Aviation : la réputation de Boeing est en chute libre

Les Ricains sont des grands patriotes. Mais pas des autruches. Quand quelque chose ne tourne pas rond, ils n’enfouissent pas leurs têtes dans le sable. Aujourd’hui, c’est le fleuron de leur aviation civile qui est sur le grill. Au risque de nuire à ses activités adjointes, avions de combat et aérospatiale, qui ne sont pas directement concernées.

Se soustraire aux enquêtes est toujours mal vu outre-Atlantique et faire taire les témoins ne suffit plus.

La FAA (Federal Aviation Administration) est le régulateur américain de l’aviation civile. S’occupant autant de la gestion des aéroports et de la formation des personnels que du respect de strictes normes de sécurité lors de la construction des avions. Une exception pour une administration civile dans un pays qui n’a rien de jacobin.

Après de nombreux accidents récents et un nombre inquiétant d’incidents qui auraient pu mal tourner sans la dextérité des pilotes, la FAA a diligenté une enquête sur les modèles 737, 777 et 787 Dreamliner de Boeing. L’intégrité de leur structure a été mise en cause par un ingénieur retraité John Barnett. Loyal, il avait alerté la direction afin que des modifications soient apportées en interne dans les process. Comme on n’a pas voulu l’écouter, il est devenu lanceur d’alerte.

Par une troublante coïncidence, Barnett se serait suicidé, par arme à feu selon les autorités locales, le 11 mars 2025, sur le parking d’un hôtel de Charleston en Caroline du Sud. Mais le FBI continue l’enquête. D’autant que, deux mois après le décès de Barnett, un autre lanceur d’alerte Joshua Dean est emporté par un mystérieux virus ultra rapide. Contrôleur qualité chez Spirit AeroSystems, sous-traitant de Boeing, il avait témoigné que la direction de l’entreprise avait dissimulé des défauts de fabrication des pièces du 737 Max.

Les régulateurs ont déjà identifié plusieurs problèmes de non-conformité, particulièrement préoccupants dans la famille des modèles 737. Qui plus est, l’avionneur de Seattle s’est montré réticent à coopérer avec le NTSB (National Transportation Safety board) alors qu’il avait jusqu’alors travaillé sans réserve avec cette agence fédérale qui enquête sur tous les accidents et incidents aériens aux USA. Et à l’étranger si on le lui demande, quand un aéronef de fabrication US est concerné.

Crashs, pannes, incidents à répétition… Une multiplication de défaillances plus ou moins graves que les erreurs de pilotage et la météo ne peuvent expliquer

Pour rester sur ces dernières années, en oubliant les fautes de maintenance qu’on peut imputer à des sous-traitants dont le choix doit être discuté, des accidents meurtriers ont semé la suspicion sur les 737 Max. Des machines merveilleuses cumulant nombre de sièges, gain en carburant et pollution réduite. La perfection s’ils ne tombaient pas comme des mouches.

Deux crashs peu après le décollage ne laissent aucun survivant. Le vol Lion Air indonésien 610 tombé dans la mer de Java, le 29 octobre 2018. Et le vol Ethiopian Airlines 302 le 10 mars 2019. Après diverses défaillances moins dramatiques sur plusieurs appareils, la production de ces avions a été suspendue par Boeing en janvier 2020, tandis que ces cercueils volants étaient interdits de vol par la plupart des compagnies. Une catastrophe industrielle provoquant des pertes évaluées à plusieurs dizaines de milliards de dollars pour l’entreprise, et une chute importante de ses ventes au profit d’Airbus.

La commission des transports du Congrès US publie un rapport exhaustif en septembre 2020 dénonçant des défauts de conception et de fabrication de la cellule, ainsi que des dysfonctionnements des accessoires. En particulier le MCAS un robot stupide qui prend les commandes d’autorité comme dans un film de science-fiction… En novembre 2020, la FAA redonne une certification sous réserve que des modifications urgentes soient effectuées. Et Boeing accusé de fraudes paye plus de 2,5 milliards USD pour stopper les poursuites judiciaires.

L’année 2024 catastrophique pour Boeing

Le 5 janvier, un Boeing 737 Max 9 d’Alaska Airlines a dû effectuer un atterrissage d’urgence peu après son départ de l’aéroport international de Portland, après qu’une porte mal installée se soit détachée en plein vol. Pas de blessés mais si ça s’était produit en altitude, cela aurait pu provoquer une décompression explosive.

Quatre jours plus tard, Alaska Airlines et United Airlines ont signalé que plusieurs appareils Max 9 avaient des éléments manquants ou défectueux sur leurs portes. D’autres compagnies s’en sont plaintes aussi.

Le 13 janvier, un Boeing 737-800 exploité par la compagnie japonaise All Nippon Airways est contraint d’annuler son vol après qu’une fenêtre du cockpit se soit fissurée. Au sol. Encore heureux.

Le 19 janvier des vidéos montrent des flammes s’échappant d’un Boeing 747-8 au-dessus de Miami. L’avion qui devait se rendre à Porto Rico se pose en urgence avec une panne moteur.

Le 20 janvier à l’aéroport d’Atlanta, un Boeing 757 à destination de Bogota roulait sur la piste lorsqu’on a constaté avant V1 (vitesse où l’on peut encore renoncer au décollage) qu’une roue s’était détachée.

Le 6 février, sur le vol 1536 United Airlines du New Jersey à destination des Bahamas, les palonniers se sont coincés, provoquant une enquête du NTSB.

Le 7 mars, un autre 777-200 d’United Airlines en provenance de San Francisco à destination du Japon a été contraint de se dérouter vers Los Angeles de suite après le décollage, après la perte d’une roue.

Le 13 mars, un 777-300 en provenance de Sydney et à destination de San Francisco a dû faire demi-tour en raison d’une fuite de carburant après le décollage.

Le 15 mars 2024, un Boeing 737-800 d’United Airlines en provenance de San Francisco à destination de Medford, dans l’Oregon, est arrivé à l’aéroport international de Rogue Valley-Medford avec un panneau extérieur manquant, tombé pendant le vol.

La série noire ne s’arrête pas là, mais le relevé de toutes les pannes depuis deux ans deviendrait fastidieux. Dernier incident connu : un Boeing 787 dérouté le 25 juillet 2025 après une panne moteur en vol.

Une constante relevée par les enquêteurs : la cupidité des avionneurs dont le cynisme ne pourrait être contré que par des condamnations implacables

Les USA ne sont pas contaminés par l’idéologie communiste. Aussi doit-on prendre au sérieux les critiques d’agences fédérales, observant que la recherche illimitée du profit est à l’origine de la plupart de ces déboires. Provoquant des démissions successives des patrons de Boeing.

L’audit mené sur la production du 737 Max montre 33 échecs sur 89 tests et 97 cas de non-conformité au cahier des charges, selon le New York Times. Dans le même temps, la FAA signale des problèmes de sécurité avec l’équipement de dégivrage des Dreamliners, pouvant entraîner une perte de puissance des moteurs. Le cours de l’action de l’entreprise a chuté d’un quart de sa valeur, entraînant une baisse de la capitalisation boursière supérieure à 40 milliards de dollars.

On soupçonne les constructeurs d’avions d’avoir privilégié dans leurs équipes les cost killers, dont la mission est d’optimiser les profits, rapidement, en rognant sur le nombre et la robustesse des structures porteuses, en simplifiant les assemblages, en adoptant des équipements de qualité médiocre, et en réduisant le nombre des contrôles. Provoquant l’indignation des ingénieurs. Mais aussi des gestionnaires à l’ancienne qui raisonnaient en termes de fiabilité et de résultats sur la durée.

Ignorant qu’il était enregistré, un directeur financier a évoqué sans vergogne la balance entre les risques et les indemnisations. Selon les calculs de ce psychopathe pour qui les vies humaines n’ont aucune valeur, il apparaissait plus avantageux de jouer sur la probabilité des accidents et la longueur des procédures, en dédommageant les clients et les victimes quand le pire se produisait… C’était moins onéreux que de revoir les plans, trouver des sous-traitants plus fiables, réorganiser les chaînes de montage et recommencer tous les tests.

Christian Navis