
Nous sommes sous l’Assemblée Législative (1er Octobre 1791-20 septembre 1792). Les troubles continuaient et s’intensifiaient. L’héritage était lourd de menaces. Les forces en présence s’opposaient et des acteurs nouveaux apparurent : à droite 264 Feuillants, à gauche 136 Jacobins, au centre 350 Indépendants. Il n’y avait pas d’accord entre le Roi et l’Assemblée. Les difficultés s’ajoutaient et s’accentuaient : troubles de nature religieuse, troubles de nature politique, troubles de nature économique, troubles de nature sociale.
La guerre étrangère allait compliquer toutes ces difficultés. La volonté de guerre était quasi générale : Louis XVI, La Fayette et les Feuillants, les Jacobins, les Girondins. Une seule voix s’éleva contre la guerre, celle de Robespierre aux Jacobins. La guerre menaçait.
Au début de 1792, un double mouvement se mit en place et progressa : le mouvement démocratique avec les sans-culottes et le mouvement belliqueux avec les partisans de la guerre.
La guerre allait entraîner la chute de la royauté. Les débuts de la guerre furent mauvais : échecs diplomatiques, échecs militaires, excitation d’une population très énervée.
Le conflit entre le Roi et l’Assemblée se développa. De nouvelles difficultés intérieures conduisirent à la journée du 20 Juin 1792 : invasion du château des Tuileries. Et la journée du 20 Juin aura des répercussions : recrudescence des sentiments royalistes, approbation des manifestations parisiennes par les clubs jacobins, les sociétés populaires, les municipalités de l’Est et du Midi comme celle de Marseille, décret de la Patrie en danger le 11 Juillet 1792.
Dans ces circonstances, l’irritation contre la royauté grandit, d’autant que le personnage douteux de Dumouriez (1739-1823) expliquerait les premières défaites militaires de la monarchie. Dumouriez, franc-maçon, Illuminé ou pas, toutefois, il participe au complot maçonnique. Quand la Révolution commence, il est au service du Roi, mais le trahit. Car il est lié avec Mirabeau et La Fayette, tous deux Illuminés, et avec le duc d’Orléans dont il est un partisan sans l’avouer. Il s’inscrit aux Jacobins en 1790, flatte un peu tous les partis et devient ministre des affaires étrangères en Mars 1792. C’est lui qui décide Louis XVI à la guerre et il a des arrière-pensées. Dumouriez n’est pas un militaire fiable. Quand la guerre commence, il n’y met sans doute pas toutes ses compétences, soit parce qu’il est soudoyé par l’Autriche, soit parce qu’il est rattrapé par son passé d’espion. Dumouriez peut participer au « comité autrichien ».
En tout cas, la rumeur sur la présence du Roi dans un comité autrichien produisit un effet catastrophique dans l’opinion. Puis deux faits nouveaux accrurent encore l’émotion et apportèrent aux ennemis de la monarchie des arguments et des concours supplémentaires.
Le premier fait fut l’arrivée des fédérés à Paris. Les fédérés, des Gardes nationaux des départements, endoctrinés par les clubs et les sections, parmi eux des exaltés très actifs. Le décret du 8 Juin avait décidé de les réunir en un camp sous les murs de Paris. Malgré le veto de Louis XVI, ils s’étaient mis en marche. Les Marseillais venaient de parcourir la France en déclamant sur leur passage les strophes d’un chant militaire composé par un officier de l’armée du Rhin, Claude-Joseph Rouget de Lisle (1760-1836). Un chant dont les vers prêchaient la haine des tyrans, des traîtres et des rois « conjurés ».
Les Parisiens avaient organisé dans leurs quartiers ou sections de véritables petites municipalités obéissant aux mots d’ordre du club des Cordeliers. Poussés par Robespierre, ils demandaient la déchéance du Roi et la convocation d’une nouvelle Assemblée. Le même état d’esprit régnait dans ces sections parisiennes et chez les fédérés.
Le deuxième fait fut le manifeste de Brunswick. L’exaltation croissante de la population frappait le Roi et son entourage. Marie-Antoinette pressa les souverains ennemis de faire paraître une déclaration menaçante. Un émigré, le marquis de Limon, rédigea cette déclaration, que le duc de Brunswick signa à son quartier général de Coblentz, le 25 Juillet 1792. Le manifeste fut connu à Paris le 1er Août, et publié dans Le Moniteur du 3 Août. Ce document menaçait Paris d’une exécution militaire et d’une destruction totale si un nouvel outrage atteignait la famille royale. Les Gardes nationaux pris les armes à la main seraient punis comme rebelles à leur Roi.
Le manifeste mettait en évidence la solidarité du Roi, de l’étranger, des aristocrates. Il fit un tort énorme à Louis XVI qui prenait figure de protégé de l’ennemi. Il suscita un intense mouvement de défense nationale, il exaspéra les révolutionnaires et les poussa aux mesures extrêmes. L’opinion rendit la royauté responsable. En vain, Louis XVI désavoua ce manifeste maladroit.
De pareilles menaces ne pouvaient que soulever Paris et la France contre le Roi jugé complice de l’étranger. Les Girondins commencèrent à s’inquiéter de la poussée révolutionnaire qu’ils avaient favorisée, mais dont ils n’étaient plus les maîtres. Derrière les fédérés et les sectionnaires, ils sentaient manoeuvrer des ambitieux comme Robespierre. Ils redoutaient dans une insurrection la mise en péril de la propriété privée et de la richesse, ils essayèrent de gagner du temps, ils se rapprochèrent même du Roi auquel ils offrirent secrètement leurs services.
Mais le mouvement ne pouvait plus être arrêté. Les Girondins assistaient, impuissants, à la préparation du coup de force qui allait renverser la monarchie. Une épreuve de force devenait inévitable. La réponse au manifeste de Brunswick fut l’insurrection du 10 Août. Le conflit entre le Roi et les révolutionnaires aboutit à la journée du 10 Août.
Dans la nuit du 9 au 10 Août 1792, un mouvement formidable éclata dans Paris. De part et d’autre, on se prépara pour la lutte. Mandat de Grancey, constitutionnel décidé, et Roederer, procureur, syndic du département, organisèrent la défense des Tuileries, avec 5 000 hommes environ : 900 Suisses, 200 à 300 gentilshommes dévoués au Roi, 900 gendarmes, 2 600 Gardes nationaux beaucoup moins sûrs.
Les troupes de la révolte comprenaient des Gardes nationaux, les fédérés marseillais, et les ouvriers des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau.
Des commissaires désignés dans les sections se rendirent à l’Hôtel de Ville, proclamèrent la dissolution des autorités légales et installèrent une Commune insurrectionnelle.
Le 9 Août, à dix-neuf heures, la Législative termina sa séance sans avoir discuté de la déchéance du Roi. Les révolutionnaires passèrent aux actes. Un peu avant minuit, le tocsin se fit entendre. A ce signal, les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau se dressèrent en armes, les fédérés sortirent de leur caserne. Dans la nuit, les commissaires des sections se réunirent à l’Hôtel de Ville et décidèrent de prendre en mains le gouvernement de la capitale.
Le 10 Août, à six heures du matin, par mesure de « salut public », ils suspendirent de ses fonctions la Commune légale et s’organisèrent en Commune insurrectionnelle. Les principaux personnages de cette Commune étaient Danton et Robespierre, les animateurs sont le journaliste Hébert, le cordonnier Simon, l’ouvrier bijoutier Rossignol, et Marie-Joseph Chénier, adepte de la déesse Raison, frère du poète André. Le maire Pétion, apeuré, et décidé à laisser faire, resta chez lui sous bonne garde. Mandat de Grancey, commandant de la Garde nationale, suspecté de fidélité monarchique, fut convoqué à l’Hôtel de Ville, eut l’imprudence de s’y rendre, fut arrêté, destitué, remplacé par Santerre, l’un des meneurs des faubourgs. Quelques heures plus tard, en sortant de l’Hôtel de Ville pour aller en prison, Mandat de Grancey fut massacré par les révolutionnaires.
La défense des Tuileries se trouvait ainsi désorganisée, avant même l’engagement de la défense. Tout était prêt pour l’attaque décisive : l’attaque des Tuileries.
Dès sept heures du matin, ce 10 Août 1792, les premières troupes des insurgés apparurent devant les Tuileries : les fédérés marseillais et les Gardes nationaux du faubourg Saint Antoine. A leur approche, Louis XVI passa en revue les défenseurs du palais. Il fut bien accueilli par les Suisses et les Gardes nationaux des quartiers bourgeois. Mais il fut hué par les autres soldats. Il se laissa persuader par ses ministres et par le Procureur général du Département Roederer, que la lutte était impossible et qu’il n’y avait de salut que dans la fuite.
Malgré Marie-Antoinette, vers dix heures du matin, la famille royale quitta le château, traversa le jardin des Tuileries, vint chercher asile à l’Assemblée. Le Roi, se plaçant à gauche du Président, dit à l’Assemblée :
« Je suis venu ici pour éviter un grand crime, et je me croirai toujours en sécurité avec ma famille au milieu des représentants de la nation. J’y passerai la journée ».
L’Assemblée applaudit, le Président Vergniaud, un Girondin, répondit :
« L’Assemblée nationale connaît tous ses devoirs. Elle regarde comme un des plus chers le maintien de toutes les autorités constituées. Elle demeurera ferme à son poste, nous saurons tous y mourir ».
On applaudit encore. Comme la Constitution interdisait aux députés de délibérer en présence du souverain, on lui donna pour asile un étroit réduit réservé, derrière le fauteuil du Président.
Presque aussitôt, la bataille commença aux Tuileries où il ne restait que les Suisses et les gentilshommes, les autres troupes ayant abandonné leur poste. Les Tuileries avaient déjà été envahies le 20 Juin 1792. Le 10 Août, elles allaient être le théâtre d’un bain de sang, celui des Gardes Suisses fidèles au Roi.
Dans le Livre noir, Ghislain de Diesbach, écrivain issu de la famille d’un Garde suisse mort pour la monarchie (1931-2023), écrit : « Pendant deux siècles, le régiment des Gardes suisses a été l’un des plus beaux fleurons de l’armée française ». Les Gardes suisses étaient attachés à la garde rapprochée du Roi. Le 10 Août, ils allaient le payer de leur vie, de par la faiblesse du Roi, mais aussi, comme en Juillet 1789, par la trahison de la Garde nationale, « plus disposée à prêter main-forte aux émeutiers qu’à les réprimer ». La Garde nationale était sous l’autorité de La Fayette, qui se rendit donc complice des extrémistes de la Commune.
Le 10 Août 1792, les Tuileries furent attaquées, non par le peuple français, mais par des mercenaires étrangers mêlés à un groupe de forçats, libérés à cet escient du bagne de Toulon, et intitulés à tort les « Marseillais ». La République donnera leur nom à l’hymne devenu national. Et la grande faux républicaine tuera les Français par centaines de milliers pendant la Révolution, puis par millions au XXè Siècle.
Participèrent également une bande d’Allemands commandée par Westermann, maçon et ami de Danton, dont la carrière criminelle se poursuivra en Vendée, et deux à trois cents Italiens, avec à leur tête Pétion et Santerre.
Selon la version officielle, une fois à l’Assemblée, Louis XVI « envoya le comte d’Hervilly porter au château un ordre de cessez-le-feu ». D’autres historiens disent que le franc-maçon d’Hervilly a donné l’ordre « au nom du Roi ». Ce n’est pas pareil.
Contrairement à la version officielle, Louis XVI ne donna pas l’ordre de cessez-le-feu, il le constata. Le cessez-le-feu n’a pas été ordonné « par » le Roi, mais « au nom du Roi », et sans qu’il ait été consulté. Certains qui étaient auprès du Roi en ont témoigné.
La Garde suisse a été trompée, d’autant que le Roi leur demandait de regagner leur caserne, croyant que le combat avait cessé, alors que d’Hervilly leur dit de se rendre à l’Assemblée, « ayant mal lu le billet du Roi ».
Une partie des Gardes suisses alla à l’Assemblée, d’autres restèrent aux Tuileries. Dans un cas comme dans l’autre, ce fut le carnage. On leur demanda de cesser le feu, ils se firent exterminer, et la Garde nationale retourna ses canons contre eux. Puis vint la curée.
Aux Tuileries, « les fédérés traquaient les Suisses à travers les appartements …, les Suisses furent éventrés, empalés, ou saignés à mort. Des viragos, femmes d’allure masculine, les déculottèrent, leur tranchèrent le sexe ou se firent des cocardes avec leurs boyaux ». Les Gardes suisses, de beaux gaillards, avaient une réputation de séducteurs. D’où peut-être la vengeance de quelques mégères délaissées ou de « féministes » haïssant les hommes.
On mangea aussi le coeur. Comble de l’horreur, il y avait des petits tambours. On jeta ces enfants par la fenêtre ou dans des chaudières pour les faire bouillir. « Un tambour de neuf ans, qui sanglote, accroché au cadavre de son père, est cloué à coups de baïonnette sur celui-ci ».
La journée du 10 Août 1792 aboutit à une victoire complète des insurgés qui occupèrent le palais des Tuileries. Puis la Législative, cédant à la loi du vainqueur, suspendit le Roi de ses fonctions et le remplaça par un Conseil exécutif provisoire. La prise du château des Tuileries décida du sort de la royauté. En quelques heures, la monarchie avait cessé d’exister.
La journée du 10 Août 1792 fut, après la journée du 14 Juillet 1789, une deuxième grande victoire des révolutionnaires, non du peuple, puisque le peuple était déjà la victime, et sera encore plus la victime de la Révolution, qui profita exclusivement à la bourgeoisie.
L’essai de monarchie libérale s’achevait. Cette seconde révolution n’est pas nationale, comme on le prétend. Elle est l’oeuvre des fédérés de province, des sectionnaires parisiens, et surtout des mercenaires étrangers, présents dans ces deux groupements. Cette seconde révolution est politique et sociale. La noblesse libérale et la haute bourgeoisie des Feuillants disparaissent. Les Girondins, accusateurs de la monarchie ont, en dernière heure, défailli. Par crainte qu’un échec de l’insurrection n’entraîne des conséquences pires qu’après le 20 Juin, ils se condamnent.
L’admission des citoyens passifs dans la Garde nationale, le suffrage universel, font des artisans et des boutiquiers les nouveaux acteurs de la scène politique. La révolution du 10 Août annonce une République « populaire et démocratique ».
Des décisions politiques marqueront la fin de la monarchie constitutionnelle et censitaire et l’avènement d’un régime républicain et « démocratique ».
L’Assemblée législative assuma tous les pouvoirs et nomma un Conseil exécutif de six membres, parmi lesquels figuraient Danton, ministre de la justice, Roland, Clavière et Servan, anciens ministres brissotins, Monge et Lebrun, deux hommes politiques proches des Brissotins (ou Girondins).
L’Assemblée législative décréta que le peuple français serait invité à élire une Convention, c’est-à-dire une nouvelle Assemblée Constituante, sans distinction de citoyens actifs ou passifs.
L’Assemblée législative décréta la suspension du Roi, c’est-à-dire la déchéance du Roi. Jusque -là, la famille royale serait internée au palais du Luxembourg.
Trois pouvoirs étaient en présence : l’Assemblée législative, réduite à 260 membres, la Commune insurrectionnelle, maîtresse de Paris, et le Conseil exécutif provisoire, avec Danton en particulier. Pendant six semaines, la Commune de Paris exerça une dictature confuse. Elle établit un régime d’exception : c’était la première Terreur. Les Jacobins étaient pleinement victorieux.
La Commune se fit livrer la famille royale qui fut emprisonnée au Temple. Le tribunal du peuple, ou tribunal révolutionnaire, fut créé. Le 22 Septembre 1792, la Convention décida que les actes officiels seraient désormais datés de « l’an premier de la République française ». Le 25 Septembre, Danton fit proclamer « la République française une et indivisible ».
Les jours des Girondins ou Brissotins étaient comptés. Une nouvelle insurrection abattra les Girondins ou Brissotins. Elle donna lieu à deux « journées » : le 31 Mai et le 2 Juin 1793. La Révolution n’était pas finie, elle continue … jusqu’à aujourd’hui.
Jean Saunier