
Depuis plusieurs mois, la France traverse une crise institutionnelle lente qui plonge l'État dans l'immobilisme alors que tout nous obligerait au contraire à l'action. À l'épicentre de cette crise, l'Assemblée nationale est devenue un théâtre d'ombres où les motions de censure répondent aux 49.3. Les projets de loi se font rares. Le gouvernement n'en dépose quasiment plus. L'ordre du jour des assemblées se remplit de propositions de loi d'initiative parlementaire dont la portée micro technique ne relève pour la plupart même pas d'un arrêté ministériel.
L'immobilisme gagne la machine gouvernementale dont l'activité tourne au ralenti. Sur le terrain, les préfets, les élus et les chefs d'entreprise ont de plus en plus de mal à cacher le désarroi auquel le blocage de nos institutions les expose. Bref, la machine s'enraye à tous les étages. Et cette situation est censée durer jusqu'en 2027?
Notre socle, la responsabilité du gouvernement devant le Parlement
Comment expliquer cet accès de paralysie, qui va bien au-delà du seul Parlement et qui rejaillit en cascade sur l'ensemble de la puissance publique ? La crise financière ? Elle n'est que le résultat de notre impuissance publique à décider. La division du corps électoral depuis la dissolution ? Nos voisins européens vivent régulièrement des situations analogues, et, dans le passé, la France elle-même a vécu des absences de majorité bien plus complexes. Rappelons que, sur 150 ans d'histoire parlementaire, les gouvernements de coalition ont été plus nombreux que les gouvernements majoritaires et l'absence de majorité, même dans les phases d'instabilité les plus aiguës, n'a jamais empêché le pays d'être dirigé, ni les budgets ou les grandes lois de la nation d'être votés.
Elle n'empêchait pas non plus les chefs de gouvernement nommés de bénéficier d'un vote de confiance ou d'une investiture sur leur programme. Là est en réalité la faiblesse originelle qui frappe aujourd'hui l'État d'impuissance : nous nous sommes progressivement habitués à l'idée que la France pouvait être dirigée par des gouvernements minoritaires qui, ne cherchant pas de socle majoritaire au moment de leur constitution, ne prennent même plus la peine de solliciter la confiance du Parlement sur un programme politique.
Pourtant, le principe de responsabilité du gouvernement devant le Parlement n'est pas un luxe institutionnel : c'est le socle de notre démocratie représentative. Depuis le XVIIIe siècle, il fonde la légitimité des gouvernants face aux représentants du peuple. Sous la IIIe République comme sous la IVe, un gouvernement devait toujours démontrer qu'il disposait d'une majorité pour gouverner. En 1958, le général de Gaulle lui-même en faisait un pilier de la nouvelle Constitution.
Mais dans les faits, ce principe a été vidé de sa substance. L'article 49 de la Constitution permet au gouvernement de demander la confiance de l'Assemblée. Mais il ne l'y oblige pas. Résultat : depuis 2022, le gouvernement gouverne seul et sans majorité. Il se maintient par la force d'une lecture minimaliste de la Constitution, au mépris de l'esprit même des institutions.
Ce contournement affaiblit l'exécutif, dont l'autorité est fragilisée, mais aussi les députés, réduits à l'impuissance, et les citoyens, qui peinent à comprendre qui gouverne vraiment et au nom de quelle majorité.
Éviter une nouvelle crise
À l'heure où la censure revient à l'ordre du jour, il est encore temps d'éviter au pays une nouvelle crise d'instabilité et d'indécision. L'immobilisme ne sauvera pas le gouvernement. Il accélère au contraire le risque de renversement du Premier ministre. Pour en sortir, il n'y a qu'une solution : revenir devant le Parlement et solliciter la confiance sur quelques textes fondamentaux capables de rassembler les Français. L'opinion publique est, dans la plupart des domaines, beaucoup plus unie qu'on ne le dit, à condition de porter dans le débat public des propositions nouvelles.
C'est la mission du gouvernement. Il est temps de refonder sa légitimité démocratique. Il est temps de revenir à l'exigence de confiance. C'est l'objet de la proposition de loi constitutionnelle que nous portons : rendre obligatoire, dans les trente jours suivant sa nomination, un vote de confiance du gouvernement devant l'Assemblée nationale. Cette obligation ne bridera pas l'action politique. Elle obligera le gouvernement à rechercher de vraies majorités et les parlementaires, à assumer leurs responsabilités.
Face à la défiance croissante des citoyens, la réponse ne peut être l'évitement ou l'ambiguïté. Elle doit être l'exigence démocratique. Un gouvernement sans majorité n'a pas de légitimité. Redonnons au Parlement le rôle qui est le sien : celui de faire vivre, au c?ur de nos institutions, la volonté du peuple.
* Harold Huwart est député d'Eure-et-Loir, membre du Parti radical. L'élu siège au sein du groupe Liot à l'Assemblée nationale. Plusieurs parlementaires, dont Aurélien Pradié, Charles de Courson, Stella Dupont et Constance de Pélichy, ont cosigné sa proposition de loi constitutionnelle.
Harold Huwart député