François Bayrou, vice-champion de l’immobilisme ?

Sacré un peu à tort champion de l’immobilisme, Henri Queuille était un véritable homme d’État, contrairement à Bayrou.

François Bayrou : l'immobilisme pour horizon | France Culture

« L’immobilisme est en marche et rien ne l’arrêtera » (Edgar Faure).

Le socle commun de François Bayrou commence à fondre sous l’effet des chaleurs estivales. Nos concitoyens constatent en effet que l’activité gouvernementale se résume de plus en plus à des mesurettes et que les grands problèmes, comme l’insécurité, la dérive budgétaire, la fraude sociale ou encore la submersion migratoire, voient leur traitement renvoyé à plus tard. Le gouvernement se contente de louvoyer entre les motions de censure pour durer : à l’heure du Tour de France, il joue la montre.

La France pourrait se croire revenue sous la IVe République, avec sa valse des ministères expédiant les affaires courantes. D’ailleurs, François Bayrou rêve de devenir un second Mendès France : un Premier ministre de 1954 à 1955 dont le gouvernement aussi mythique que météorique ne dura pourtant que huit mois. Mais au fil des tergiversations, c’est le souvenir d’un autre cacique de la IVe République qui s’impose désormais : le bon docteur Henri Queuille, député d’Ussel, 36 fois ministre, 3 fois Premier ministre, surnommé le « champion de l’immobilisme ».

Des efforts renversants pour ne pas être renversé

« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout » ; « La politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, c’est de faire taire ceux qui les posent » : ces citations d’Henri Queuille ont élevé l’attentisme et la stratégie de l’édredon au Panthéon des vertus républicaines.

Pour ce faire, le Corrézien madré s’appuya sur l’article 49 de la Constitution de 1946 : une fois le gouvernement investi, ce dernier ne peut plus être renversé que par une motion de censure ou sur le vote d’un texte de loi. Dans ce dernier cas, le ministère doit avoir explicitement engagé sa confiance. Et surtout, dans les deux hypothèses, la confiance ne peut être refusée qu'à la majorité absolue des députés composant la chambre (les absents et les abstentionnistes sont donc comptés comme favorables au gouvernement en place).

Une remarque, au passage : l’article 49 de notre Constitution de 1958 est un « copier-coller » de son ancêtre de 1946. Il était censé assurer une certaine stabilité ministérielle mais il n’en fut rien, pas plus d’ailleurs hier qu’aujourd’hui.

Il est vrai que sous la IVe, de nombreux gouvernements démissionnaient sans même avoir été renversés : ils se délitaient ou jetaient l’éponge après une simple mise en minorité sur un texte mais à la majorité relative. C’est ce qu’on appelait la défiance implicite.

Donc, lorsqu’il était à Matignon, Henri Queuille se gardait bien de poser trop souvent la question de confiance ou de s’aventurer sur des textes trop dissensuels.

Réhabilitons Henri Queuille !

J’appartenais au cabinet d’Edgar Faure lorsque ce dernier rédigea ses mémoires. C’est à ce titre que je pus relire son manuscrit : un honneur mais aussi un pensum, vu son écriture.

C’est alors que je découvris le parcours impressionnant de Queuille, qui forma Edgar Faure, jeune secrétaire d’État chargé du Budget, aux fonctions gouvernementales.

Sacré un peu à tort champion de l’immobilisme, Henri Queuille était un véritable homme d’État ; ce qui le différencie de son lointain successeur François Bayrou.

Député radical d’Ussel en Corrèze depuis 1914, engagé volontaire comme médecin militaire pendant la Première Guerre mondiale, croix de guerre à Verdun, inamovible ministre de l’Agriculture dés 1924, il fut surtout un homme de la IIIe République, créateur de la Caisse nationale de Crédit agricole et du Génie rural. De plus, il encouragea l’émergence d’une technologie révolutionnaire : le transport des denrées périssables dans des camions réfrigérés. Au fil des ans, Henri Queuille devint donc le ministre de référence des paysans français qui l’adulaient.

C’est en particulier pour cette raison que le général de Gaulle le fit venir à ses côtés, en 1943, afin d'assurer des fonctions ministérielles au sein du Comité français de libération nationale.

L’immobilisme du coureur de fond

Et c’est tout naturellement qu’Henri Queuille revint au gouvernement en 1948 aux Finances, puis trois fois à Matignon entre 1949 et 1951. Afin de pallier l’instabilité ministérielle qui caractérisait la IVe République, il utilisa certes toutes les ficelles parlementaires pour se maintenir à Matignon, d’où sa réputation immobiliste.

Et pourtant , dans le tome 1 de ses mémoires, Edgar Faure rappelle les performances financières du gouvernement Queuille : production en hausse de 11 %, prix en baisse de 12 %, cours du napoléon en repli de 30 % ! Grâce à une politique économique aussi rigoureuse que volontariste, la confiance dans notre monnaie était de retour : le ministère avait gagné ce qu’on avait appelé, à l’époque, « la bataille de la Marne du franc ». La France entrait dans les Trente Glorieuses.

Tout au long de ses 53 ans de carrière politique sous trois Républiques et 36 postes ministériels, Queuille n’envisagea pas de postuler à l’Élysée, qui n’était pas un centre de pouvoir. Deux de ses successeurs à la députation de la Corrèze, Jacques Chirac puis François Hollande, allaient réparer cette omission.

Ultime ingratitude : la mémoire collective lui a volé la paternité de sa plus célèbre maxime : « Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. »

Professeur Jean-Richard Sulzer

Date de dernière mise à jour : 07/07/2025

1 vote. Moyenne 4 sur 5.