
Boutros Merjaneh est le Président de la Commission des Affaires Arabes et étrangères au Parlement syrien. Le 6 octobre 2019, il reçoit à Alep quelques touristes français qui se sont hasardés à visiter un pays ravagé par la guerre, avec la courageuse agence de voyage Odéïa. Poignant témoignage, quelques années après la reprise du pays par l’armée régulière syrienne de Bachar El-Assad, soutenue par la Fédération de Russie. Les propos recueillis ici conservent aujourd’hui toute leur pertinence.
Boutros Merjaneh : On dit ici : tout être humain a deux patries : la sienne et la Syrie. Au départ, la Syrie avait besoin de réformes. Mais les manifestations ont plongé le pays dans une guerre inattendue. Huit ans de guerre, limitée aujourd’hui à la zone d’Idlib et du Nord-est. Ce qui s’est passé au départ n’était pas une révolution : il n’y avait pas de programme opposé à celui du gouvernement mais seulement une revendication de pouvoir. On découvre alors que ces extrémistes se sont transformés en terroristes. On a essayé de diaboliser Bachar El Assad. Mais ce n’est pas lui qui était visé, mais la nation syrienne.
Q/R : Et qui contrôlait quoi lors de la prise d’Alep ?
B.M. : La situation était calme jusqu’en juillet 2012. Mais, avec 7-8 personnes, on pouvait prendre facilement un quartier. Pas d’armée. Ils ont pris la partie Est de la ville, puis celle du Sud. Ensuite les zones industrielles d’Alep. Après 10 jours, 400 000 ouvriers avaient perdu leur travail. En 2016 seulement, l’armée a pu encercler ALEP.
Q/R : Quel fut le rôle des États-Unis ?
B.M. : Ils sont à la tête de tout ce qui se passe ici. La Syrie est un des points du chaos, pour leur permettre de maintenir leur hégémonie. Je représente les chrétiens au Parlement syrien. Il fallait lutter contre la corruption, mais celle-ci n’a fait que s’amplifier avec la guerre.
Q/R : Que peut-on dire des gens vivant à Idlib ?
B.M. : Ce sont surtout des étrangers venus de Turquie, de Russie ou d’Europe. 50 000 familles vivent dans cette enclave. Il est difficile de reprendre Idlib car la population de ce territoire est prise en otage par la coalition islamiste. On a essayé d’aider les gens à partir mais les rues et les routes étaient minées. Faire intervenir l’armée syrienne est une décision difficile à prendre ! « On » a interdit à l’armée syrienne de prendre l’initiative de la reconquête. Des discussions avec l’Europe ont toutefois permis de mettre en place une aide humanitaire.
Q/R : Et Alep ?
B.M. : Fin 2013, Alep Ouest était privé d’eau et d’électricité par les assaillants : 59 jours la première fois puis 80 jours la seconde. Le terroristes ont fait sauter (à Alep Est) l’aqueduc qui amenait l’eau. Action de l’ONU pour réparer la canalisation et pose de générateurs dans les rues. L’aéroport d’Alep est encore une zone sensible : les terroristes ne sont qu’à quelques kilomètres et l’autoroute M5 Damas-Alep est toujours coupée (car elle passe par une zone non contrôlée par le régime).
Q/R : Y a-t-il des pays européens qui vous soutiennent ?
B.M. : Pas les gouvernements mais les peuples ! Je crois que l’Europe doit se démarquer des États-Unis pour ce qui concerne la politique étrangère. La France a beaucoup perdu en Syrie, beaucoup reculé. On n’y enseigne plus le français. La France doit commencer à revoir son regard sur la Syrie et à chercher des terrains d’entente avec les responsables politiques d’ici. L’Europe est culturellement plus proche de la Syrie que les États-Unis. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Autriche mènent des discussions pour rouvrir les ambassades. Thierry Mariani a visité Alep fin 2017 et aussi un camp de réfugiés, mais les relations diplomatiques ne sont pas au beau fixe avec la France, c’est le moins qu’on puisse dire
Q/R : Et quid du retour des syriens exilés ?
B.M. Pour Alep, on a bon espoir qu’une grande partie des gens puissent revenir. L’Union européenne a débloqué des fonds en ce sens.
Q/R : Que dire du rôle d’Israël dans le conflit ?
B.M. : Israël a ouvert ses frontières aux djihadistes au Sud de la Syrie. Ce pays ne veut pas la paix.
Q/R : Peut-on parler d’une complaisance de la France envers les djihadistes
B.M. : La France connait 90 % des noms des djihadistes qu’elle a laissé venir ici. Ils doivent être jugés selon les lois syriennes. En France, les services de sécurité feraient bien d’aller dans les mosquées voir ce qui s’y passe !
Q/R : Quel a été votre parcours personnel et politique ?
B.M. : J’ai étudié au couvent des Frères Maristes, qui fut nationalisé en 1967 comme toutes les écoles privées syriennes. Je travaille actuellement au Parlement syrien, aussi appelé « Assemblée du peuple », qui compte 250 députés dont 32 viennent du gouvernorat d’Alep. Pour la première fois dans l’histoire, le président est un chrétien.
Q/R : Avez-vous espoir dans la reconstruction du pays ?
B.M. : Elle ne pourra se faire qu’avec les pays qui ont été amis pendant la guerre. La Chine nous aide au Conseil de Sécurité, sauf sur le plan militaire. Elle tente de prendre des participations dans l’économie syrienne et apporte une aide humanitaire précieuse. Nous avons aussi reçu une aide du prince Aga Khan pour la réhabilitation du Souk d’Alep, classé héritage mondial de l’UNESCO.
Propos recueillis par Hector Poupon