
Au cœur du Marais, la place des Vosges, joyau du patrimoine parisien, suscite aujourd’hui une polémique sur fond de tension municipale entre la droite et la gauche : un projet de transformation de l’Hôtel de Fourcy en 17 logements sociaux. Après un chantier de restauration très couteux, près de 7,7 millions d’euros, la Ville de Paris a choisi d’offrir des loyers modérés à des travailleurs modestes dans un lieu prestigieux. Si certains y voient un acte fort en faveur de la mixité sociale, d’autres dénoncent un projet mal pensé, une opération électoraliste gaspillant l’argent public et menée au détriment de classes moyennes bien souvent oubliées.
Le projet de logements sociaux
La Ville de Paris, en partenariat avec CDC Habitat Social, a adopté ce 18 novembre la proposition de réhabiliter l’Hôtel de Fourcy, situé place des Vosges, pour y installer 17 logements sociaux ainsi que quatre commerces. Le coût total de l’opération : 7,6 millions d’euros, dont une subvention municipale de 2,3 millions. Les travaux envisagés pour accueillir dignement les futurs locataires comportent une restauration complète du bâtiment, la rénovation des façades, un renforcement de la structure, une isolation thermique performante et un raccordement au chauffage urbain. Selon les partisans du projet, c’est la démonstration qu’on peut conjuguer ambition sociale, « préservation du patrimoine et préservation du climat ». En effet, l’écologique et le social, comme toujours, n’a pas de prix lorsque l’argent engagé est public.
Pour la majorité municipale, l’adoption du projet est un signal politique fort : installer du logement social dans un quartier très chic, « garantir la mixité sociale dans chaque arrondissement et casser les ghettos des plus riches », « c’est affirmer que le droit à la ville, le droit à habiter le centre de Paris, n’est pas réservé aux plus riches », selon Jean-Philippe Gillet, élu communiste du 19ᵉ arrondissement.
Jacques Baudrier, adjoint à la Maire de Paris en charge de la construction publique, s’est, quant à lui, réjoui de voir bientôt sur la place des Vosges « des éboueurs, des infirmières, des auxiliaires de puériculture » et de ne pas céder l’hôtel de Fourcy ni au « capital » qui « a perdu » ni à un « hôtel 5 étoiles ou la résidence d’un milliardaire ». Une déclaration qui sonne comme une pique à Xavier Niel, propriétaire de l’Hôtel Coulanges, ainsi qu’aux établissements haut de gamme déjà présente sur la place, tels que le Cour des Vosges ou le Pavillon de la Reine, qui participent pourtant depuis longtemps à son prestige.
Une opposition à droite
Les opposants, notamment à droite, dénoncent ce projet. D’aucuns craignent que ces 17 logements très coûteux ne détournent des financements publics qui pourraient être investis dans la rénovation de logements sociaux plus nombreux et souvent dans un état préoccupant ailleurs dans la capitale. Aurélien Véron, élu de droite, regrette cette « hérésie », cette « mesure coûteuse et démagogique ». Selon lui, les fonds publics sont très mal utilisés et auraient permis d’acquérir, pour un prix moindre, deux autres immeubles offrant une surface habitable nettement supérieure à celle de l’Hôtel de Fourcy.
L’ancien préfet Michel Aubouin va plus loin : il qualifie le projet de « folie absolue », estimant lui aussi qu’il s’agit plus d’un coup de communication politique que d’une véritable réponse à la crise du logement. « On ne pourra pas loger toutes les familles qui ont besoin de logement dans Paris sur les Champs-Élysées », ajoute-t-il. Un constat partagé par d’autres élus de droite, qui déplorent une politique tape à l’œil réservant un logement dans un cadre luxueux à quelques ménages modestes tandis que les classes moyennes parisiennes, très largement majoritaires, peinent toujours à se loger dans Paris sans qu’aucune mesure ne leur soit véritablement destinée. Ainsi, pour eux, orienter l’argent public vers des HLM de prestige ne règlera pas la crise du logement qui touche surtout ceux qui ne sont ni très pauvres ni très riches.
Histoire d’un lieu
La place des Vosges, aujourd’hui l’un des joyaux du Marais, fut conçue sous le règne d’Henri IV qui décida, en 1605, d’y ériger la toute première « place royale » de France. Achevée en 1612, deux ans après l’assassinat du Vert Galant, elle est inaugurée lors d’un grand carrousel célébrant les fiançailles de Louis XIII et d’Anne d’Autriche.
Elle adopte alors un plan carré harmonieusement agencé avec 36 pavillons identiques, tous construits en briques rouges avec des chaînages de pierre blanche et coiffés de toits en ardoise, à l’exception des pavillons du Roi au sud et de la Reine au nord, qui se distinguent par leur élévation. La place connaît également des changements de nom au fil des siècles : sous la Révolution, elle devient la place des Fédérés ou encore la place de l’Indivisibilité, avant d’être rebaptisée définitivement place des Vosges en 1800 par Bonaparte. En effet, ce département fut récompensé ainsi pour avoir été le premier à répondre à l’appel lors des guerres révolutionnaires et à verser l’impôt exigé par la Nation.
Parmi les bâtiments qui bordent la place se trouve notre fameux Hôtel de Fourcy, sujet de tant de débats actuels. Daté de 1608, il a été classé monument historique en 1954. L’édifice a également abrité le poète et écrivain Théophile Gautier au XIXᵉ siècle et, selon la volonté de ses héritiers, l’édifice a été donné à la Ville de Paris en 1930 pour devenir un lieu d’enseignement. Ce souhait fut alors respecté avec la fondation d’un lycée professionnel portant son nom.
Il est ainsi malheureux de voir ce lieu d’histoire, de culture et d’instruction devenir aujourd’hui l'objet et la victime de projets portés par une municipalité de gauche davantage soucieuse de soigner son image en vue des prochaines municipales que d'utiliser avec intelligence et efficacité l'argent et le patrimoine des Français.
Eric de Mascureau