entrepôts, campements et autres zone d’activités, le tout traversé par l’autoroute A50 qui lie Aubagne à Marseille et qui ne fleure en rien les vacances. Mais c’est d’ici, depuis l’ancienne station de tramway de La Barasse, que débutent vraiment les aventures du jeune Marcel.

Le carrefour des Quatre-saisons, en forme de patte d’oie, existe toujours, de même que le bar éponyme et ses « deux grands platanes » décrits par Pagnol, dernier arrêt avant les trois kilomètres de montée vers le village de La Treille puis la Bastide-Neuve, leur lieu de résidence d’été louée 80 francs à l’année. Le bar a changé de nom, prenant celui de « La source ». Qu’on se rassure : on y sert toujours du pastis et, l’été, des touristes viennent s’y rafraîchir. Aujourd’hui tenu par Eric, le bar fait également office de PMU et de tabac. A l’intérieur, des photos jaunies, non datées mais qu’on imagine venues des années 1920 côtoient une écharpe de l’OM et un écran de télé diffusant les courses équestres.

« Pour moi, Pagnol, c’est surtout du folklore »

Pas de doute, pour Eric, c’est bien « le bar à Pagnol ». Un univers dans lequel a été plongé Jean-Pierre, un Picard arrivé à Marseille en 1997. Il habite à présent La Treille, et, forcément, Pagnol, il a dû s’y mettre. « J’ai une maison avec pas mal de terrain. Et la première année comme il n’a pas plu d’avril à la fin de l’été, j’ai beaucoup arrosé. A ma première facture d’eau de 7.000 euros, j’ai compris l’importance de l’eau en Provence, un des sujets principaux des écrits de Pagnol. Du coup, j’ai fait un forage. Mais enfin, pour moi Pagnol ici, c’est surtout du folklore. Vous avez vu le hibou en fer sur le rond-point en bas, en référence à la grotte du Grosibou ? Bon voilà, quoi », avance Jean-Pierre. Et le quinquagénaire accoudé au zinc de poursuivre : « ce qui est dommage, c’est qu’ici on est cerné par les résidences fermées alors que Pagnol c’est tout le contraire : la liberté et les grands espaces. »

« Un désert de garrigue » enchanté

Pour trouver la liberté, les grands espaces et les collines enchantées de l’écrivain, il faudra encore gravir une poignée de kilomètres le long d’une route parsemée de cliniques privés et de villas. On atteint finalement le village-quartier de La Treille, son église, son cimetière, son école avec une fresque de Pagnol, sa petite fontaine de Manon de sources et ses ruelles de la largeur d’une calèche dans lesquelles se bloquent les touristes – ce qui agace les locaux. Seulement plus loin, vient le hameau des Bellons, sur la commune d’Allauch. La même où vivait Lili, le grand ami d’enfance des étés de Marcel, celui qui allait initier l’écrivain aux secrets de la garrigue, à ses sources, à la chasse aux pièges et à la cueillette.

C’est alors que se laisse voir la Bastide-Neuve, que les Pagnol atteignaient après une journée éprouvante de voyage. Une vieille maison entourée d’oliviers aujourd’hui séparée en deux biens au gré des ventes. Les deux tiers y sont habités par un couple qui a hérité de grands-parents belges et qui « subissent un peu », explique Damien, l’intrusion de curieux qui cherchent à apercevoir un morceau de Pagnol. Le tiers restant a été acquis par l’association des amis de l’écrivain qui a entrepris une lente rénovation bénévole. Une simple petite plaque signale l’histoire de ce bâtiment, situé au bout d’une impasse.

Après lui, enfin, s’ouvrent par-delà la pinède « le désert de garrigue » du massif du Garlaban et les promesses d’aventures du minot de Provence. Un massif qu’a arpenté Damien, fasciné à l’idée de mettre ses pas dans ceux de son héros et de découvrir les sources d’eau mentionnées dans les livres ou bien la barre rocheuse du haut de laquelle Marcel brandit les deux bartavelles abattues par son père Joseph dans une même salve de fusil. « De mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel la gloire de mon père en face du soleil couchant »… Soit face à des hectares et des hectares de collines sur lesquelles souffle régulièrement le mistral, qui décorne les bœufs et fait danser des pins gringalets pourtant bien accrochés à leur sol rocailleux.

« Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants »

Rendus au sommet de Taoumé au terme de deux heures de marche parmi les pierriers, les genévriers, le thym et les argélas, trône la grotte du Grosibou, là où Marcel Pagnol tentait de se faire ermite pour échapper à la rentrée scolaire. De cette petite fente rocheuse aujourd’hui signalée à la peinture et bien connue des braconniers d’antan (son ouverture sur deux vallons permettait de déjouer la surveillance des gendarmes), la vue est magistrale : au Nord, la Sainte-Victoire annonce la présence d’Aix-en-Provence, vers l’Ouest, la rade Nord de Marseille, ses grues dressées vers le ciel azur, et, au Sud, Marseille encore et le toit ondulé du Vélodrome. Plus loin, le cap Canaille et sa roche ocre qui contraste avec le blanc calcaire des vierges collines environnantes.

Les pistes DFCI des pompiers mises à part, le temps semble être ici figé. Le genre de décors que peuvent venir les chercher les clients de Damien, dont la fascination pour Marcel Pagnol le pousse à accompagner ses clients en tenue d'époque : « dans notre société aujourd’hui un peu froide, la plupart viennent bouffer de la nostalgie et retourner un instant en 1905. »

Car du haut des collines s’exprime aussi un contraste violent : celui d’un paysage rural jouxtant l’urbain qui gagne toujours du terrain au détriment « des jeux éternels » d’un Marcel Pagnol qui avait saisi la cruauté du monde. « Telle est la vie des hommes : quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants », a écrit l’auteur dans l’épilogue du second volet des Souvenirs d’enfance. C’est là qu’il annonçait le décès de sa mère et celui de son ami Lili des Bellons. Les deux amis reposent aujourd’hui ensemble dans le petit cimetière de La Treille.

De l’ensemble de l’œuvre de l’auteur provençal, dont ce jeudi marque le cinquantenaire de sa mort et le début de célébrations dans la région, sans doute ce sont ses récits prenant la campagne marseillaise pour décors, pourtant publiés vers la fin de sa vie, qui fascinent et inspirent le plus. Une popularité aidée par ses adaptations cinématographiques : A commencer par le cycle de L’eau des collines (Jean de Florette et Manon des sources) porté à l’écran par Claude Berri en 1987, suivi de La Gloire de mon père et du Château de ma mère par Yves Robert en 1990 et complété en 2022 par Le temps des secrets, le troisième tome des Souvenirs d’enfance, réalisé par Christophe Barratier auquel s’ajoute Le temps des amours, publié à titre posthume et jamais adapté au cinéma.

Alexandre Vella

 

 

Date de dernière mise à jour : 18/04/2024

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