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"Un grand gourmand, mais tellement sympathique" : quand les chefs provençaux racontaient Jean-Claude Gaudin par le menu

En 2019, à l'occasion des 80 ans de Jean-Claude Gaudin, les chefs provençaux ont décrit l'amour de la table de l'ancien maire de Marseille, décédé ce lundi 20 mai à l'âge de 84 ans. La Provence republie l'article dans son intégralité.

Souvent ses collaborateurs l'ont pris les doigts dans le bocal. Dans le pot de bonbons multicolores que les serveurs de "La Villa", à Marseille, posent négligemment sur la table, à la fin du déjeuner. "Il faut lui enlever les mains", sourit Antony qui sert loups et gigots à Jean-Claude Gaudin depuis douze ans. "Un grand gourmand, mais tellement sympathique. On sent que le repas est un moment très important pour lui." "Il y a quelque chose de théâtral lorsqu'il passe à table", ajoute Gérald Passédat, chef trois étoiles du "Petit Nice", sous la Corniche.

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Cette "joie de bouffer"

Résumer la vie politique de Jean-Claude Gaudin, 80 ans aujourd'hui, c'est comme se promener devant un buffet garni de victuailles. "Rabelaisien" est l'adjectif qui vient naturellement. Observer le maire de Marseille parler politique à table, c'est avaler cette citation tirée de Gargantua : "L'appétit vient en mangeant." Jean-Claude Gaudin est une tablée généreuse à lui seul. Elle s'est étirée sur plus de cinquante ans, se nourrissant de sa gourmandise pour la cuisine traditionnelle et la politique à l'ancienne. Les plats en sauce et les soirées dans les commissions d'investiture. "Gaudin est le seul qui assume encore", souligne Jean-André Charial, doublement étoilé à l'Oustau de Baumanière, aux Baux. Assumer "la joie de bouffer", comme le résume le sénateur marseillais Bruno Gilles.

Cette "joie de bouffer", c'est un mélange infini d'anecdotes répétées à l'envi pendant qu'arrivent les coquillages et les supions, les poivrons grillés et les patates sautées. À table, le maire de Marseille, serviette blanche nouée autour du cou, est intarissable, rythmant ses analyses politiques d'un rapide coup de fourchette. "Il avait, pas très loin du Sénat, une adresse appelée 'D'chez eux' où l'on mangeait sans fin sur des nappes à carreaux, se souvient le sénateur, LR comme lui, Bruno Gilles, avec qui il a partagé tant de repas. On nous y servait des dizaines d'entrées avant un demi-poulet rôti et tous ses accompagnements, puis des desserts maison immenses, flans, îles flottantes, profiteroles. Un jour où l'on attendait un invité dont l'avion avait du retard, Jean-Claude a demandé des charcuteries pour patienter. Il nous remémorait des histoires du temps de Chirac en engloutissant jambons et saucissons. Quand le professeur de droit que nous attendions est arrivé, nous avions mangé jusqu'à plus faim. Et là Jean-Claude a dit 'Ah, on va pouvoir amener les entrées !'"

Gaudin "n'aime pas prendre la bouillabaisse"

Indissociable du politique, le gourmet cultive à table la même fidélité que dans la République. Radical biberonné au catholicisme social, il se détourne aussi peu de sa "famille politique", même si elle s'est régulièrement recomposée que de ses plats fétiches. Ainsi les côtes d'agneau et le millefeuille à la vanille chez Jean-André Charial aux Baux ou la dorade et le castel chez Michel, l'un de ses refuges préférés près de la plage des Catalans, à Marseille. "Difficile de le faire sortir du loup Lucie Passédat et des plats de poissons, sourit Gérald Passédat. De temps en temps, je réussis, à travers un entre-plats ou un avant-dessert, à lui faire découvrir une autre culture culinaire. Mais il est fidèle à la Provence, à la cuisine de sa mère."

Chaque année, lors de la fête des mères, Gaudin emmenait la sienne au "Petit Nice", prenant pour une fois le temps de manger, lui qui, une fois les pieds sous la nappe, n'a pas la patience d'attendre. "Je n'aime pas prendre la bouillabaisse, parce que la préparation prend trop de temps", glisse-t-il. Décideur à l'hôtel de ville comme au Parlement, dont il a longtemps dirigé les groupes politiques de droite, Jean-Claude Gaudin l'est aussi au restaurant. "En général, c'est lui qui choisit pour la table et ça ne traîne pas", s'amuse Antony à "La Villa", connaisseur des habitudes de "monsieur le maire". Ainsi la bouteille de Pibarnon rosé qui ne doit pas tremper dans un seau plein de glace, mais s'accompagner de glaçons dont il remplira le verre.

"Inutile de lui proposer des plats revisités ou épicés", indique Delphine Roux qui a ouvert "Madie les galinettes", sur le Vieux-Port, en 1995. Quelques semaines, à peine, avant que Jean-Claude Gaudin accède à l'hôtel de ville. Et s'installe depuis régulièrement à la table ronde, dressée au fond de ce temple de l'épaule d'agneau et de la blanquette. Duquel il sort toujours par la cuisine, tapant sur le bras des cuisiniers, demandant comment vont les enfants. "Je sais ce qui va le faire craquer, reprend Delphine. S'il ne va pas bien, je lui parle d'alouettes et il retrouve le sourire." Ces derniers mois, elle s'est inquiétée, pourtant. "Le drame de Noailles, avec ses huit morts, l'a tellement hanté qu'il en avait perdu l'appétit. Il me demandait de lui faire vite quelque chose avant de retourner à cette affaire, comme il disait. Jamais je ne l'avais vu comme ça." Dans les Mémoires qu'il publiera dans un an, la rue d'Aubagne laissera la marque d'un ulcère. Chez Gaudin, la table est un baromètre.

Une bulle, aussi, qui lui sert à alimenter ses décisions politiques. Lorsque la situation l'exige, il se réfugie ainsi dans sa salle à manger secrète, située sous son bureau, à l'hôtel de ville. Garnie d'une table et d'un coin canapé, on y mange en comité réduit après avoir descendu un escalier étroit. Entre les plats, on peut y reconstituer une carrière digne d'un livre. Ou d'un millefeuille.

François Tonneau

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 21/05/2024

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