
Fléré-la-Rivière est une de ces petites communes de l’Indre qui pourraient sortir d’un roman de George Sand. Des champs, de petites maisons, une église, une vie tranquille et, évidemment, comme dans beaucoup de villages encore, un café. Ce café s’appelle le Café des Sports. Il pourrait tout aussi bien s’appeler le Balto ou le Bar des Amis. On se dit qu’on y trouve sans doute des jeux à gratter, des clopes, des gens qui commandent au comptoir, des propos qu’on tient entre copains du village (au comptoir, également)… et un gérant qui doit faire tenir tout cela tant bien que mal, avec son épouse.
Les « sept erreurs » du cafetier
En l’espèce, nous apprennent nos confrères de La Nouvelle République, c’est une gérante qui tient le café, avec son mari. On apprend aussi que, le 22 décembre 2023, à quelques jours de Noël donc, alors que le couple dormait au-dessus de son café, trois « jeunes » sont entrés par effraction pour cambrioler le Café des Sports. Le mari de la gérante s’est réveillé en sursaut : première erreur aux yeux de la Justice française. Il aurait probablement dû faire semblant de dormir, dans un geste de lâcheté citoyenne. Il a attrapé son fusil : deuxième, et peut-être troisième erreur. Deuxième erreur parce qu’il n’aurait pas dû avoir l’idée de se défendre ; troisième erreur, peut-être, au cas où l’homme n’aurait pas déclaré la possession de son fusil…
L’homme est descendu avec son fusil et a tiré sur les voleurs : quatrième erreur, puisqu’il aurait dû les laisser s’enfuir, évidemment. Il a blessé l’un d’entre eux : cinquième erreur, il aurait dû tirer en l’air, bien sûr, en espérant que les cambrioleurs ne soient pas armés. Le voleur en question a été blessé au dos : sixième erreur, puisque cela veut dire qu’il a tiré sur un fuyard. C’est en tout cas l’avis de l’avocat de la défense. Enfin, septième et dernière erreur : l’homme est solvable.
La question de la légitime défense
C’est le dernier clou de la Justice sur le cercueil de la plus élémentaire dignité, puisque ce brave monsieur a été condamné à vingt mois de prison avec sursis, trois ans d’interdiction de port d’arme… et 4.000 euros de dédommagement à verser à son cambrioleur, ce qui est probablement davantage que la recette qu’il aurait pu se faire voler. Du côté des voleurs, le blessé a pris trente mois, dont douze avec sursis. Traduisons la décision : il va passer 18 mois sous bracelet électronique. La Justice, qui se veut sévère, ajoute une obligation de soins (pour vaincre une addiction au cannabis ?) et de travail (le mot ne doit pas lui dire grand-chose). Un deuxième voleur a été relaxé. Le troisième, mineur, sera jugé plus tard.
Tout cela est édifiant. L’article 122-6 du Code pénal dit pourtant : « Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l'acte : 1° Pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; 2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. » Visiblement, le cas présent n'est donc pas entré dans ces catégories. Défendre son bien, c’est mal. Ça peut vous coûter de la prison avec sursis, donc un casier judiciaire, et une amende à verser à vos cambrioleurs. Impeccable, quoi.
Évidemment, personne n’encourage les gens à se faire justice eux-mêmes et il est toujours malvenu de tirer sur son prochain. Mais tout de même : comment ne pas avoir de la sympathie pour ce brave monsieur ?
Arnaud Florac