
« Sur la « casquette Bigeard » des quantités d’histoires circulent. Pour les uns, il (Bigeard) l’a conçue ; pour les autres elle sort des stocks de l’Afrika Korps de Rommel… peu importe, elle fait désormais partie de la panoplie du baroudeur, crâne rasé et tenue léopard à la chemise ouverte, manches retroussées… » (Le Point du 18 juin 2010 (1)).
La casquette nous vient d’Angleterre mais son apparition dans nos armées remonte à celle, devenue légendaire, du maréchal Bugeaud. Le duc d’Aumale en parle dans son ouvrage Les zouaves et les chasseurs à pied : esquisses historiques, publié en 1855. Il écrit ceci : « Le combat achevé, le maréchal s’aperçut que tout le monde souriait en le regardant : il porte la main à sa tête, et reconnaît qu’il était coiffé d’un simple bonnet de coton, comme le roi d’Yvetot de Béranger. Il demande sa casquette, et mille voix de répéter : « La casquette, la casquette du maréchal ! ». Or cette casquette, un peu originale, excitait depuis longtemps l’attention des soldats… ». La chanson La casquette du père Bugeaud date de 1846. C’était l’un des chants militaires de l’armée d’Afrique qui servira plus tard d’indicatif aux informations de Radio Alger. Mais aujourd’hui, pour changer un peu des récits de batailles plus ou moins glorieuses, plus ou moins tragiques, je vous parlerai d’une autre casquette qui a connu son heure de gloire en Algérie, la « casquette Bigeard » ou, pour ceux qui l’ont portée, la « Bigearde ». J’en conserve religieusement deux exemplaires dont l’un, le plus ancien, porte mon numéro de « plaque à vélo » (2) – 299 547 – marqué au feutre indélébile.
Quand je suis arrivé chez les paras-colos (3), Georges Pompidou avait remplacé De Gaulle mais les unités parachutistes sentaient encore le souffre. Celui que les Pieds-noirs surnommaient la Grande Zohra ne pardonnait pas aux régiments des deux Divisions Parachutistes d’Algérie d’avoir tous plus ou moins basculé dans le putsch des généraux d’avril 1961, à l’exception du 3e Régiment de Parachutistes Coloniaux (RPC), l’ex régiment de Bigeard. Dès le 30 avril 1961, le 1er REP (4), les 14e et 18e RCP (5) et les Commandos de l’Air avaient été dissous. Puis, dès le mois de juin, la 10e et la 25e DP avaient été rapatriées en métropole, dissoutes et fondues dans la 11e DLI : Division Légère d’Intervention. De Gaulle avait exigé que le mot « parachutiste » ne figure pas dans l’intitulé de cette nouvelle division. Certains historiens ont écrit que De Gaulle voulait carrément dissoudre la Légion Étrangère et les unités parachutistes. Pierre Mesmer, ancien officier de Légion, l’aurait convaincu de ne pas le faire. D’autres disent que c’est Georges Pompidou qui aurait été le défenseur de ces unités d’élite. Une chose est certaine, De Gaulle en voulait à ces militaires qui, selon lui, « ne voyaient pas plus loin que leur djebel ». Il voulait une force de frappe nucléaire, une armée plus moderne et surtout… plus docile. Les paras ont toujours eu un côté « rouleurs de mécanique ». Ils attachent de l’importance à leur tenue. Donc, pour nous « punir », de façon assez puérile, on nous avait retiré le treillis léopard (qui n’existait plus que dans le paquetage Afrique), nous étions en kaki, comme les autres. On avait même tenté de nous imposer un béret kaki-clair l’été, à la place de nos bérets rouges. Et la casquette « Bigeard » n’étant plus en dotation, nous l’achetions sur nos propres deniers. Comme je suis radin, c’est une raison suffisante pour j’y sois attaché, même si je sais que la casquette « Bigeard » ne devrait pas porter ce nom, pourtant glorieux.
Pour écrire l’histoire de la « Bigearde », il faut remonter au 28 février 1951. Ce jour-là est créé, à Hanoï, le 8e Bataillon de Parachutiste Coloniaux (BPC). La France mène en Indochine, une guerre de pauvres, une guerre de gueux. Nos soldats sont dotés de matériel hétéroclite, américain, britannique ou australien. Les paras du 8e BPC reçoivent le chapeau de brousse australien, qu’ils n’apprécient pas pour moult raisons. Ils le trouvent peu pratique, lourd et inesthétique.
En 1953, le capitaine Pierre Tourret, alors patron du « 8 », veut remplacer ce chapeau de brousse. Les croquis du sergent-chef Marc Flament posent les bases d’une nouvelle casquette. Elle s’inspire de plusieurs coiffes militaires : la casquette de l’armée impériale nippone, celle de l’Afrika Korps de Rommel, et, très vaguement, de la casquette HBT américaine. Comme il faut se débrouiller avec peu de moyens, on va utiliser comme matière première les capuches des vestes camouflées. Les casquettes sont fabriquées par des tailleurs locaux indochinois.
Lors de l’opération « Hirondelle », en juillet 1953, Tourret fait découvrir sa casquette au commandant Bigeard. La visière basse oblige le para à lever la tête ; le couvre-nuque le protège du soleil. Bigeard est séduit et adopte la casquette pour son 6e BPC à la fin de l’été 1953. Mais comme il aime se démarquer des autres, il la fait fabriquer en tissu windproof camouflé britannique, plus léger. En Indo, on ne parle pas encore de casquette « Bigeard » mais son port se généralise chez les parachutistes. Puis la défaite de Diên Biên Phu marque la fin de la guerre d’Indochine. Les 6e et 8e BPC, anéantis sont dissous en mai 1954. Une autre guerre attend les rescapés en Algérie.
Le lieutenant-colonel Marcel Bigeard prend le commandement du 3e RPC (6) en octobre 1955 en Algérie. Il veut donner à ses soldats le même prestige et la même gueule que ceux du 6e BPC d’Indochine. À cette époque, on réfléchit « à la confection de chapeaux de brousse légers et élégants », mais c’est la casquette d’Indochine qui sera retenue. En mars 1956, le 3e RPC adopte la casquette « Bigeard » avec son protège nuque. Dès lors, on surnommera les hommes du 3e RPC, les casquettes. La « Bigearde » va ensuite coiffer le 2e RPC en 1956, puis les 6e et 8e RPC en 1957. Elle deviendra réglementaire en 1959 pour l’ensemble des régiments parachutistes.
En 1962, après la guerre d’Algérie, on supprime le treillis camouflé. La « Bigearde » adopte une teinte olive unie. À la fin des années 80, retour du treillis camouflé. La casquette « Bigeard » adopte alors le camouflage « Centre Europe » (CCE). Aujourd’hui, elle est toujours portée par le 3e RPIMa de Carcassonne, l’ancien régiment de Bigeard. Qui sait, peut-être qu’un jour elle renaîtra au 8e RPIMa de Castres sous le nom de casquette « Tourret » car c’est dans cette unité – alors un simple bataillon – qu’elle est née il y a 72 ans. Ce serait sympa de « rendre à César ce qui appartient à César ». D’autant plus que le capitaine (puis commandant) Pierre Tourret est un héros de Diên-Biên-Phu que l’histoire semble avoir oublié. Le lieutenant-colonel Tourret, favorable au putsch d’avril 1961, a quitté l’armée deux ans après le bradage de l’Algérie française. Il est mort le 25 décembre 1991. Parler de « sa » casquette, c’est aussi pour moi l’occasion de lui rendre hommage.
Éric de Verdelhan
1) Article daté du jour du décès du général Marcel Bigeard.
2) La « plaque à vélo » est le surnom donné au brevet parachutiste militaire.
3) Ancienne appellation des régiments devenus, après la guerre d’Algérie, des RPIMa : Régiments Parachutistes d’Infanterie de Marine.
4) 1er REP : 1er Régiment Étranger de Parachutistes. Glorieux régiment détruit à Cao-Bang, puis à Diên-Biên-Phu et dissous le 30 avril 1961. Ce jour-là, la Légion Étrangère n’a pas fêté Camerone.
5) RCP : Régiment de Chasseurs Parachutistes
6) RPC : Régiment de Parachutistes Coloniaux