
Je mentirais si j’affirmais que la mort de ces deux personnalités qu’étaient Nicole Croisille et Philippe Labro m’a fait autant d’effets que celles de Jean-Paul Belmondo et Alain Delon, mais c’étaient deux figures de notre passé, du temps où la France brillait encore. À cet égard ils méritent le respect
Nicole Croisille, la chanteuse « américaine » – un temps meneuse de revue aux États-Unis où elle acquiert le sens du spectacle comme personne à son époque, sauf peut-être Line Renaud –, au timbre mélancolique si français – parce que nos plus belles chansons sont souvent des histoires tristes –, si je ne devais en retenir qu’une seule chanson, ce serait « Une femme avec toi », que je considère comme l’une des plus émouvantes du patrimoine français. Chanson d’amour mais pas seulement : hymne à la femme amoureuse… d’un homme. Idée inconcevable aujourd’hui que les néo-féministes ont choisi de haïr l’homme, blanc de préférence, et de le déconstruire jusque dans son corps. Et qui de mieux que cette chanteuse au regard hypnotique, rempli de tendresse, pour chanter cette déclaration d’amour avec cette incroyable élégance ?
Nicole Croisille aura su aussi démontrer qu’être française n’est pas une fatalité et qu’on peut emporter le monde entier avec soi, en interprétant le succès planétaire I’ll Never Leave You, sous le pseudonyme Tuesday Jackson, chanson pour le fillm Les Jeunes Loups, de Marcel Carné, qui n’aura hélas pas le succès de la chanson.
Toujours pour le cinéma, Nicole Croisille, chantera le morceau phare d’Un homme et une femme, composé par le prodigieux Francis Lai pour Claude Lelouch, deux hommes avec qui elle collaborera tout au long de sa vie, pour les bandes originales des films du réalisateur. Citons Vivre pour vivre – sans doute le meilleur film de Lelouch selon moi –, Les Uns et les Autres, Les Misérables, Itinéraire d’un enfant gâté. Lelouch lui offrira même quelques rôles dans ses films. Car Nicole Croisille savait aussi jouer, ce qu’elle fit pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Elle aura aussi été danseuse du corps de ballet de la Comédie française et se sera formée au mime auprès de Marcel Marceau, excusez du peu !
Femme polyvalente, femme de jazz et de variété, femme avant tout, Nicole Croisille est donc partie et plus personne ne lui téléphonera. Elle fut comme un arc-en-ciel ayant pu choisir sa vie, jamais fané, fini, foutu, et qui a finalement dit son dernier mort d’amour…
Concernant Philippe Labro, un autre amoureux de l’Amérique – qu’il voulait et qu’il a eue, pour reprendre une fameuse chanson de Joe Dassin –, dont je connaissais peu l’œuvre écrite, je parlerai plus volontiers du cinéaste. Certains de ses films sont bons et d’autres carrément exceptionnels. Je pense notamment à son polar implacable et non impeccable La Crime ou encore à L’Héritier, avec un Jean-Paul Belmondo au sommet. Je pourrais parler aussi de Sans mobile apparent, sa première rencontre cinématographique avec Jean-Louis Trintignant, Rive droite, Rive gauche, film où, entre autres, Carole Bouquet campe une remarquable et dangereuse femme jalouse, ou encore L’Alpagueur, sans oublier ce film confidentiel qui devait lancer la carrière d’un comédien appelé à faire de grandes choses : Tout peut arriver, avec un certain Fabrice Luchini.
À propos de l’Héritier, le final est un modèle du genre (à ne pas regarder pour ceux qui ne connaitraient pas le film !) :
Labro fut aussi parolier pour les stars du Yéyé, mais ce que je retiendrai surtout de lui c’est qu’il était un journaliste de tenue, loin des facilités langagières et des automatismes idéologiques. Pour preuve, il accorda très tôt sa confiance à Vincent Bolloré, le pestiféré honni par la gauche.
Petite anecdote, en novembre 1963, alors qu’il se trouvait aux États-Unis pour un numéro de l’émission mythique « Cinq colonnes à la une », Labro apprit l’assassinat de JFK et, en un bond, il fila à Dallas. De là il rédigea des articles pour France-Soir, dirigé alors par Pierre Lazareff. Un drame venait de lancer sa carrière.
Clin d’œil de l’Histoire peut-être, Nicole s’en est allée juste avant Philippe, comme Jean avait attendu que s’en aille Edith pour quitter à son tour la scène, le 10 octobre 1963 pour la première et le 11 pour le second. Piaf et Nicole Croisille chantaient, Cocteau et Labro écrivaient et faisaient du cinéma. Nicole chantait et Labro écrivait et faisait du cinéma…
Madame, monsieur, bonsoir…
Charles Demassieux