BOISSONS ALCOOLISÉES - Interdiction de l’alcool à la buvette de l’Assemblée : nouvelle lubie hygiéniste et charia-compatible

Assemblée nationale : la buvette suscite la polémique

Dans un rapport parlementaire publié le 31 octobre, parmi les mesures d’économie à prendre au sein de la représentation nationale, Emmanuel Duplessy, député Génération.s du Loiret, propose d’interdire la vente et la consommation d’alcool à la buvette de l’Assemblée nationale… et surtout son défraiement en frais de mandat. Ses arguments semblent de bon sens, selon les normes de notre temps, puisqu’ils s’appuient sur la loi. En effet, les députés sont supposément les seuls travailleurs autorisés à consommer de l’alcool sur leur lieu de travail. Dans un État en pleine faillite, qui ne cesse de dépenser de l’argent magique en accumulant des dettes monstrueuses au-dessus de la tête de nos enfants, la moindre mesure d’austérité est la bienvenue, c’est certain. Par ailleurs, on peut considérer que cela n’envoie pas le bon message, pour ce qui concerne la sobriété des députés – et on ne parle pas, ici, de sobriété financière.

Art de vivre à la française

Il y a toutefois plusieurs petits problèmes là-dedans. Pour ne pas même parler de la filière viticole française qui est en crise, le vin fait (faisait ?) partie d’un certain art de vivre à la française. Nous n’avons pas – ou, du moins, nous n’avions pas - le culte hygiéniste de la pureté et de l’eau plate, de ce côté-ci de l’Atlantique. À la différence des États-Unis, par exemple, nous n’avons pas fabriqué des générations de névrosés en leur interdisant sottement les plaisirs de la vie. Puritaine en matière de mœurs, l’Amérique a inventé l’industrie du porno. Puritaine en matière d’alcool dans les années 20, elle a fabriqué Al Capone… et les cocktails, invention délicieuse mais un peu faux-cul (voir, par exemple, la recette du Long Island Iced Tea, qui ne contient pas un brin de thé). Nous, nous sommes, depuis des siècles, le pays de la légèreté et de la spontanéité. On nous l’a souvent reproché : galanterie, gauloiserie, frivolité, panache, mais aussi ripaille, combats pour l’honneur et bonnes bouteilles, ainsi allait la France, qui bâtissait des familles durables malgré la gaudriole, gagnait des guerres et conquérait des territoires malgré le goût du beau geste… et marchait droit malgré la picole. Aujourd’hui, encore, le vin n’est pas interdit dans les repas d’affaires, les pots de départ, les séminaires de cohésion… mais il le serait au sein de la représentation nationale pour qui, en réalité, cela ne représenterait qu’un jeu de comptabilité assez fastidieux et grotesque ?

Projet hypocrite

L’alcoolisme, en France, a reculé dans des proportions très encourageantes, ces dernières décennies. Les abus sont de plus en plus mal vus. Joint par BV, le député RN de Vaucluse Hervé de Lépinau, opposant à ce projet hypocrite, estime d’ailleurs à « 4 ou 5 sur 577 » les députés qui ont un problème d’alcool. « Et ils ne sont pas de droite », ajoute-t-il malicieusement. « Si M. Duplessy n’aime pas le vin, qu’il n’en dégoûte pas les autres », conclut le député. Pour sa part, le député LIOT Harold Huwart réoriente le débat avec humour et lucidité : « Le vrai problème, c'est qu'il y a des députés qui racontent n'importe quoi à jeun, et ça, personne n'en parle. »

Pour finir, n’est-il pas curieux que, dans la même semaine, on entende des gens réclamer que les femmes soient parquées dans des rames de RER dédiées et qu’on interdise l’alcool au palais Bourbon (qui deviendrait sans doute, dans un pays qui ignore les Bourbons, le palais Tourtel) ? Isoler les femmes pour leur sécurité, interdire l’alcool pour des raisons d’exemplarité un peu tordues, c’est peut-être tout simplement mettre en place la charia sans le dire.

Arnaud Florac

Date de dernière mise à jour : 08/11/2025

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