
On attendait le cardinal, en ce lieu de pèlerinage combien régional, avec beaucoup d’espérance pour célébrer les 400 ans des apparitions de sainte Anne, mère de la Sainte Vierge, à Auray, en Bretagne. Les Bretons appellent ces pèlerinages importants des pardons. Celui de sainte Anne est le plus grand de tous, il est donc, en toute logique, le grand pardon, qui n’a rien à voir, au passage, avec les aventures de Raymond Bettoun (Roger Hanin), dans le film homonyme d’Alexandre Arcady.
Bref, le cardinal Sarah s’est présenté au milieu de 30.000 fidèles galvanisés. Il portait sur lui ce mélange d’intangible bonté et de solidité dans la foi qui est devenu sa marque de fabrique. Dans un français parfait, il a prononcé une homélie sobre et miséricordieuse - en réussissant le tour de force d’y dire l’essentiel. Après avoir prononcé quelques mots de breton, ceux-là mêmes que la mère de la Sainte Vierge adressa, en 1625, au paysan Yvon Nicolazic (« Me zo Anna, mamm Mari » - « Je suis Anne, la mère de Marie »), il a rappelé que cette apparition avait permis de mettre au jour, dans le champ des Nicolazic, une chapelle abandonnée depuis « 924 ans et 6 mois », selon la sainte elle-même. Depuis quatre siècles, les Bretons se relaient pour entretenir la flamme, une flamme semblable à celle qui brilla dans le logis des Nicolazic.
Après cette parenthèse identitaire, et même régionaliste, le cardinal a également fait un peu de catéchisme, jamais de trop, surtout dans une région très à gauche. Écoutons plutôt : « Trop souvent en Occident, on présente la religion comme une activité au service du bien-être de l’homme. La religion est assimilée à des actions humanitaires, à des actes de bienfaisance, d’accueil des migrants et des sans-abri, à la promotion de la fraternité universelle et à la paix dans le monde. La spiritualité serait une forme de développement personnel, elle serait là pour apporter un peu de soulagement à l’homme moderne tendu vers ses activités politiques et économiques habituelles. Même si ces questions sont importantes, cette vision de la religion est fausse. » Voilà, tout simplement. Le plus important, c’est la foi, et non le règlement terrestre de nos misères - ce que proposait jadis, au passage, la théologie de la libération en Amérique du Sud…
Une deuxième citation avant de faire une rapide exégèse : « Dieu a choisi ce lieu pour être adoré, Dieu a choisi la France pour qu’elle soit comme une terre sainte, une terre réservée à Dieu. Ne profanez pas la France avec vos lois barbares et inhumaines qui prônent la mort alors que Dieu veut la vie. » Quoi de mieux que de prononcer de telles paroles dans ce lieu où, justement, les bêtes elles-mêmes ne voulaient pas se rendre, comme si elles pressentaient instinctivement que ce lieu sacré n’était pas digne d’être foulé ? Oui, la France est une terre sacrée, comme l’est cette chapelle bretonne - et, oui, également, nos lois barbares et inhumaines (la dernière en date est celle sur l’euthanasie) prônent la mort.
Il y aurait tant d’autres choses à dire sur ce sermon magnifique, notamment au sujet de la beauté de la liturgie, de l’espérance plus forte que tout, du mal qui ne prévaudra pas. On pourrait ajouter que la diffusion de cette messe en direct sur CNews est un signe de réveil - en tout cas, nous l’espérons. Mais la véritable question est celle-ci : pourquoi faut-il que ce soit un cardinal guinéen, qui est désormais au service des chrétiens d’Orient, qui vienne nous dire ces paroles de vérité, de bonté et de justice ? N’avons-nous pas de clercs ou de laïcs qui soient capables de témoigner, à temps et à contretemps, du Beau, du Bien et du Vrai ? En vérité, c’est cette question qui devrait nous hanter… et c’est le moment où sainte Anne nous dirait, comme à Yvon Nicolazic, « n’aie pas peur ».
Arnaud Florac