
Olivier Faure aurait-il enfin compris qu’il s’était fait berner par Sébastien Lecornu ? Ce dernier, dans sa langue technocratique désormais habituelle, a parlé de « suspension » de la réforme des retraites — mot aussi creux que rassurant — qui ne signifie ni suppression, ni amendement, mais un simple report cosmétique d’un texte inchangé. Bref, un rideau de fumée, une manœuvre de couloir typique d’un pouvoir qui ne réforme plus, mais manœuvre, esquive et calcule.
L’ironie est totale : après avoir sauvé le gouvernement d’une motion de censure, voilà que Faure menace désormais de le censurer… s’il ne « va pas plus loin » dans la distribution de mesures sociales et dans l’instauration de la fameuse taxe Zucman — invention fiscale magique censée faire pleuvoir la justice sur un pays ruiné. Ainsi va la France : de chantage en reniement, d’alliance improbable en contradiction totale.
Depuis les dernières législatives, notre nation ressemble moins à un navire en difficulté qu’à un bateau ivre, pour reprendre l’image visionnaire de Rimbaud : un bâtiment sans maître, battu par les vents contraires, livré à la houle des intérêts et des humeurs, tandis que son capitaine, grisé par sa propre parole, continue de jurer qu’il tient le cap.
Mais ce qui confine à l’absurde, c’est qu’un parti ayant recueilli 1,75 % des suffrages à la dernière présidentielle prétend aujourd’hui dicter sa loi à tout un pays. Ce socialisme fantôme, réduit à un groupuscule sans base ni boussole, fait et défait les équilibres du gouvernement comme un maître chanteur qui aurait trouvé un otage docile à l’Élysée.
Quant à Lecornu, fidèle soldat du Président, il incarne à lui seul la duplicité d’un système qui n’ose plus choisir. Il louvoie, un sourire complice aux Républicains, un baiser appuyé aux socialistes. À force de vouloir plaire à tous, il finit par tromper tout le monde.
Cette comédie pathétique, jouée sur la scène nationale, n’a plus rien de politique : elle tient du vaudeville, du théâtre de boulevard, sans rire ni noblesse. Le pays s’enfonce, les élites bavardent, les dirigeants gesticulent. La France, jadis phare du monde, n’est plus qu’un pays au bord du gouffre, vidé de toute autorité, où la médiocrité a pris le pouvoir sous couvert de consensus.
Le drame, c’est que personne ne semble vouloir redresser la barre. Les forces vives — celles qui croient encore à la nation, à l’ordre, au travail — sont reléguées au rang de spectateurs. Pendant ce temps, la République, enivrée par sa propre impuissance, tangue entre illusions sociales et lâcheté politique.
À ce stade, il ne s’agit plus de gérer le déclin, mais d’éviter le naufrage. Ce qui manque à la France, ce n’est pas un énième compromis de façade, mais une volonté ferme, une autorité assumée, une direction claire. Le pays est mûr pour un sursaut — à condition qu’il trouve enfin des dirigeants décidés à gouverner, et non à plaire.
Jean-Jacques Fifre