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La RATP profite de l’été pour effacer Brassens. Coup bas ?

Paris : Georges Brassens effacé de la station de métro Porte des Lilas, la  RATP s'explique

Au siècle dernier finissant, il y a quelque vingt-cinq ans de cela, quand les gens savaient encore lire, on nommait les lignes du métro parisien par leurs terminus : Orléans-Clignancourt, Étoile-Nation, Pantin-Place d’Italie, Vincennes-Neuilly, Châtelet-Lilas… Et puis la population a changé, les « non lecteurs » se sont multipliés, alors on a mis des couleurs et des chiffres arabes. Aujourd’hui on prend la 4, la 6, la 13 si l’on aime s’entasser, la 14 qui roule toute seule, ou la 11 qui file maintenant jusqu’à Rosny-sous-Bois.

Longtemps déjà que les lilas ont disparu ; les immeubles ont remplacé les jardins ouvriers et les guinguettes, la Mairie-des-Lilas n’est plus le terminus de la ligne et si Serge Gainsbourg a désormais une station à son nom, Georges Brassens, lui, a disparu du métro. Trop vieux, trop mâle blanc, trop poète, trop moustachu, trop fumeur de pipe ? Question de sécurité, répond la RATP.

Un patrimoine trop populaire et trop français ?

Prolonger de six stations une ligne de métro n’est pas une mince affaire. Creuser, combler, déplacer, ouvrir, bétonner, tuyauter, refermer… Ça prend des années. Au début des travaux, on annonçait l’achèvement du prolongement de la ligne 11 pour 2019. Il semble qu’enfin on s’en approche, alors Brassens, dans tout ça…

Et pourtant, dans cette ville qui se rêve en musée, Brassens est un monument. Un emblème de la culture populaire, un poète comme on n’en a plus. Pour rendre hommage à l’homme et sa chanson « Les Lilas » qu’il avait composée et enregistrée pour le film de René Clair, en 1957 (film dans lequel il avait d’ailleurs tourné), la RATP avait commandé trois mosaïques à Michel L’Huillier. A la fin des années 1980, les voyageurs admiraient le joli triptyque : le portrait de Brassens et les bouquets de lilas en fleurs. Mais voilà, la RATP refait la station, rongée nous dit-on par les infiltrations d’eau.

Depuis plus d’un an que les travaux sont programmés, les riverains et usagers du métro se sont rassemblés, non pour empêcher les travaux, bien sûr, mais pour tenter de préserver ce patrimoine populaire. Ils se sont même rassemblés sur le quai pour chanter Les Lilas devant le portrait de Brassens. Une première pétition a été lancée, recueillant plus de 9000 signatures, des propositions faites pour déplacer les mosaïques.

Du côté de la RATP, on parle carrément de danger : la station Porte-des-Lilas est dans « un état dégradé, affectant à la fois le confort et la sécurité des voyageurs » en raison des infiltrations d’eau qui « ont lieu sur l’ensemble des murs et du plafond de la station, et y compris les trois fresques », dit le responsable. « Il y a des infiltrations derrière, l’état est déjà en partie dégradé, c’est pour ça que nous avons commencé l’ensemble des travaux de dépose des carreaux de la station, et c’est aussi pour cela que nous allons devoir déposer les trois fresques pour étanchéifier ».

Déposer, oui, mais pourquoi détruire ?

La dépose et la reconstitution des mosaïques est une procédure banale. Il n’est que de visiter le moindre musée d’art et d’histoire pour s’en rendre compte. La régie des transports prétend toutefois que « la conservation des fresques s’est révélée incompatible avec les exigences tenant à la préservation de la pérennité des ouvrages et la continuité de l’offre de transport (sic) ». On ne voit pas bien pourquoi, mais passons… « La dépose des fresques rendait nécessaire de découper celles-ci par morceaux, ce qui aurait eu pour effet de les altérer sévèrement et ne permettait pas d’assurer la conservation des mosaïques en vue de leur repose. » On découvre ici que ce qui est possible avec des mosaïques vieilles de 2.000 ans ne le serait pas avec une œuvre qui n’en a que quarante !

Soutenu par la Fondation du patrimoine, le collectif a lancé une nouvelle pétition, demandant de déplacer les panneaux sur l'autre quai, cela « selon un processus simple : 1° récupérer les carreaux mis à terre, les compléter de carreaux actuels pour les éventuels manquants 2° procéder aux travaux d'étanchéification complets des voûtes de la station 3° effectuer une nouvelle installation sur des supports à l'écart des murs du quai direction Rosny. »

La RATP dit au Parisien avoir une autre idée : elle aurait proposé au mosaïste Michel L’Huillier « une collaboration » pour la réalisation d’une autre œuvre en hommage à Brassens, mais aussi – et peut-être surtout ? – à « une artiste féminine ». Nous y voilà.

Marie Delarue

Date de dernière mise à jour : 08/08/2025

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