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Le fossé béant entre Paris et Alger

Tensions avec l'Algérie : pour le président Tebboune, Emmanuel Macron est  "l'unique point de repère" en France

Il faut, de temps à autre, consulter la presse algérienne pour se faire une idée du fossé béant qui s’est ouvert entre Paris et Alger.

Il ne s’agit pas d’une de ces poussées d’urticaire qui surgissent périodiquement, chaque fois que le gouvernement algérien a besoin de son punching-ball préféré pour se relégitimer vis-à-vis des populations. C’est plus compliqué que ça.

D’abord, chaque fois qu’on parle du « pouvoir algérien », on schématise à l’excès. En fait, il existe deux pouvoirs, qui s’opposent périodiquement : le gouvernement, dirigé grosso modo par le président Tebboune, et une junte militaire, héritière des djounouds des maquis. Celle-ci impose au gouvernement une ligne dure, chaque fois que l’intégrité du territoire et l’unité nationale lui paraissent menacées. Méconnaître cette dimension du problème, c’est passer à côté de toute solution à la crise actuelle.

Le quotidien de langue française « Horizons » relate une affaire qui n’est pas sans rappeler la situation inquiétante de Boualem Sansal. L’article nous éclaire sur le contexte juridique de ces deux cas. On constate que la Constitution algérienne et le code pénal ne transigent pas sur des principes qui, chez nous, ne feraient pas lever une paupière à un procureur.

« Conformément aux dispositions de l’article 11 du Code de procédure pénale, le parquet de la République près le tribunal de Dar El Beida informe l’opinion publique que, suite à la large diffusion sur les réseaux sociaux d’un extrait vidéo d’une interview télévisée entre une journaliste d’une chaîne dite « Sky News Arabia » et le dénommé Belghit Mohamed Amine, où il a déclaré que l’amazighité serait un projet franco-sioniste, et vu que ces propos constituent une violation des principes fondamentaux de la société algérienne, consacrés par la Constitution, et une atteinte flagrante à une composante essentielle de l’identité nationale, ainsi qu’à l’unité nationale et aux symboles et constantes de la nation, la mise en détention est requise.»

On voudra bien me pardonner cet interminable exposé des motifs, mais il éclaire la gravité de la situation : Boualem Sansal n’est pas seulement un otage, incarcéré pour un motif futile. En prenant parti pour la position marocaine, dans l’affaire de la souveraineté sur le Sahara occidental, cause de la crise entre l’Algérie et la France, Sansal passe pour un traître au principe de l’intégrité territoriale de l’Algérie. Son cas est à rapprocher de celui de ce Belghit Mohamed Amine, coupable, lui, d’avoir nui à l’unité nationale.

En l’occurrence, on ne plaisante pas plus avec l’amazighité qu’avec le Sahara occidental. Pour ceux qui l’ignoreraient, la population algérienne se partage entre Amazighs, population berbère, la plus ancienne, dont les remuants Kabyles, et Arabes, plus récemment installés, supérieurs en nombre et longtemps dominateurs. L’heure est désormais à l’union des deux ethnies. Déclarer sur une station de radio que cette entente cordiale résulte d’une machination franco-sioniste est donc un crime d’État.

Voilà quelle est l’ambiance à Alger. La récente visite de notre ministre des Affaires étrangères a pu, pendant quelques jours, réchauffer les relations entre les deux gouvernements. Insuffisamment toutefois pour dérider les étoilés de l’état-major. Dans ce climat, l’expulsion vers Alger de deux employés de consulat a fait l’effet d’un pétard dans un plat de couscous.

L’ambassadeur d’Algérie et le nôtre ayant été rappelés chacun à la maison mère, ce n’est pas encore la rupture des relations diplomatiques, mais ça y ressemble. Cette crise est sans précédent depuis 1962. Elle ne sera pas facile à dénouer.

Je me fiche assez résolument du sort de ce Belghit Mohamed Amine. Mais je me fais du souci pour Boualem Sansal. Je crains qu’il faille plus qu’un Macron et les brêles molles du Quai d’Orsay pour nous le ramener rapidement et dans le meilleur état possible.

Jean Pigeot

Date de dernière mise à jour : 11/05/2025

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