
La petite boîte ronde métallique et de couleur jaune s’est fermée pour la dernière fois. La production des Cachou Lajaunie a été stoppée, sans annonce, sans un mot. Ce n’est que parce qu’il était devenu impossible de trouver ces petites pastilles aromatisées à la réglisse que cet arrêt a été constaté et confirmé début septembre, mais le minuscule bonbon inventé en 1880 à Toulouse par le pharmacien Léon Lajaunie afin de rafraîchir l’haleine n’existait déjà plus depuis l’automne 2024.
La société italo-néerlandaise Perfetti Van Melle, propriétaire de la marque depuis 2022, a tué cet emblème de la ville rose et une « partie intégrante du patrimoine gustatif et affectif français », comme le rappelle par Quentin Rech, initiateur d’une pétition pour sauver les Cachou Lajaunie.
Disparition d’une icône
Ces petites pastilles étaient en effet connues de tous et appréciées. Elles avaient su traverser les siècles en conservant leur goût et leur identité. Vendues initialement dans l’officine de leur inventeur, elles avaient ensuite été commercialisées à grande échelle. Dans les années 1980, grâce à d’importantes campagnes publicitaires, elles deviennent des icônes. L’actrice américaine Kristen Dalton et le top-model Naomi Campbell ont notamment été ses égéries. Elles apparaissent aussi dans des longs métrages à succès tels que Le Magnifique ou Les Tontons flingueurs. Rapidement, la petite boîte jaune devient le symbole de la culture populaire française.
Malgré ce statut, en 1993, la marque est vendue par le groupe Pierre Fabre, qui en était devenu propriétaire quatre ans plus tôt, à Parke-Davis, une filiale du groupe américain Warner-Lambert. Suivent d’autres cessions à des groupes étrangers (Kraft Foods, Cadbury et Mondelez International), mais Cachou Lajaunie résiste. En 2018, Mondelez annonce même en grande pompe le transfert de la chaîne de fabrication dans son usine LU du quartier Fontaine-Lestang, en plein cœur de Toulouse.
La multinationale américaine investit près de 700.000 euros dans le nouvel atelier Cachou Lajaunie, où les anciennes machines trouvent leur place. À cette époque, trois millions de boîtes de Cachou sont vendues en France annuellement. Puis, le groupe recentre ses activités et cède ses marques de chewing-gum et de friandises. Trident, Dentine, Chiclets, Stimorol, Hollywood, La Vosgienne et Cachou Lajaunie changent de giron.
Pour le dernier nommé, ce sera sans succès. La faute, vraisemblablement, à un changement de recette, comme l’indique à BV Quentin Rech : « Je suis en lien avec un groupe Facebook consacré au patrimoine toulousain où beaucoup de personnes disaient que les derniers Cachou Lajaunie n’étaient pas comme avant. Je pense que la recette a changé et que ça n’a pas plu. »
Le patrimoine français soldé
Il suppose également que, pour le groupe Perfetti Van Melle, les pastilles à la réglisse ne représentaient pas grand-chose : « Pour nous, Français, c’est une marque emblématique, mais pour un étranger ce n’est peut-être pas très intéressant. » C’est la raison de sa pétition. Du haut de ses vingt ans, cet amoureux du Cachou « espère attirer l’attention d’investisseurs locaux pour que la marque soit reprise ». Il exhorte : « Ne laissons pas une multinationale étrangère rayer d’un trait plus de 140 ans d’histoire. »
Contacté par BV, le groupe Perfetti Van Melle n’a pas répondu à nos sollicitations. Impossible, donc, de savoir à ce jour si, dans ses dernières heures, la production du bonbon à la réglisse était toujours toulousaine, si sa recette était restée inchangée, et si des licenciements sont en cours ou prévus.
Abandonné par sa patrie, le Cachou Lajaunie n’a pas survécu. D’autres marques françaises (Poulain, Cochonou, La Pastille Vichy…), aussi rachetées par des compagnies étrangères, pourraient subir le même sort si la France ne fait rien pour préserver son patrimoine industriel et son identité. Quentin Rech le rappelle : « Le patrimoine français, ça concerne aussi les petites choses de la vie. »
Sarah-Louise Guille