
Les artistes ne devraient-ils pas se contenter… de pratiquer leur art ? La question semble anodine, mais elle résume à elle seule toute la complexité de notre époque. En 2025, l’artiste se veut avant tout un militant et son activisme consiste à se parer des bons sentiments du moment et à fustiger ceux qui refusent de hurler avec la meute. Aux Francofolies de Spa, le chanteur franco-israélien Amir en fait les frais avec, à ses trousses, les chiens enragés de l’extrême gauche qui réclament sa déprogrammation.
Jamais de musique sans idéologie
« En tant qu’artistes programmés aux Francofolies de Spa, nous nous désolidarisons fermement de la décision de programmer Amir. » La cabale est lancée par dix artistes signataires d’un communiqué dénonçant la venue du chanteur au festival, qui doit se tenir du 17 au 20 juillet en Belgique. Trois d’entre eux, Yoa, RaQL et LibraRomea, ont d’ailleurs décliné l’invitation, préférant boycotter l’événement au nom de leurs « convictions sociales, politiques et humanistes ». L’un de ces artistes juge impossible de « jouer sur une line-up avec un ancien soldat de l’armée israélienne, surtout vu le contexte actuel et son soutien affiché à cette politique », tandis qu’un autre affirme qu’« aucun acte n’est anodin dans un pays de colon ». L’ambiance s’annonce festive.
À l’origine de cette mobilisation, les « révélations » d’un collectif pro-palestinien, Liège Occupation Free, qui, depuis le mois de juin, s’emploie à faire pression sur le festival en appelant au boycott tant que la présence d’Amir sera maintenue. Ce collectif belge, déjà impliqué dans plusieurs actions ayant nécessité l’intervention des forces de l’ordre et provoqué l’annulation de conférences sous la menace de certains militants, pointe notamment la participation du chanteur « à un événement dans la colonie illégale d’Hébron », en août 2014. Il lui reproche, encore, sa présence à une soirée de soutien aux soldats de Tsahal, organisée par Yoni Chetboun, officier décoré de l’armée israélienne et membre du parti nationaliste HaBayit HaYehudi.
Mauvais élève aux yeux de ceux qui exigent un casier idéologique vierge avant d’écouter un disque, le chanteur est aussi coupable d’avoir effectué son service militaire au sein de Tsahal, après avoir vécu en Israël depuis l’âge de huit ans. Mais, plus encore, c’est « son absence de prise de position critique face aux crimes commis par le gouvernement israélien, tout en ayant publiquement exprimé son soutien à celui-ci », qui rend Amir indésirable, pour ces artistes.
Si les organisateurs du festival n’ont pas cédé à la tentation de déprogrammer l'artiste, ils ont cependant justifié son maintien en expliquant ne pas être en mesure « d’évaluer moralement l’intégralité de sa trajectoire personnelle ou d’accéder à l’intime de ses convictions ». Attention, non pas à ce que vous faites, mais à ce que vous pensez, braves artistes !
La gangrène LFIste se cultive
Rien de très étonnant, quand on se rappelle que la chasse à l’impur idéologique ne date pas d’hier. En 2024, Julia Layani, militante engagée, était exclue d’un jury du festival de cinéma Chéries-Chéris, pourtant sous label LGBT, pour avoir mentionné les otages israéliens détenus à Gaza. « S’il y a des sionistes dans les équipes des films, ça serait bien de le savoir ! », lançait tranquillement une jurée. On lui interdit la scène, la parole et même le micro. Son témoignage aurait dû alerter, mais il n’a fait que confirmer la ligne : dans certains milieux, être juif, c’est déjà trop ; l’ouvrir sur Israël, c’est l’excommunication assurée.
En juin dernier, c’est à Amiens qu’un projet artistique a suscité la fureur des plasticiens militants. Motif : l’appel à candidatures concernait un bâtiment lié à la lutte contre l’immigration clandestine. Il n’en fallait pas davantage pour que le SNAPcgt s’étrangle et dénonce une « politique raciste et répressive ».
Et que dire de Donzy-le-National ? Petit festival rural autrefois centré sur l’écologie locale, Ciné Pause est devenu le laboratoire de la convergence des luttes et des appels au blocus. Cannes, lui, continue de briller, mais dans l’ombre des consignes : entre la sélection et le palmarès, tout doit désormais passer le tamis du politiquement correct.
À l’heure où les festivals ressemblent plus à des tribunes politiques que des scènes artistiques, gare à celui qui ne joue pas la même partition que les autres.
Aliénor de Pompignon