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POLITIQUE - Les « pleins pouvoirs » ? Emmanuel Macron peut-il (vraiment) activer l’article 16 de la Constitution

Emmanuel Macron « prendra ses responsabilités » si les négociations de  Sébastien Lecornu échouent

POLITIQUE - La crise peut-elle pousser Emmanuel Macron à prendre les pleins pouvoirs ? Dans l’impasse politique actuelle, terriblement illustrée par la démission surprise de Sébastien Lecornu, le président de la République se retrouve seul en première ligne. Dans ce qui apparaît comme une ultime tentative de trouver une porte de sortie, il a donné jusqu’à mercredi 8 octobre au soir au Premier ministre démissionnaire pour arriver à un compromis avec les partis politiques. Faute de quoi, le chef de l’État « prendra ses responsabilités ».

La formule lâchée par son entourage est suffisamment floue pour ouvrir la porte à toutes les interprétations. Majoritairement, les pronostics sont sur une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, à laquelle tous les camps se préparent depuis des semaines voire des mois. Mais, d’autres options sont-elles sur la table ? Interrogé, un membre de l’entourage présidentiel a répondu qu’il y avait « plein de possibilités dans le cadre républicain ».

Il n’en fallait pas plus pour (ré) alimenter les rumeurs d’un recours à l’article 16 de la Constitution, notamment dans les sphères souverainistes, les réseaux d’extrême droite et conspirationnistes. Emmanuel Macron, qui frôle son record d’impopularité premier et second mandat confondus, pourrait-il s’octroyer les « pleins pouvoirs », selon l’expression populaire ?

« Rien de moins d’un coup d’État »…

L’article 16 n’a été utilisé qu’une seule fois dans l’histoire de la Ve République : par le Général de Gaulle lors du putsch des généraux en Algérie en 1961. Il dispose que « le président de la République prend les mesures exigées » dans certaines circonstances. Dis autrement : « des mesures prises dans le domaine de la loi ayant pour effet de déroger aux droits et aux libertés constitutionnellement garanties, pourvu que les circonstances l’exigent », traduit pour Le HuffPost Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole.

Quant à ces fameuses « circonstances », elles sont cruciales et dûment circonscrites : il faut que d’une part que « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux (soient) menacées d’une manière grave et immédiate » et d’autre part que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels (soit) interrompu. »

La situation actuelle, avec une Assemblée paralysée, un Premier ministre qui ne parvient même pas à constituer son gouvernement et des inquiétudes sur le budget 2026, peut-elle correspondre aux critères ? Non, tranche catégoriquement Mathieu Carpentier. Car pour que l’article 16 soit activé, il faut satisfaire à ces deux conditions « cumulatives ». Bien que démissionnaire, le gouvernement de Sébastien Lecornu expédie toujours les affaires courantes et le fonctionnement des pouvoirs publics n’est donc pas interrompu. Et en parallèle, « il n’y a pas de menace grave et immédiate » telle qu’une insurrection armée ou une menace aux frontières, détaille le spécialiste. Avoir recours à l’article 16 dans le contexte actuel « ne serait rien de moins qu’un coup d’État », estime Mathieu Carpentier.

... mais « un coup d’État légal »

« Un coup d’État légal », complète Jean-Jacques Urvoas, professeur de droit public à Brest, joint par nos soins. Dans les faits, « même si les conditions ne sont pas réunies pour déclencher l’article 16, le président peut le faire » et « personne » ne peut s’y opposer, ni les présidents de l’Assemblée et du Sénat, ni celui du Conseil constitutionnel qui doivent être « consultés ». Pour preuve, lorsqu’en 1961 Charles de Gaulle y a recourt, la circonstance d’une « interruption » du fonctionnement des pouvoirs publics n’est pas remplie. Ce qui n’empêche pas son déclenchement.

Depuis, un semblant de garde-fou a été ajouté lors de la révision constitutionnelle de 2008 de Nicolas Sarkozy : la saisie du Conseil constitutionnel, « après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels » par les présidents des chambres parlementaires ou par des élus. Mais ce n’est qu’un semblant. Car le Conseil constitutionnel ne rend qu’« un avis public », mais rien de coercitif. « L’avis peut être défavorable, cela ne change rien. Ce n’est qu’une information à destination de l’opinion qui n’interrompt pas son exécution », détaille l’ancien Garde des Sceaux.

En réalité, seul le président de la République peut mettre fin à ce régime d’exception. Certes, le Parlement peut « se réunir de plein droit » et l’Assemblée ne peut être dissoute sur la période, mais ses pouvoirs sont limités et ne lui permettent pas d’intervenir. C’est ce qu’on appelle « une dictature à la romaine » où « l’État se sauve en se remettant entre les mains d’un homme providentiel, en espérant que l’homme providentiel ne gardera pas le pouvoir pour lui », explique Jean-Jacques Urvoas. En 1961, le général de Gaulle avait pris six mois avant de revenir à un régime classique. Le putsch d’Alger, lui, n’a duré que six jours.

Jade Toussay

Date de dernière mise à jour : 08/10/2025

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