
Le 10 juillet 1547, devant la cour du château de Saint-Germain-en-Laye, se déroula un duel célèbre opposant Guy Chabot de Saint-Gelais, baron de Jarnac, à François de Vivonne, seigneur de La Châtaigneraie. L’issue de cet affrontement donnera alors naissance à une expression proverbiale entrée dans le langage courant : le « coup de Jarnac ». Cette formule, dont le sens évoluera au fil des siècles, est aujourd’hui souvent utilisée pour décrire des manœuvres politiques, aussi habiles que retorses.
Une querelle féminine
Notre affaire commence par une rivalité mondaine, une affaire de jalousie dont seules les femmes ont le secret et la ténacité pour les mener jusqu’au bout. En effet, en 1547, la nouvelle favorite du jeune roi Henri II, Diane de Poitiers, souhaite se venger de l’ancienne maîtresse de feu François Ier, Anne de Pisseleu, plus connue sous le nom de duchesse d’Étampes. Pour atteindre sa rivale et en faisant circuler les pires rumeurs, elle cherche à ternir l’honneur de son beau-frère, Guy Chabot, baron de Jarnac.
L’un des nobles de la cour, François de Vivonne, ose audacieusement invectiver directement le pauvre baron calomnié. Ne souhaitant pas laisser son honneur souillé, Jarnac demande au roi l’autorisation de laver cet affront par le sang et les armes. Henri II, bien qu’à peine monté sur le trône, accède alors à sa requête alors que le duel judiciaire n’était plus autorisé depuis le règne de Saint Louis.
Le duel de Jarnac
Le duel se tient donc le 10 juillet 1547, sur l’une des terrasses du château de Saint-Germain-en-Laye, en présence du roi et de la cour. Tous sont alors curieux de connaître la conclusion de cet événement rare, même si, pour certains, la messe est déjà dite.
En effet, Vivonne passe pour être l’une des meilleures lames du royaume ; son propre père aurait déclaré : « S'il va jamais en enfer, il en chassera les diables et s'en rendra maître. » Jarnac, lui, connaît ses limites. Pour pallier ses faiblesses, il s’est ainsi entraîné secrètement avec un maître d’armes italien, qui lui a enseigné les passes les plus habiles pour vaincre son adversaire.
Ainsi, lors du combat, Guy Chabot réussit, par quelques mouvements aussi discrets qu’efficaces, à entailler le jarret de son opposant. Vivonne s’effondre, blessé. Le roi fait alors cesser le duel et déclare Jarnac vainqueur et ayant lavé son honneur. Quant au seigneur de La Châtaigneraie, on lui accorde la vie sauve, maigre consolation dont il ne peut profiter longtemps. En effet, il finit malheureusement par succomber à sa blessure durant la nuit.
La naissance d’une expression
De cet événement spectaculaire naît alors une expression : le « coup de Jarnac ». À l’origine, elle désignait un coup loyal, ingénieux et d’une habileté surprenante. Cependant, en 1771, le Dictionnaire de Trévoux, rédigé par des jésuites, en donne une tout autre définition, associant cette locution à la perfidie et à la malhonnêteté : « Ce qui se prend toujours en mauvaise part, pour un tour auquel on ne s’attend pas, qui ruine quelqu’un ou détruit la fortune. » Le fait que Jarnac soit devenu protestant explique sans doute cette dévalorisation dans la langue et le vocabulaire du royaume catholique de France.
Certains, comme le Littré, tenteront plus tard de réhabiliter le sens originel de cette expression, mais en vain. Aujourd’hui encore, le « coup de Jarnac » est utilisé pour désigner une action perçue comme fourbe ou inattendue, amenant parfois une triste issue ; un sens qui trouve un écho particulier auprès de certaines actions de nos chers politiques.
Macron et le « coup de Jarnac » de la dissolution
En politique moderne, le « coup de Jarnac » sert souvent à désigner des manœuvres électorales ou stratégiques à double tranchant. Emmanuel Macron en a fourni un exemple marquant, en juin 2024, lorsqu’il a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, quelques heures seulement après les résultats des élections européennes.
En effet, selon Mediapart, cette décision s’apparente à un « magistral coup de Jarnac échafaudé par Emmanuel Macron », pointant un calcul politique froid : en convoquant des élections législatives anticipées, il prenait de court l’opposition, les commentateurs et même une partie de sa majorité, au risque de changer de bord politique la majorité. Un même fait peut être également reproché à Jacques Chirac lors de la dissolution de 1997 ayant laissé la gauche et Lionel Jospin remporter les législatives. Des coups de Jarnac qui, finalement, ne se sont pas révélés des coups de maître...
Enfin, ironie du sort, rappelons que le très stratège François Mitterrand est enterré à Jarnac, en Charente. Un joli dernier coup du fin politicien, qui avait tout simplement rejoint le caveau familial de son village natal...
Eric de Mascureau