
Entre les propos du plus haut gradé de l’armée française et la publication d’un guide de survie pour se préparer à divers types de menaces, dont la guerre, l’exécutif est taxé de va-t-en-guerre ou d’alarmisme.
« Il y a beaucoup de problèmes dans le monde ». C’est ainsi que commence le guide de survie « Tous Responsables » publié ce jeudi 20 novembre par le gouvernement. Parmi les « problèmes » évoqués, les « guerres, par exemple en Ukraine et au Proche-Orient », est-il écrit noir sur blanc. La publication de ce manuel, attendue, intervient dans un contexte où le discours de l’État se durcit en regard de la situation géopolitique.
La publication de ce « Guide de Survie » n’est pas une surprise. En mars dernier, la nouvelle parue dans la presse avait provoqué l’emballement de l’extrême droite, qui accusait le président de la République de vouloir « faire peur » aux Français. Mais ils ne sont plus les seuls à monter au créneau.
Ce jeudi, ce sont les propos du chef d’état-major des Armées (CEMA) Fabien Mandon, qui ont indigné l’opposition, de gauche cette fois. En marge du Congrès des maires, le plus haut gradé de l’armée a en effet estimé que la France dispose de « tout le savoir, toute la force économique et démographique pour dissuader le régime de Moscou. » Mais, ajoute-t-il, « si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production défense, alors on est en risque », a-t-il ajouté.
Ces propos ont déclenché un nouveau tollé dans les partis d’opposition, en particulier à gauche où Emmanuel Macron a été accusé de préparer la guerre contre la Russie. « 51 000 monuments aux morts dans nos communes ce n’est pas assez ? Oui à la défense nationale mais non aux discours va-t-en-guerre », a cinglé le communiste Fabien Roussel.
Des alertes qui ne datent pas d’hier
L’alerte n’est pourtant pas nouvelle. Le même Fabien Mandon s’était déjà exprimé sur le sujet devant les parlementaires, lors d’auditions devant les commissions des Affaires étrangères et de la Défense. En octobre, il expliquait ainsi avoir demandé à ses armées « de se tenir prêtes à un choc dans trois, quatre ans » face à la Russie, « un pays qui peut être tenté de poursuivre la guerre sur notre continent et c’est l’élément déterminant dans ce que je prépare ». Quelques semaines plus tard, alors que la Russie avait mené des tirs d’essai de son nouveau missile, il réitérait sa mise en garde devant les sénateurs. « Il y a quand même une atmosphère sur le nucléaire qui est préoccupante », posait-il.
Avant lui, c’est son prédécesseur Thierry Burkhard qui délivrait un discours similaire. Dans une rarissime conférence de presse, avant de quitter ses fonctions, il avait détaillé les différentes menaces pesant sur la France : terrorisme, criminalité organisée, ainsi que l’« objectif » de Vladimir Poutine d’« affaiblir l’Europe et démanteler l’OTAN ».
Il avait notamment affirmé que la Russie avait désigné la France « comme son principal adversaire en Europe », préparant le terrain pour la prise de parole d’Emmanuel Macron aux Armées prévu quelques jours plus tard. Discours dans lequel le président de la République avait fortement insisté sur le changement de paradigme international.
Une prise de conscience nécessaire ?
« Nous vivons un moment de bascule. Nous en apercevons depuis longtemps l’imminence et ces bascules sont aujourd’hui effectives », avait déclaré Emmanuel Macron. « Jamais, sans doute, notre liberté n’avait été si menacée. (..) Liberté de notre Europe mise en danger au moment où la guerre a été portée sur notre sol avec l’invasion de l’Ukraine, alors que les États-Unis ont ajouté une forme d’incertitude et que notre Europe se trouve placée à la lisière d’un vaste arc de crise qui part du golfe de Guinée, traverse le Sahel jusqu’au Proche-Orient et en Iran. Soyons clairs, nous, Européens, devons désormais assurer notre sécurité nous-mêmes », avait-il insisté.
Alarmisme démesuré ? Stratégie politique pour préparer les esprits à une intervention plus directe de la France contre la Russie dans la guerre en Ukraine ? La France n’est pas la seule à avoir relevé son niveau d’alerte : mi-octobre, les services de renseignement allemand ont eux aussi mis en garde sur une possible attaque militaire de la Russie contre l’Otan d’ici 2029.
« Avoir conscience de la réalité de la situation n’est pas céder à l’alarmisme », peut-on lire dans le guide de survie. C’est tout l’enjeu de l’exécutif et des chefs militaires français : favoriser cette prise de conscience des Français sur les diverses menaces existantes, qu’elles soient climatiques, géopolitique ou cyber, par exemple via des campagnes de « manipulation de l’information de la part des opposants. » Auprès du Parisien, Matignon reconnaît que « l’opinion publique a du mal à prendre en compte » ces risques. Contacté par l’AFP, l’entourage de la ministre déléguée aux Armées Alice Ruffo abonde, soulignant que « non l’idée n’est pas d’envoyer nos enfants au front » mais qu’« il y a besoin d’une prise de conscience de la réalité ».
Selon un sondage Ifop réalisé en septembre 2025, 72 % des Français estiment que « la Russie est une menace pour la souveraineté des États de l’Union européenne ». Mais auprès de l’AFP, la chercheuse Bénédicte Chéron rappelle que « la représentation de la guerre pour les Français, demeure très nettement l’invasion du territoire ». En dehors de ce danger précis, ils ont « du mal à accepter l’idée d’engager massivement des forces, d’en payer le prix. »
Les formes de guerre dite « hybride », type actions de sabotage ou désinformation ne sont donc pas perçues comme une menace suffisante. Pourtant, à l’aune des européennes en 2024, une enquête Ipsos BVA pointait « la vulnérabilité » des Français face à la désinformation. Une petite majorité (57 %) des sondés se disait « plutôt capable » de distinguer une information fausse d’une vraie sur les réseaux, et seulement 17 % s’en disaient « tout à fait » capables. Un chiffre extrêmement faible, alors que de plus en plus, la désinformation s’impose comme une redoutable arme de guerre dans la plupart des conflits, et particulièrement dans ceux impliquant la Russie.
Jade Toussay