
Les langues commencent à se délier. Tour à tour, d’anciens hauts responsables européens critiquent la concentration des pouvoirs entre les mains de l’hyperprésidente de la Commission, Ursula von der Leyen. C’est le cas de l’ancien chef de la diplomatie communautaire Josep Borrell, qui estimait, dans nos colonnes, que la dirigeante de droite allemande outrepassait régulièrement son rôle en matière de politique étrangère.
L’éphémère premier ministre français et négociateur du Brexit Michel Barnier a également procédé à des tirs nourris contre Ursula von der Leyen dans son dernier livre, Ce que j’ai appris de vous (Calmann-Lévy), l’accusant de « dérive autoritaire » au cœur d’une « super-technocratie ». Selon le site Politico Europe, deux accords commerciaux majeurs avec le Mercosur et le Mexique devaient être mis à l’ordre du jour de la réunion hebdomadaire des commissaires ce 3 septembre. Et le premier a, en effet, été approuvé par la Commission qui promet de le compléter par un « acte juridique » renforçant les mesures de sauvegarde pour « les produits européens sensibles ».
Un marché sud-américain de 280 millions de personnes
Cette opacité n’a rien de surprenant mais ajoute à l’impression d’institutions en roue libre et surtout sans garde-fous démocratiques. « Les textes seraient ensuite envoyés aux pays de l’UE pour approbation formelle. Les deux accords devraient être présentés comme des ”accords exclusivement européens”, ce qui signifie qu’ils pourraient être adoptés à la majorité qualifiée au Conseil de l’UE ainsi qu’à la majorité au Parlement européen, et qu’ils n’auraient pas à passer par les parlements nationaux, ce qui accélérerait considérablement le processus », précise Politico. La majorité qualifiée au Conseil requiert l’approbation du texte par au moins 55 % des États membres (15 États sur 27), représentant au moins 65 % de la population de l’UE.
L’heure semble à la débâcle. Après la capitulation qu’a constituée l’accord sur les droits de douane, négocié en solitaire par Ursula von der Leyen avec le président états-unien, Donald Trump, l’Union européenne (UE) tente de retrouver du souffle et de diversifier ses relations. À lui seul, le Mercosur, composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay, de l’Uruguay et de la Bolivie, ouvrirait un marché de plus de 280 millions de personnes aux exportations européennes, désormais lourdement taxées par Donald Trump.
Problème, la Commission accélère le mouvement libre-échangiste via des accords qui suscitent une forte inquiétude, notamment auprès des petits agriculteurs du continent, qui redoutent l’afflux de produits aux faibles normes sanitaires et environnementales à des prix dégradés quand eux sont soumis à des normes strictes. De leur côté, les pays sud-américains restent cantonnés à la production de marchandises à faible valeur ajoutée.
Macron et la France ont perdu la bataille
C’est en ce sens que pourrait être interprétée la décision de la justice brésilienne de rétablir le moratoire sur le soja cultivé dans les zones de l’Amazonie en proie à la déforestation, ce 25 août. Pour accélérer l’adoption de l’accord UE-Mercosur, en discussion depuis vingt ans, la Commission européenne proposait déjà, l’an dernier, d’adjoindre un protocole additionnel sur les objectifs environnementaux qui « élargit, selon le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, les obligations du Brésil et les soumet à des sanctions en cas de non-respect ».
Le moratoire rétabli par la justice brésilienne est ainsi hautement politique puisqu’il permet au pays de se conformer à une loi européenne qui bannit l’importation sur le continent de produits issus de terres déboisées. À l’époque, des voix dénonçaient un néocolonialisme commercial teinté de greenwashing restreignant les exportations du Brésil, mais l’ouvrant à toutes les importations européennes, sous couvert d’écologie.
À l’issue du Conseil des ministres franco-allemand qui se tenait à Toulon le 29 août, l’Allemagne et la France se sont contentées d’une phrase laconique à propos de l’accord UE-Mercosur, promettant « un programme commercial pragmatique de l’UE », assorti de « garanties pour les secteurs stratégiques, en particulier l’agriculture ». Signe qu’Emmanuel Macron, qui s’est pourtant présenté en opposant en chef, pourrait avoir perdu la bataille faute d’avoir structuré une opposition susceptible de constituer une minorité de blocage. « Cela va dans le bon sens », a d’ailleurs écrit sur X le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, à l’énoncé des promesses de la Commission. « La France va maintenant examiner dans le détail ce qui est proposé, afin de s’assurer de l’efficacité du dispositif », ajoute-t-il.
Autre raison de cette soudaine précipitation : les Vingt-Sept entendent sécuriser l’accès aux terres rares, comme le lithium argentin ou le manganèse brésilien, avant que les États du Sud ne soient tentés de décréter des restrictions à l’export, comme c’est déjà le cas de la Chine. Le 30 avril dernier, l’Europe avait déjà dû renoncer aux ressources stratégiques ukrainiennes qui avaient fait l’objet d’un accord exclusif d’exploitation avec Washington.
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Lina Sankari