
Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky ont signé une « déclaration d’intention » en vue de l’achat futur de 100 Rafale. Mais Kiev n’en a actuellement pas les moyens.
Mais qui va payer les 100 Rafale de Kiev ? Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky se sont adressés à la presse ce lundi 17 novembre depuis l’Élysée pour annoncer un accord « historique ». Les deux chefs d’État ont signé une « déclaration d’intention » en vue de l’achat futur de 100 avions de combat français Rafale complets, dont l’Ukraine se doterait ainsi pour la première fois, et de systèmes de défense aérienne nouvelle génération.
Selon l’Élysée, cet accord, qui se projette « sur un horizon d’une dizaine d’années », prévoit de possibles contrats à venir pour « l’acquisition par l’Ukraine de matériel de défense français neuf » : « de l’ordre de 100 Rafale, avec leurs armements associés », ainsi que le système de défense aérienne SAMP-T nouvelle génération, « en cours de développement », et des systèmes de radar.
Ainsi, l’Ukraine deviendrait le plus gros client à l’export de Dassault Aviation, devant les Émirats arabes unis, note le site L’Essentiel de l’Eco. Toutefois, si Emmanuel Macron a salué un « grand jour », reste que cette annonce soulève de nombreuses questions en termes de réalisation. Notamment : comment financer les 100 Rafale qui iront en Ukraine et qui devraient coûter, selon les estimations entre 8 et 30 milliards d’euros.
La piste de « l’endettement commun » relancée
Soulignons que les deux présidents n’ont pas signé de contrat mais une « déclaration d’intention ». Pas d’acte concret, mais l’expression d’une volonté, sans aucun financement, ou calendrier précis. Et pour cause : l’Ukraine est loin d’être en capacité de financer cette opération.
Interrogé à ce sujet par un journaliste lors de la conférence de presse, Emmanuel Macron a évoqué plusieurs pistes. Précisant que les financements viendront « en fonction de la manière dont ils seront appelés », il a ainsi énuméré plusieurs ressources du soutien français à l’Ukraine.
Le président a évoqué « nos contributions propres », prévues dans la loi de programmation militaire. Il a d’ailleurs relancé la piste de « l’endettement commun » pour que l’Union européenne puisse « continuer d’apporter à l’Ukraine un soutien financier prévisible et stable à long terme » - malgré la résistance allemande.
Pour rappel, dans le budget 2025 français, 58 millions d’euros sont prévus pour le soutien militaire à l’Ukraine.
Solliciter les programmes européens
Puis il a abordé les « instruments » européens :
La facilité européenne pour la paix, qui pourvoit des mesures d’assistance en faveur de pays partenaires afin de prévenir les conflits. Depuis 2022, le soutien financier total alloué par cet intermédiaire à l’Ukraine est de 11,1 milliards d’euros, selon le site du Conseil européen. Emmanuel Macron n’a pas donné d’information sur ce qui pourrait être alloué dans le cadre de cette opération. « Le degré de probabilité que les Rafale soient financés par ce biais est plutôt moyen, voire faible », explique au HuffPost un spécialiste de questions de défense*. Selon lui, si ce dossier possède des critères qui pourraient correspondre à ceux demandés dans le cadre des financements de la facilité européenne, « le montant demandé explose complètement ce cadre ».
Le programme SAFE, Security Action for Europe, acté cet été par la commission européenne et qui prévoit d’allouer jusqu’à 150 milliards d’euros aux pays ayant des projets d’investissements dans la défense, y compris pour aider l’Ukraine. Ceci sans obligation de remboursement pendant les dix premières années. Ici aussi, aucune précision sur ce qu’il serait possible de retirer pour les Rafale, et selon l’expert il est peu probable que cela participe au financement. « Les critères d’éligibilité ne sont pas respectés puisque ce serait des dons directs à des partenaires ukrainiens et non pas à des armées européennes, et en plus le cadre financier n’est pas adéquat », nous explique-t-il.
Et enfin le programme Era « qui a été conçu avec les intérêts des avoirs gelés russes au niveau du G7 qui permet aussi de financer des capacités militaires ». « Les financements que l’on va dégager au niveau européen doivent être mobilisés là-dessus », a déclaré Emmanuel Macron. Toutefois, comme le souligne L’Essentiel de l’Eco, cette option reste encore la moins probable puisqu’elle fait face à des blocages juridiques, des divergences politiques, et à « l’inertie des institutions européennes ».
Auprès de 20 Minutes, le journaliste spécialisé des questions de défense Jean-Dominique Merchet, souligne l’existence du système Purl (Prioritised Ukraine Requirement Lists) au sein de l’Otan. Celui-ci permet déjà aux Ukrainiens de commander des armements aux États-Unis, tout en faisant payer la facture aux pays européens. L’idée de Paris serait que ce système puisse également bénéficier à l’industrie européenne, si l’on arrivait à convaincre Washington.
Impasse logistique
Au-delà du financement, cette « déclaration d’intention » risque de rester telle quel pendant encore un moment puisque cela coince également du côté de la logistique. En effet, un Rafale met trois ans et demi à être construit en raison de certains composants dont les délais d’obtention sont incompressibles. Or, fin 2024, Dassault Aviation possédait un carnet de commandes de 220 avions qu’ils ne peuvent pas se permettre de rediriger vers un autre acheteur, note BFMTV. Même en tournant à plein régime, le géant a prévu de fournir 25 Rafale en 2025, soit une cadence de production d’un peu plus de deux avions par mois.
Kiev va devoir encore attendre plusieurs années avant d’espérer voir son premier avion français. D’ici là, elle aura peut-être plus de chance d’obtenir l’un des 100 à 150 chasseurs Gripen qu’elle a promis d’acheter au suédois Saab en octobre. Là aussi, dans le cadre d’une lettre d’intention.
Comme le souligne le spécialiste et grand reporter Vincent Lamigeon sur X, cette « annonce historique » ce lundi tient d’avantage de « signaux politiques sur la volonté de Kiev de reconstituer une aviation de combat forte après le conflit » qu’un engagement ferme.
*Notre interlocuteur a choisi de garder l’anonymat
Claire Tervé