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« Que peut-on, que faut-il dire aux hommes ? *»

Les mille et une vies d'Antoine de Saint-Exupéry, l'écrivain aviateur

Antoine de Saint-Exupéry nous a quittés le 31 juillet 1944. Avant de partir, il nous prévenait, d’une phrase, de ce qu’allait devenir le monde. Nous y sommes aujourd’hui : « La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. »

La termitière a bien grossi, depuis. Sept milliards d’individus se partagent une terre qui, si elle est encore capable de les enrichir, spirituellement et matériellement, a créé tant de différences que chacun peine à se nourrir en son sein avec la même satiété. Les écarts sont grands, et souvent injustifiés, chacun de nous peut en convenir. Certains vivent dans l’opulence, d’autres, beaucoup plus nombreux, dans la misère. Cela pourrait changer – c’est un vœu de poète – si tous ces passagers de la Terre vivaient en bonne intelligence et en paix pour voyager ensemble et partager les richesses innombrables de ce paradis. Hélas, nous en sommes encore loin. Certains par manque d’intérêt, de culture ou de volonté ne peuvent pas en profiter, d’autres accaparent ces richesses, car elles sont des outils de pouvoir quand ils se prennent au jeu de leur grandeur. Ils s’en réservent alors la jouissance, sans plus se préoccuper des besoins universels qu’elles devraient combler.

Pour cette raison et d’autres encore, la paix universelle n’est jamais advenue. Adviendra-t-elle d’ailleurs un jour ? Pourtant, aujourd’hui, le monde, avec ses innombrables richesses pourrait rendre l’Homme heureux ; pour le poète, des paysages merveilleux, pour l’aviateur, un ciel pur et pour tous des fruits savoureux qu’il suffirait de cueillir et de partager.

Mais le désordre ne cesse de s’installer. Dans ce monde qui aspire à la paix, certains violent, décapitent, et tuent encore pour imposer une autre vision du monde. Une autre vision ? Pour nous offrir le bonheur universel ? Pour nourrir ceux qui subissent la faim et le désespoir ? Pour apporter à toutes ces populations l’espoir d’un monde meilleur, d’une vie plus éclairée, plus créative ? Non ! Pour imposer un livre de dogmes, de pensées et des modes de vie délabrés d’un autre âge. Des prières trop visibles rongent peu à peu les fondements millénaires de la civilisation quand elles n’ont d’autre projet que la mort qu’elles précèdent. La mort pour rejoindre un paradis qui s’oppose, dans sa présentation idyllique, aux préceptes dont elle est l’arme, sur Terre, pour tenter de soumettre et d’asservir les humains qui partagent d’autres croyances, notamment celles d’un peuple dont l’étoile bleue brille aujourd’hui comme un signal pour l’humanité, qui se lève et combat pour sa survie… et peut-être aussi pour la nôtre.

Bien sûr, ces croyances, dans le passé lointain des civilisations, ont porté leur lot d’espérance et ont formé des bâtisseurs, mais même si elles ont aussi porté désillusions, oppositions et guerres, nombre d’entre elles sont aujourd’hui apaisées dans les consciences qui se rejoignent sur la possible entente des hommes, devenue une source d’espoir et de paix qui pourrait nous permettre de soigner et partager les richesses de notre Terre dans une concorde constructive.

Sachons faire cesser, par la force au besoin, ce conflit qui perdure depuis près d’un siècle, après plusieurs millénaires de progrès dans ce monde que des barbares tentent de soumettre et d’enfermer dans l’obscur précipice de la décivilisation. Rejoignons plus volontiers les bâtisseurs qui nous élèvent vers les hauteurs de la Citadelle, là où le soleil nous éclairera, loin de l’enfer et des brûlures de l’Élysée éclairé par la lune.

De l’autre côté, comme l’Homme ne se suffit plus à lui-même, il invente toutes sortes de robots. Des robots pour travailler à sa place, des robots pour penser à sa place et des robots pour bientôt le remplacer dans ses œuvres majeures. Et ces robots, qui sont le fruit de la Science, viennent peu à peu se mettre au service de l’intelligence dévoyée d’une caste qui projette de les développer à son seul service pour régenter le travail de l’homme. Qui projette de les utiliser pour mettre à son service des milliers d’individus rendus à l’esclavage comme aux pires époques de l’humanité. Paradoxe d’un monde dans lequel la communication est servie par des systèmes d’intelligence qui ne savent plus parler aux hommes qui ne se reconnaissent plus entre eux, qui ne savent plus vivre ensemble et qui ont oublié l’essentiel, se recueillir ensemble devant la beauté d’un monde qu’ils ont pourtant contribué à embellir à bien des égards. Leur intelligence s’est emballée pour ne plus servir, dans bien des cas, que leurs ambitions hégémoniques.

On peut vivre une spiritualité éclairante, avec ou sans Dieu, mais il est certainement dangereux de s’en remettre à des intelligences artificielles car elles finiront un jour par se croire investies pour remplacer la seule puissance universelle, qui place l’homme au centre de la vie, la pensée, et nous reviendrons alors à l’adoration païenne d’un dieu, beaucoup plus puissant que l’Homme, sur la Terre, sans utiliser la force de notre pensée, rationnelle, créatrice ou philosophique. Toutes les formes de raisonnement, nées chez l’homme dans le noyau de l’intelligence, magnifiée par des millénaires d’évolution, utilisées au service du bien, serviront alors à soumettre le monde aux diktats d’une caste privilégiée comme on le voit déjà se dessiner aujourd’hui.

Il n’y a point de vertu dans le mécanisme des mémoires d’ordinateurs. Juste des calculs dans lesquels la pensée n’intervient pas. La puissance d’un courant artificiel, comme celui qui apporte la lumière dans la maison familiale, mais qui ne remplace pas l’intelligence, la sensibilité et l’amour du père et de la mère, seuls géniteurs universels de l’enfant, le guidant, dans l’immense majorité des cas, dans une recherche du bien pour l’éloigner des sources du mal. « L’intelligence ne vaut qu’au service de l’amour. » écrivait encore l’Aviateur.

Alors il nous reste le jardin, le potager de notre maison de famille ou le jardin d’Eden à cultiver. Non pas dans un rêve, mais bien dans sa certitude philosophique ou spirituelle. Car, après tout, il semble important de laisser à chacun le privilège de sa propre pensée, à condition qu’elle s’inscrive dans une perspective apaisée de la vie, chacun en son âme ou sa conscience. « J’ai appris, dit le Petit Prince, que le monde est le miroir de mon âme… »  Il  nous a été offert, par la nature pour les uns, par une divinité pour les autres, et c’est peut-être là le secret d’un bonheur universel, celui de ne pas s’en disputer les frontières au seul prétexte d’un appétit de pouvoir et de richesses ou d’une gnose qui serait supérieure à une autre et qui, de ce fait, aurait une priorité sur l’ensemble des habitants de la Terre. Chacun a sa place, certaines justifiées par la Genèse, d’autres par une présence ethnique indiscutable et d’autres enfin par l’appropriation belliciste entérinée par les siècles et l’Histoire, même si certaines aujourd’hui peuvent paraître – paraître seulement – contestables.

Reste que, dans sa quête d’un absolu qui plaçait toujours l’Homme au centre de la Terre et de ses forces telluriques, Antoine de Saint-Exupéry nous prévient : l’Homme est fragile et belliqueux, inconscient et violent et il se détache d’un univers philosophique, qui le préparait à devenir plus sage, pour s’intéresser aux choses matérielles, aux richesses et à son apparence, plus qu’à son essentielle présence sur cette Terre qui ne demande qu’à vivre en bonne intelligence avec lui. « Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. » (Lettre au général X) ces dernières pensées d’Antoine de Saint-Exupéry, écrites la veille de sa disparition le 31 juillet 1944, sonnent comme un avertissement. Il nous dit déjà combien nous nous égarons depuis longtemps sur le chemin d’un monde sans conscience, sans amour et sans douceur, bordé de gratte-ciels qui sont autant de tours de Babel, construits sur des sols en béton où les jardins ne sont que des parterres artificiels sur lesquels ne pousse que l’indifférence, l’égoïsme et l’hédonisme.

On peut bien, dès lors, se demander ce que l’on pourrait dire aux hommes,  mais encore faudrait-il qu’ils veuillent bien écouter. L’essentiel, mot cher à Antoine de Saint-Exupéry, se trouve peut-être dans l’œuvre posthume qu’il nous a léguée, « Citadelle », quand il écrit : « Ils ne trouvent pas le sens des choses parce qu’il n’est point à trouver, mais à créer. »

Jean-Louis Chollet

* Lettre au général X le 30 juillet 1944

Date de dernière mise à jour : 31/07/2025

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