TÉMOIGNAGE - "J'ai été mobilisé malgré moi..." Papy Jo, le centenaire de l'Ardèche, héros discret de la Seconde Guerre Mondiale

illustration agrandir l'image

Ardèche : le village de Sécheras fête les 100 ans de "Papy Jo", l'un des derniers vétérans de la Seconde Guerre mondiale

Mobilisé très jeune en 1944, Joseph Lenci s'est battu pour la libération de la France, des plages du débarquement de Provence jusqu'au refuge autrichien d'Adolf Hitler. Mais il ne s'est jamais considéré comme un héros.

"J'en ai tellement vu dans ma vie, du bon et du mauvais, qu'aujourd'hui je repars à zéro chaque jour..." La voix est douce mais assurée, les mots conjuguent l'humilité et la distance : désormais centenaire, Joseph Lenci, que tout son village d'Ardèche appelle Papy Jo, ne s'est jamais pris pour un héros. Malgré les honneurs et les décorations qui se sont succédé au fil des ans.

Et pourtant, cet homme au regard doux et perçant à la fois s'est retrouvé au cœur des épouvantables batailles de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, depuis les plages du Var jusqu'au Berghof, la résidence personnelle d'Adolf Hitler dans les Alpes bavaroises en mai 1945.

Joseph Lanci est né à Rabat, au Maroc où son père, qui travaillait pour les PTT, avait été muté. Mobilisé, "à 18 ans et demi" précise-t-il, en janvier 1944 à Marrakech, il participe au débarquement de Provence en août 44, au sein du quatrième régiment de tirailleurs marocains.

Le débarquement sur les plages de Provence ? "On sautait des barges avec de l'eau jusqu'à la taille et les Allemands nous tiraient dessus depuis une butte. Si j'ai eu peur à ce moment-là ? Vous savez, à 18 ans et demi, on ne pense pas au danger. On avançait sans penser à quoi que ce soit. On était dans un nuage. Mais à chaque rafale, une quinzaine de gars tombait. Moi je suis passé au travers..."

Des plages de Provence jusqu'au Nid d'Aigle d'Hitler

Après le débarquement, Joseph enchaîne avec la campagne de France. "On est remonté vers le nord par le Jura et l'Alsace. C'est à ce moment-là qu'on est arrivés au Struthof ". Le camp de concentration de Natzweiler-Struthof, implanté en Alsace en 1941 et seul camp de concentration établi par les nazis sur le territoire français. "Quand on arrive au Struthof, on voit ces femmes et ces hommes, maigres comme des clous. On voulait leur donner du pain, ils n'acceptaient pas parce qu'ils avaient peur. Ils étaient perdus."

Pour Papy Jo, le héros très discret de Sécheras en Ardèche, la guerre est avant tout le souvenir de ses amis morts au combat • ©France 3 Rhône Alpes

Blessé en Alsace, il participera ensuite à la campagne d’Allemagne et celle d’Autriche au sein du 20e bataillon de chasseurs alpins. "On a traversé le Rhin le 1er avril 1945 à 14h30... sous les obus allemands. On a eu de la chance, on est passés." Joseph terminera son périple militaire à Berchtesgaden, au fameux Nid d'Aigle, la luxueuse résidence d'été d'Hitler en Autriche. Puis retour en Allemagne. Joseph et ses frères d'armes ont dû attendre un an après la fin de la guerre pour être démobilisés et pouvoir rentrer chez eux.

Essayer de ne pas se faire tuer

De ce qu'il a ressenti tout au long de cette épopée en enfer, Joseph Lenci retient surtout qu'il fallait avancer et ne penser à rien. "Les officiers nous disaient de faire attention à ne pas se faire tuer. On avançait et au fur et à mesure, il y avait toujours des morts...". Il n'en dira pas plus, ni sur la peur, ni sur la guerre. Mais 80 ans après, pour lui, le constat est sans appel. "Après la guerre, j'ai beaucoup pensé à tous mes camarades morts à 18 ans pour la France... Pour rien".

Dans un album à la couverture rouge pâlie par le temps, Joseph Lenci a gardé quelques dizaines de photos de ses deux années et demie au cœur de la guerre finissante. Ses camarades de régiment pour l'essentiel, mais aussi des clichés terribles des charniers du camp de concentration de Buchenwald, près de Weimar. "De voir tous ces gens entassés comme ça, c'était terrible, on ne pouvait plus parler..."

Pour raconter, témoigner de ce qu'il a vu et traversé, Joseph est toujours très réticent. "Quand je suis rentré, je n'allais pas bien. J'étais perdu. Ensuite, j'ai voulu tout oublier. Je ne voulais rien raconter. Et encore aujourd'hui..." Pourtant, il évoque aussi à demi-mot des souvenirs moins sombres de cette période. "Pendant l'année passée en Allemagne après la fin de la guerre, on était logés chez l'habitant. Là j'étais bien. C'était le seul endroit où j'étais bien. J'avais une amie à laquelle je donnais des cours de français..." Et il a gardé les lettres qu'elle lui écrivait, papier jauni et belle écriture penchée...

Quant aux honneurs qui lui ont été rendus après la guerre, sa Croix de Guerre, sa Légion d'Honneur, son diplôme d'honneur aux combattants, il les a acceptés "par politesse" mais on devine dans son regard et ses mots qu'il n'a eus depuis toutes ses années qu'une seule envie : refermer la porte de cette guerre et oublier.

Mais en Ardèche, dans le village de Sécheras, près de Tournon, où il s'est finalement installé, Joseph n'échappe pas à son statut de héros. Début juillet, pour fêter ses 100 ans, tout le village a célébré son parcours.

Et ce jour-là, malgré sa volonté de ne pas rouvrir le livre de ses souvenirs de guerre, Papy Jo n'a pas boudé son plaisir.

Silvie Boschiero

Date de dernière mise à jour : 18/08/2025

2 votes. Moyenne 4 sur 5.