
« Le général Pierre de Villiers n’est pas homme à s’emporter. Ton policé, goût de la nuance, l’ancien chef d’état-major des armées parle et écrit comme il commandait : économe de ses mots, sans emphase, avec une fermeté de granit. Pas de grandiloquence donc, pas de théâtre. S’il n’avait pas choisi pour servir la France la carrière des armes, il eût fait probablement un parfait diplomate. Cela ne rend que plus forte la colère froide qui affleure à chacune des pages de son dernier ouvrage. » (Raphaël Stainville, dans le "Journal du dimanche" le 3 décembre 2025).
Le général Pierre de Villiers sort son cinquième livre, "Pour le succès des armes de la France" chez Fayard. Quelques bonnes pages ont été publiées dans le "Journal du dimanche" ce mercredi 3 décembre 2025. L'occasion pour l'ancien responsable des armées françaises d'enfoncer le clou et de prévenir. Un livre, selon lui, ferait plus d'effet que de simples commentaires sur des plateaux de télévision. Il a sans doute raison car son message n'est pas passé inaperçu.
Qui est Pierre de Villiers ? 70 ans en été prochain, petit frère de Philippe de Villiers, beau-frère de l'actuel évêque de Fréjus-Toulon et d'un ancien préfet de Moselle, ancien élève de Saint-Cyr, Pierre de Villiers est l'un des militaires les plus importants du pays. Général d'armée depuis 2010, il a été le chef d'état-major des armées françaises du 15 février 2014 au 19 juillet 2017 et a été le premier chef d'état-major à avoir donné sa démission au Président de la République.
Sans doute que les relations entre Pierre de Villiers et Emmanuel Macron ont mal commencé, ou ont commencé sur un malentendu. Car c'est bien sous les mandats d'Emmanuel Macron que les pouvoirs publics ont pris conscience de la faiblesse de nos armées et de la nécessité d'augmenter ses budgets (jusqu'à le doubler en dix ans). Depuis plus d'une quarantaine d'années, à cause des déficits publics récurrents, les gouvernements ont toujours considéré l'armée comme une variable budgétaire en réduisant régulièrement les budgets militaires car c'était électoralement indolore : les militaires ne se rebellent pas, ne font pas la grève. Cela a poussé à prendre des mesures comme la suppression du service militaire, qui a permis de fermer de nombreuses casernes et de revendre beaucoup de foncier de l'État.
Le journal "Le Monde" a fuité des propos confidentiels du général Pierre de Villiers dans une audition devant la commission de la défense de l'Assemblée Nationale tenue le 12 juillet 2017, contestant la réduction des moyens pour l'armée prévue dans le budget voté sous François Hollande : « Je ne me laisserai pas baiser comme ça ! » avait-il lâché conformément au langage assez crû des militaires ! Sa colère pointait du doigt « l’incohérence entre les menaces, les missions et les moyens ».
Le lendemain, le 13 juillet 2017, dans le discours habituel aux armées la veille de la fête nationale, Emmanuel Macron, qui venait d'être élu Président de la République à 39 ans et dont la capacité à diriger l'État avait été régulièrement mise en doute pendant la campagne présidentielle, a voulu faire preuve de son autorité présidentielle, sans doute à mauvais escient. Il a rappelé : « Je suis vote chef ! », ce qui, en communication professionnelle, n'était pas bien malin car un chef dont l'autorité est là, n'a pas besoin de rappeler qu'il est le chef. Bref, c'étaient deux hommes en colère qui s'affrontaient publiquement. Le Président de la République a poursuivi : « Il n'est pas digne d'étaler certains débats sur la place publique. (…) Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression et de nul commentaire ! ».
ierre de Villiers a tenté un rétropédalage le même 13 juillet 2017 dans "Le Figaro" pour dire qu'il respecterait scrupuleusement les « engagements pris à l'égard du budget de la défense nationale ». Mais le soir du 14 juillet 2017, le général a publié un commentaire sur sa page Facebook, ce qui a agacé Emmanuel Macron qui s'est confié au "Journal du dimanche" le 16 juillet 2017 : « La République ne marche pas comme cela. Si quelque chose oppose le chef d'état-major des armées au Président de la République, le chef d'état-major des armées change. ». Après quelques hésitations, le chef d'état-major des armées a démissionné, fait inédit depuis 1958.
Cela lui a donné l'occasion de prendre du recul et de pouvoir s'exprimer publiquement sur la défense nationale. En huit ans, il a donc publié cinq essais, et certains l'imaginaient même candidat à l'élection présidentielle de 2022, faute d'autre homme providentiel sur le marché.
Or, les déclarations du général Pierre de Villiers aujourd'hui ont au moins l'utilité d'apporter un soutien aux avertissements réguliers exprimés par Emmanuel Macron et plus récemment par le nouveau chef d'état-major Fabien Mandon. Pierre de Villiers estime que les Français (ainsi que les pouvoirs publics) ne prennent pas encore assez la mesure des grandes menaces qui pèsent sur notre pays (et notre continent).
Certes, il n'est pas non plus tendre avec le Président de la République actuel : « L’histoire s’est écrite depuis ces huit années sous les yeux ébahis de nos dirigeants. Mais comment ont-ils pu ignorer tout ce que j’analysais, avec d’autres, il y a déjà plus de huit ans ? Myopie volontaire ? Mauvaise foi ? Méconnaissance des sujets géostratégiques ? Optimisme béat ? Naïveté ? ».
Et aussi, avec une dose de vanité en plus : « Les observateurs avertis se sont souvenus de mon départ précipité et de mes écrits annonçant l’instabilité du monde et le décalage entre le niveau de menaces, les missions militaires qui en découleraient et les moyens réellement opérationnels dans les armées françaises. Brutalement sont apparus au grand jour les lacunes capacitaires de notre modèle, le manque d’épaisseur de nos armées en équipements, en effectifs, en logistique et en budget. Le réveil présidentiel, à l’occasion du dernier 14-Juillet, m’est apparu singulier. J’avais décrit tout cela en détail dès 2017. Il n’est pas toujours bon d’avoir raison trop tôt. ».
Mais il le rejoint dans la prise de conscience des dangers encourus. Que dit-il ? Les mots sont forts : « La guerre est désormais possible, y compris sur notre propre sol. Nous devons prévoir le pire et penser l’impensable, compte tenu de l’accélération de la situation mondiale depuis 2015. Jusqu’à quand cette sorte de déni de guerre va-t-il dominer ? ».
Et de reprocher aux dirigeants politiques depuis décennies de n'avoir jamais pris en considération la réalité militaire : « Nos dirigeants ont perdu le sens du temps, sous la pression de l’instantanéité de nos sociétés et de la dépêche AFP de l’après-midi. Tout n’est pas possible, même avec l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies. Le temps s’est raccourci, mais il y a des rigidités incontournables. La remontée en puissance pour être capable d’avoir des armées engagées pour faire la guerre et la gagner nécessitera au moins dix ans. ».
En voulant dire la vérité, le général Pierre de Villiers voudrait surtout réveiller les Français : « La France parle beaucoup aujourd’hui du réarmement et affiche des ambitions budgétaires, elle continue de vivre comme si la paix devait être éternelle. On croit avoir du temps, mais la guerre moderne n’attendra pas nos démocraties européennes. ».
Cette prise de conscience est progressive et de plus en plus de personnalités politiques commencent à réellement s'inquiéter, en raison des discours agressifs de Vladimir Poutine mais aussi de Donald Trump contre l'Europe. À l'instar de l'ancien Ministre de la Défense Gérard Longuet qui appelle à un plus grand patriotisme de ses compatriotes. Espérons que le cri d'alarme lancé par le général Pierre de Villiers ne soit pas trop tard !
Sylvain Rakotoarison
