Marine Le Pen peut-elle encore échapper à l’inéligibilité ?

Deux brillants avocats, Léonard Zerbib et Pierre Gentillet, réagissent à la condamnation de Marine Le Pen.

PALAIS DE L'ÉLYSÉE

Deux brillants avocats, Léonard Zerbib et Pierre Gentillet, réagissent à la condamnation de Marine Le Pen.

Ce lundi 31 mars, Marine Le Pen a été reconnue coupable de détournement de fonds publics à hauteur de 474.000 euros. Pour cela, elle a été condamnée à deux ans de prison ferme (sous bracelet électronique) et cinq ans d’inéligibilité. Cela, avec exécution provisoire.

Ce dernier point est celui qui pose question. Léonard Zerbib, avocat, chargé d'enseignement en droit constitutionnel, l'explique à BV : « À partir du moment où elle était déclarée coupable, c'était attendu qu’elle soit condamnée à de l'inéligibilité. Depuis la loi Sapin II, c’était obligatoire. Compte tenu des faits reprochés et de la culpabilité prononcée, le fait qu'il y ait une peine de cinq ans n’est pas très surprenant. » Il ajoute : « Ce qui est inédit, dans le contexte, c’est que l'exécution provisoire a des conséquences très graves sur les élections présidentielles de 2027. »

Encore un espoir ?

Avec cette condamnation, Marine Le Pen est, de fait, éliminée de la course à l’Élysée. À moins que… L’avocat balaye différentes hypothèses : « Il y en a une qui est farfelue, c’est que le législateur intervienne et qu’il dise : "on va changer les règles". Il y a, aussi, l’hypothèse de la grâce présidentielle, mais pour cela, il faut que la peine soit définitive. Or, Marine Le Pen a fait appel. Enfin, le Conseil constitutionnel peut juger de la recevabilité de la candidature de Marine Le Pen en 2027. »

Le juriste fait référence à une jurisprudence du 28 mars 2025 dans laquelle la plus haute juridiction indique que l'inéligibilité ne doit pas porter atteinte « à la préservation de la liberté de l’électeur ». Une décision des « sages » que Pierre Gentillet, avocat et enseignant, voit également comme une des options qui s’offrent à la candidate. Selon lui, « Marine Le Pen peut profiter de son procès en appel pour déposer une QPC [question prioritaire de constitutionnalité, NDLR] » et espérer la même réponse pour un élu de la nation que celle donnée pour un élu local, il y a trois jours. Car, dans le cas de la condamnation de Marine Le Pen, créditée de 37 % d’intention de vote pour les futures élections présidentielles, la préservation de la liberté des électeurs est indéniablement atteinte.

Ce qui inquiète Léonard Zerbib : « Cela pose une vraie question sur la séparation des pouvoirs entre juge et politique », estime-t-il. Il rappelle que « l'exécution provisoire est une manière d'éviter la récidive ou de lutter contre l'inefficacité de la peine » et, donc, que dans le cas de la figure de proue du Rassemblement national, cela peut sembler inapproprié. Pierre Gentillet le confirme : « Personne ne comprend le risque de récidive, car Marine Le Pen n’est plus présidente du groupe au Parlement européen, elle n’a pas d'antécédent judiciaire et pas conscience que ce qu'elle faisait était un délit. »

Il revient également sur les motivations du juge lorsqu'il a déclaré l'exécution provisoire : « Il y a un passage où la présidente dit : "Le tribunal s'est posé la question du risque de récidive qui est apprécié au regard du système de défense. Les prévenus contestent, donc il n’y a aucune prise de conscience de leur part.” Le tribunal ne s'intéresse pas à la bonne foi de Marine Le Pen. Le raisonnement est stupéfiant et dangereux. » L’avocat ajoute : « La présidente a clairement indiqué que la décision aurait un impact politique. Malgré la conscience de cette donnée électorale, on décide, au nom du peuple, de le priver de son droit de vote. On n’est plus dans un cadre démocratique. »

Un message inaudible

Sur le plan politique comme sur le plan sociétal, la condamnation ne sera pas sans conséquence. Léonard Zerbib le constate : « Je vois qu’il y a un fossé entre justiciable et justice, et cette décision risque de renforcer le désamour du justiciable pour la justice. » Difficile de lui donner tort. L’avocat apporte néanmoins une nuance : « Il y a beaucoup de commentaires anti-juge, ce qui est un peu injuste. Les juges sont en partie responsables, mais pas entièrement. Il y a un phénomène de politisation qui existe parfois, mais les juges sont là pour appliquer le droit. » Un droit que les politiques ont surdéveloppé en « multipliant l'arsenal juridique pour réglementer la transparence ». Est-ce à dire que la condamnation de Marine Le Pen est la conclusion d’un long processus politique ? Peut-être…

Sarah-Louise Guille

Date de dernière mise à jour : 01/04/2025

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