A-t-on encore le droit de faire la fête, en France ? Peut-on encore festoyer autour d’un cochon à la broche et d’une bouteille de vin, un béret vissé sur la tête, sans être taxé d’extrême droite ? Vendredi soir, à Goven, dans le Pays rennais, le Canon français a démontré qu’il était possible de résister à l’extrême gauche en restant droit dans ses bottes.
Ils sont 800. Peu importe les accusations, les convives, ces fameux canonniers sont venus s’amuser et se détendre. Les trublions insoumis et autres gauchistes radicalisés n’auront pas raison de leur joie de vivre.
Le château de Blossac les accueille. Un escadron entier de gendarmerie cerne les environs et sécurise la propriété. Contre vents et marées, le propriétaire, Christophe de La Rousserie, a tenu à ouvrir ses portes à l’entreprise. Une immense tente a été dressée au pied de la demeure du XVIIe siècle. Les fêtards s’installent autour d’immenses tablées en enfilade où, au son des bignous et des cornemuses (Bretagne oblige), les plateaux de charcuterie défilent. Dehors, les cochons rôtissent et n’attendent que leurs dégustateurs.
« Merci d’être venus et d’avoir tenu bon »
D’impressionnantes miches de pain, à la croûte aussi grosse que le pouce, sont partagées entre voisins, devenus frères le temps d’un soir. Et revivent les scènes où le grand-père tranchait à l’Opinel, sur la table ancestrale, « le pain quotidien » pour toute la famille, rassemblée près de l’âtre où réchauffe le ragoût.
« On a voulu vous chasser de l’espace public, merci d’être venus et d’avoir tenu bon. » Christophe de La Rousserie, ovationné, savoure l’aboutissement de dix jours de pressions et d’intimidations. L’assemblée, elle, chante à pleins poumons la Marseillaise jouée par la fanfare.
« On n’a plus le droit de rien faire ! On en bave toute la semaine, on est là pour boire des godets, assure Maximilien, qui balaie d’un revers de main la polémique, on n’est pas là pour se prendre la tête. » Rire, chanter, boire un coup.
Basta, sortez, tristes sires et autres manipulateurs, travestisseurs de vérité. « Du moment qu’il y a du gasoil dans la bagnole et de la bière, en avant ! » Le cadre est planté. Ici, la fête n’a pas de couleur politique, contrairement à ce que veut faire croire la gauche radicale. Le succès considérable du Canon français ulcère. Des saluts nazis ? Des chants à la gloire du RN ? Nous avons entendu Michel Fugain, Joe Dassin, Charles Aznavour, Hugues Aufray, Michel Sardou. On s’embrasse, on trinque, on se prend dans les bras pour chanter à tue-tête parce que ça fait du bien de s’aimer, d’être français, voilà tout. « Les Oies sauvages », « Tiens bon la barre et tiens bon le vent », « La Bohême », « En chantant » : le parquet vibre sous les pas excités des fêtards.
« Moi, je suis pour la tolérance »
Alexis est heureux : « Je me reconnais dans cette soirée, on discute tous ici entre nous sans différence. » Le jeune homme vante l’ambiance « conviviale et familiale » qui rassemble au-delà des clichés que certains collent à l’événement. « Il n’y a aucun parti politique, ici, lance Bertrand*, on est juste des bons vivants, des Français. Pourquoi on ne pourrait pas être fier de notre pays ? », s’interroge-t-il, en dressant un constat : toutes les tensions, les intimidations autour des banquets dont l’extrême gauche a exigé l’annulation n’ont qu’un effet : « Ils nous poussent vers l’extrême droite. » Pour Sophie, on peut « être patriote et de gauche ; il faut arrêter de se prendre la tête pour des conneries. » L’assemblée est incontestablement éclectique. Il y a celui qui a voté deux fois pour Fabien Roussel, il y a cet autre canonnier qui se dit « être de gauche » et qui, face à la polémique, était inquiet de ce qu’il trouverait. « Moi, je suis pour la tolérance », affirme-t-il, pleinement satisfait de l’ambiance apolitique qu’il retrouve. Tous viennent « s’amuser comme nos parents l’ont fait ». C’est cela, le miracle du Canon français, retrouver un lien social brisé par la technologie moderne, l’individualisme de notre temps. Rassembler les Français autour d’un coup de rouge et d’un morceau de cochon, au milieu des rires et des chants. « Ça fait du bien, de se retrouver là », nous confie ce participant, vite happé par la chenille qui s’entortille entre les tables.
Ne pas courber l'échine
À quelques kilomètres du banquet gaulois, un fest-noz se déroule en signe de protestation, pour « dénoncer les valeurs d’extrême droite » véhiculées par le Canon français. « Pas de fachos en Bretagne, ni en ville ni en campagne », peut-on lire sur une affiche. 50 ringards aux cheveux gris se congratulent. ¡No pasarán !
Au château de Blossac, lorsque la fête touche à son terme, Les lacs du Connemara retentit. Dehors, les mines ravies, heureuses du moment partagé, quittent le domaine. « Merci de tout cœur de nous avoir reçus, c’est courageux » : le propriétaire est salué de toutes parts. L’émotion est palpable dans ces poignées de mains qui valent bien des discours. Sans équivoque, la grande majorité des participants a le sentiment, ce soir, d’avoir fait un acte de résistance. Démontrer qu’il est possible de ne pas courber l’échine devant les anathèmes d’une gauche rabougrie et intolérante.
Yves-Marie Sevillia