
Si le réseau McDonald’s devenait halal, il « triplerait son chiffre d’affaires ». Volontairement provocatrice, cette déclaration de Bernard Boutboul, président de Gira Conseil, cabinet spécialisé dans la restauration hors domicile, fait pourtant allusion à une réalité économique qui pourrait bien transformer radicalement ce marché de la restauration rapide que l’écologiste José Bové surnommait la « malbouffe ».
La stratégie halal de Quick
McDo, de très loin premier réseau de restaurants de « burgers », et même de la restauration rapide toutes catégories, avec plus de 1.500 restaurants, pourrait-elle vraiment tripler son chiffre d’affaires en passant au halal ? Ce qui est sûr, c’est que son (encore modeste) concurrent Quick a bel et bien doublé le sien en trois ans (de 250 à 515 millions d’euros), depuis son rachat par H.I.G. Capital, en 2021, et son passage au 100 % halal. Cette stratégie, indéniablement profitable, avait été introduite par le groupe Bertrand (Au Bureau, Volfoni, Hippopotamus, Léon, Jōyō, Le Paradis du fruit et Hanoï Cà Phê), précédent propriétaire de cette enseigne d’origine belge et qui détenait déjà aussi l’enseigne Burger King en France. L’idée était alors de miser sur l’augmentation de la population musulmane en Europe, et notamment en France (ainsi qu'en Belgique), de conserver un approvisionnement en viande classique chez Burger King et de faire progressivement passer l’enseigne Quick au Halal. Une stratégie assumée, et qui est passée par un accord de certification avec la grande mosquée de Lyon.
Un pari de croissance communautaire
Le succès de Quick s’explique tout d’abord par la croissance continue de la population musulmane, essentiellement nourrie par l’immigration et la natalité dans les familles issues de l’immigration. Mais sur les quelque 10 millions de consommateurs réguliers identifiés par l’institut spécialisé Solis, près de 3 millions ne seraient pas musulmans, soit parce qu’ils consomment du halal sans le savoir, soit que l’origine halal d’un produit n’interfère pas dans leur choix. Le halal en France, tous secteurs confondus, difficile à chiffrer précisément, se situerait entre 7 et 12 milliards d’euros. Il aurait progressé de près de 30 %, depuis 2010, ce qui ferait de la France le second marché halal au monde derrière la Malaisie. L’alimentaire constitue l’essentiel de ce marché, et en son sein, le halal en restauration rapide réaliserait un chiffre d’affaires d’environ 1,7 milliard d’euros, en croissance de 5 % chaque année.
Le halal fait des envieux
S’appuyant sur un noyau communautaire musulman mais en débordant pour fidéliser aussi des non-musulmans, la stratégie halal de Quick fait très logiquement des envieux. Car le marché du « burger » a tendance à s’essouffler et ses acteurs sont donc en recherche de stratégies permettant de relancer leurs ventes.
Mais si des enseignes de restauration rapide comme KFC (poulet) ou O’tacos (mexicain) sont déjà halal (sans trop le dire), Quick fait encore figure de précurseur dans le secteur des « burgers », avec jusqu’à récemment Point B comme seul concurrent sous enseigne. Mais l’enseigne américaine Five Guys, dont l’implantation en France se limite pour l’instant à 35 restaurants, vient de faire passer six de ses restaurants au halal, à Clichy, Créteil, Lille, Lyon et Marseille. Et l’enseigne assume publiquement ce choix, expliquant sur son site qu’elle veut proposer ses burgers et frites « au plus grand nombre ». Comme l’indique l’emplacement géographique des restaurants concernés, il s’agit bien là d’une stratégie commerciale s’appuyant sur un ciblage communautaire. Si les « burgers » contenant du bacon de porc y sont toujours au menu, ils sont cuisinés sur des plaques chauffantes et avec des ustensiles dédiés, « afin d’éviter tout risque de contamination croisée ». Le reste des viandes y est 100 % halal (certifié) et on n’y sert plus d’alcool.
Demain McDo ?
Pour l’instant, McDonald’s semble échapper à la contagion du halal, hésitant sans doute à risquer de désorienter une grande partie de sa clientèle en brouillant une image patiemment construite pour être « consensuelle ». Mais si la pression se faisait trop forte et que le géant américain décidait de changer lui aussi de stratégie, le marché des « burgers » serait alors capté quasiment entièrement par les acteurs de la certification halal. Un basculement économique, mais aussi culturel.
Etienne Lombard