Appel aux dons pour Chambord : un scandale patrimonial de plus

Le château de Chambord, une utopie de pierre plus vivante que jamais

Au château de Chambord, l’aile François Ier menace de s’effondrer. À la recherche de 37 millions d’euros - « dont douze pour sa mise en sécurité en urgence » -, le domaine lance un appel aux dons. Ce qui pose au moins deux questions : pourquoi Chambord n’a-t-il pas les crédits nécessaires ? Pourquoi avoir attendu que la situation se dégrade à ce point ?

« Fissures, instabilités des fondations et de la toiture… » Fermée depuis deux ans au public, l’aile François Ier (construite dans les années 1540) serait victime… du dérèglement climatique, dit le château de Chambord. Il a bon dos, le climat. Les raisons sont plus complexes, comme l'explique ailleurs le château. Surcharges des planchers, affaiblissement des fondations du fait des travaux de terrassement au XVIIe et d’une mauvaise gestion des douves… L’actuelle alternance des sécheresses et des inondations est la cerise sur le gâteau.

Le mythe d’une gestion exemplaire

L’appel aux dons surprend. Le domaine de Chambord n’était-il pas un modèle d’équilibre financier innovant ? « Bilan des 13 années d’Haussonville : Chambord armé pour l’avenir », écrivait Le Quotidien de l’Art, en mars 2023. Et de détailler : « Défense de la marque, repositionnement du mécénat, biodiversité, autofinancement… Le diplomate a expérimenté sur les bords de Loire un nouveau modèle pour les monuments historiques. » Il n’y a pas trois mois, Challenges titrait de même : « Patrimoine : au royaume de Chambord, l’autonomie financière est reine ». Demander la charité est une curieuse forme d’autonomie financière.

Derrière ce satisfecit enthousiaste, la réalité est autre. Un rapport de la Cour des comptes de juillet 2023 reconnaissait une progression de l’autonomie financière mais aussi - il y a un mais - « une rentabilité non dénuée de fragilité »  (page 42). En fait de nouveau modèle de gestion, le même rapport liait « l’absence de programmation stratégique des investissements » et le défaut d’anticipation, d’où « les multiples problèmes de structure. […] l’état sanitaire du monument [qui] se révèle préoccupant, avec la stabilité dégradée de certaines parties du château » (page 9). Contacté par BV, le château de Chambord n’a pas donné suite.

En janvier 2024, Laurence des Cars alertait sur « le niveau d’obsolescence inquiétant » du Louvre. Au printemps dernier, le Muséum national d’histoire naturelle sonnait l’alarme sur l’état de l’hôtel de Magny, proche de la ruine : les conséquences d’un long abandon. Aujourd'hui, Chambord. Or, les musées comme les monuments historiques bénéficient de budgets destinés à assurer leur entretien. Pourquoi cela n'est-il pas fait ? Pourquoi attendre que la facture explose et faire appel aux dons ? Peut-être par souci d'économie et parce que les administrateurs espèrent que les Français, prompts à s’émouvoir pour leur patrimoine, paieront la facture. La communication n'hésite par à jouer sur la corde historique et identitaire, voire la fibre chrétienne : le château de Chambord invite les donateurs à devenir « ange gardien du patrimoine ».

Consolation : Yaoundé est bien dotée

Si l’appel aux dons tel que le pratique le Louvre pour l’achat d’un tableau en particulier est légitime, ou si celui pour Notre-Dame s’expliquait par la situation exceptionnelle, cette façon d’appeler aux dons pour des édifices négligés n’est pas admissible. Surtout que, dans le même temps, s’insurge le député Guillaume Bigot (RN), « la Macronie préfère subventionner pour 65,5 millions d'euros l'amélioration du centre-ville de Yaoundé au Cameroun plutôt que d'entretenir le château de Chambord, joyau de notre patrimoine ». On préférerait que l’État entretienne ses bâtiments et que Yaoundé fasse un appel aux dons pour développer ses infrastructures de transport.

En décembre 2017, Emmanuel Macron avait fêté ses 40 ans à Chambord. Un écrin prestigieux, digne de sa jeune gloriole. Le patrimoine intéresse nos élites le temps d’un week-end et autant qu’il les met en valeur. Quant à sa préservation, gage de sa transmission, voilà des mots qui leur sont étrangers.

Pas d'argent pour Chambord, mais ça ruisselle au Cameroun (source: https://www.afd.fr/fr/page-region-pays/cameroun).

Samuel Martin

Date de dernière mise à jour : 24/09/2025

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