
« J’ai appelé ma famille pour dire que je ne fêterai pas Noël avec eux ». Ce n’est pas parce qu’elle ne supporte pas les siens, ni parce qu’elle aurait décidé de renoncer à la fête de Noël, que Claire passera ce 24 décembre loin de sa famille. Au contraire, c’est pour en retrouver le sens profond que la jeune trentenaire a choisi, cette année, de vivre Noël autrement, en allant à la rencontre de personnes âgées qui n’auront pas la chance d’être entourées en cette période familiale.
« Remettre les priorités au bon endroit »
Si Noël ne l’a jamais particulièrement enchantée, Claire connaît bien les festivités en famille, les cadeaux et le fourmillement d’une maison animée par la préparation de la dinde et des petits-fours. Pour autant, « son aspect très commercial » et les publicités qui incitent à consommer dès le mois d’octobre, ne la « réjouissent pas beaucoup ». Alors, pour tenter de retrouver « une certaine cohérence », elle s’apprête à franchir le pas du réveillon solidaire. Une manière, dit-elle, de « remettre Jésus au centre, de sortir de cet ultra-consumérisme et de remettre les priorités au bon endroit ».
Le 24 au matin, elle préparera le dîner du soir pour le réveillon organisé par la paroisse Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, à Paris, auprès de laquelle cette juriste de la fonction publique s’est engagée. Après avoir préparé le dîner du soir et pendant que d’autres bénévoles décoreront la salle paroissiale destinée à accueillir les bénéficiaires du réveillon solidaire, elle se rendra l’après-midi chez des personnes âgées inscrites pour recevoir une visite chaleureuse en cette veille de Noël. À chacune, elle apportera un présent et une primevère confiés par les équipes.
Claire le sait, Noël est une « période qui peut être très joyeuse comme pas du tout », selon la manière dont on la traverse. « Si ces personnes se sont inscrites à ce programme-là, elles seront heureuses d’avoir de la visite et de pouvoir ouvrir leur porte à des personnes qui prennent de leurs nouvelles », se réjouit-elle. « J’imagine que ça leur apportera un peu de baume au cœur de savoir qu’il y a toute une communauté qui se tient derrière elles, et simplement de rencontrer du monde. »
Pour la jeune femme, l’expérience est aussi très personnelle : « Ça me permet de me décentrer, de penser à autre chose que ma petite personne. » Longtemps, elle n’avait pas osé franchir le pas. Aujourd’hui, elle n’a « aucun regret », et assume ce choix comme une manière de participer à une communauté dont elle estime bénéficier elle-même : « Mettre sa pierre à l’édifice, se mettre en service, c’est aussi ça, faire communauté. »
750 000 personnes âgées en situation de « mort sociale »
Cette démarche individuelle témoigne toutefois d’un constat accablant. Selon le dernier baromètre de l’isolement des Petits Frères des pauvres, en 2025, près de 2 millions de personnes âgées souffrent d’isolement en France. Parmi elles, 750 000 sont en situation de « mort sociale », sans aucun contact ou presque avec l’extérieur. À l’approche de Noël, ce sentiment de solitude se fait d’autant plus lourd. En 2024, plus de 13 500 personnes âgées ont participé aux activités de Noël organisées par l’association, et 4 474 colis ont été distribués à travers le pays.
Retrouver « le vrai esprit de Noël »
À 37 ans, et pour la deuxième année consécutive, Max a lui aussi décidé de consacrer son réveillon aux autres. L’an dernier, il chantait dans des Ehpad et des foyers pour personnes handicapées. Cette fois, il a choisi de participer à l’opération du diocèse de Paris « Hiver solidaire » en début de soirée, avant de partir en maraudes avec quelques amis à partir de 22 heures pour distribuer thé, café et petits gâteaux.
Comme Claire, Max évoque ce décalage avec un Noël qu’il juge trop souvent vidé de sa substance. « La surconsommation, les cadeaux à gogo, ça écarte très vite de l’esprit de Noël. En tant que catholique, je trouve ça dommage. » Lui aussi a grandi dans une famille nombreuse, habituée aux grands repas et aux tables pleines. « J’ai de la chance, j’ai déjà connu tout ça. » Alors, faire autrement s’est imposé presque naturellement. « C’était l’occasion de me plonger dans le “vrai esprit de Noël”. »
Dans les Ehpad, l’an dernier, l’émotion était palpable. « Les résidents étaient hyper contents, hyper émus. Pour certains, ça ravive des souvenirs, dans des périodes où ils ne sont pas forcément entourés par leurs familles, qui passent Noël à droite à gauche. » Des moments simples, parfois fugaces, mais qui suffisent à rompre, ne serait-ce qu’un instant, une solitude malheureusement trop répandue et trop souvent ignorée.
Aliénor de Pompignan