Mein Kampf fait toujours un carton dans les pays musulmans

Adolf Hitler était communiste ? Pourquoi cette affirmation de la cheffe de  l'extrême droite allemande n'a pas de sens

Emprisonné du 11 novembre 1923 au 20 décembre 1924 à la prison de Landsberg à la suite du putsch raté de Munich, Hitler y commença la rédaction de Mein Kampf qu’il terminera en 1925. Originellement intitulé : Viereinhalb Jahre Kampf gegen Lüge, Dummheit und Feigheit (« Quatre ans et demi de lutte contre les mensonges, la stupidité et la couardise »), l’ouvrage prend son titre définitif, plus vendeur : Mein Kampf. Eine Abrechnung (« Mon Combat. Un règlement de comptes »). Hitler, qui ambitionne toujours de prendre le pouvoir, veut s’imposer politiquement et devenir la force idéologique principale des milieux nationalistes de son époque. Orateur hors pair, Hitler n’a en revanche pas l’habitude d’écrire, d’où un style confus, qui mêle considérations sans ordre et digressions interminables. Le sous-titre est exact : le texte est bien, en grande partie, un règlement de compte avec des sous-fifres du NSDAP, lesquels ont depuis belle lurette sombré dans les poubelles de l’histoire. L’intérêt pour un lecteur contemporain de nombre de passages est plus que relatif. Bien que remanié par des proches du Führer, le livre reste d’un abord rebutant. Par ailleurs, si l’antisémitisme de l’auteur est manifeste, sa « francophobie » ne l’est pas moins.

Les premiers extraits du livre apparaissent dans les journaux arabes en 1934. Les traducteurs occultent l’opinion très négative d’Hitler sur les Arabes. Hamid Maliji, un procureur égyptien écrivit en 1937 : « Amis arabes […] Les copies en arabe de Mein Kampf, distribuées dans le monde arabe, ne sont pas conformes à l’édition originale en allemand car les [passages] nous concernant ont été supprimées. (…) Hitler affirme que les Arabes sont d’une race inférieure, que l’héritage arabe provient d’un pillage des autres civilisations, et que les Arabes n’ont ni culture ni art, ainsi que d’autres insultes et humiliations qu’il déclame contre nous. »

La première traduction intégrale en langue arabe – plus de 900 pages – remonte aux années 1960. Elle est  l’œuvre de Luis al-Haj (né Louis Heiden), un criminel de guerre nazi exilé en Égypte et converti à l’islam.  « Adolf Hitler n’était pas un homme ordinaire que l’on oublie au fil du temps, écrit al-Haj dans sa préface. Il est l’un des rares grands hommes qui ont presque arrêté le cours de l’histoire, ils l’ont en tout cas modifié et ont changé la face du monde. Il appartient donc à l’histoire. » La traduction fut convenablement expurgée afin de ne pas froisser la sensibilité arabe. À noter que, les Arabes étant des sémites, « antisémite » est traduit par « anti-juif »…

Cette traduction marque le début d’une diffusion qui ne cessera de s’amplifier dans les décennies suivantes. Les versions en langue anglaise sont accompagnées d’un appareil critique visant à déconstruire l’idéologie nazie, et l’édition allemande de 2016 a été faite dans une démarche explicite de démystification des thèses hitlériennes. Rien de tel dans les éditions en langue arabe.

Au fil des décennies, Mein Kampf a connu un franc succès commercial dans de nombreux pays musulmans. Les éditions pirates y foisonnent. Les passages antisémites – « anti-juifs » – du livre ont naturellement été instrumentalisés dans le contexte du conflit israélo-palestinien.

Pour Stefan Wild, de l’université de Bonn : « Les Arabes ont préféré l’Allemagne aux autres puissances européennes car l’Allemagne était vue comme n’ayant aucune ambition coloniale ou territoriale dans la région. Ceci était un important sujet de sympathie. Ils voient aussi qu’en Allemagne, la Nation allemande a la préséance sur l’État allemand. Ce sera un modèle pour leur propre mouvement. »

Lors des opérations militaires à Gaza en 2023-2024, l’armée israélienne a découvert de nombreux exemplaires de Mein Kampf. Des copies ont été trouvées non seulement dans des résidences privées, mais aussi dans des installations du Hamas et jusque dans des caches d’armes. Cette présence massive dans un territoire en conflit direct avec Israël suggère que l’ouvrage n’est plus simplement considéré comme un document historique, mais pourrait servir de source d’inspiration idéologique ou d’outil de propagande. Des éléments de l’antisémitisme nazi sont incorporés à des discours locaux, créant une rhétorique particulièrement efficace, notamment dans sa critique du sionisme et de l’impérialisme occidental.

Pour Stefan Wild : « La popularité persistante de Mein Kampf dans le monde arabo-musulman constitue un symptôme révélateur de tensions idéologiques et géopolitiques plus profondes. Elle témoigne de la complexité des relations entre les mondes européen et musulman, entre antisémitisme et conflits contemporains. »

Henri Dubost

Date de dernière mise à jour : 29/04/2025

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