Grève : les raisons de la colère

Ils et elles étaient nombreux dans la rue jeudi 1er février à l’appel des syndicats de l’éducation : 40% d’enseignant·es du premier degré (20,11 selon le ministère) et 47 % du second degré (20,4). La plus forte mobilisation depuis 2022. Professeur·es, chef·fes d’établissement, CPE, assistant·es sociaux, animatrices et animateurs, Atsem, AESH, inspecteurs et inspectrices, lycéens et lycéennes, parents… étaient unis dans leur colère. Sentiment de mépris, manque de reconnaissance du rôle essentiel qu’ils et elles jouent dans la société sont les raisons principales invoquées par les manifestants et manifestantes.

Grève dans l'éducation nationale : 20,26 % d'enseignants grévistes, selon  le ministère

Une ministre qui cristallise les colères

Mélinda est en grève aujourd’hui. C’est rare, nous dit-elle. Professeure de SVT dans un petit collège tranquille de la capitale, elle avoue ne pas s’être beaucoup mobilisée auparavant. « Mais là, c’est cette ministre, c’est la goutte d’eau de trop… Ses mensonges, les polémiques autour de la scolarité de ses enfants, c’est juste intolérable ». Pour l’enseignante, le fond du problème, ce n’est pas qu’Amélie Oudéa-Castéra scolarise ses enfants dans le privé, « et encore, c’est discutable là aussi » souffle-t-elle, mais c’est le choix de l’établissement qui la questionne. « Être ministre de l’Éducation nationale, c’est défendre avant tout le service public d’éducation. 

Comment le faire quand on choisit un établissement aux valeurs complètement à rebours des valeurs universalistes, égalitaristes et émancipatrices que porte l’école publique gratuite et laïque » . « Finalement, je devrais même remercier madame la ministre, sans elle, je ne serai pas dans la rue aujourd’hui, comme beaucoup de mes collègues », ironise Mélinda. « Tout à fait ! » confirme sa collègue qui l’accompagne dans le défilé parisien. « Je suis dans la rue pour m’opposer à elle, à tout ce qu’elle représente. On en a ras le bol de ces politiques complètement déconnectés de notre réalité ! ».

C’est à Marseille qu’Agnès a battu le pavé. Près de 800 kilomètres plus loin, la ministre semble aussi cristalliser les colères. « Les casseroles de la ministre nous exaspèrent, c’est la ministre de l’École privée plutôt que de l’école publique », s’indigne l’enseignante en lycée hôtelier à Marseille. « Nous défendons l’école publique, la laïcité et en particulier au Lycée Professionnel qui est attaqué de toutes parts par des réformes tous les deux ans. Nous demandons l’abrogation de la réforme de la voie pro qui retire 70 heures de cours aux élèves et qui réorganise la formation professionnelle au service des entreprises. Nous défendons une école qui donne les mêmes chances à tous et qui offre aux élèves un diplôme de qualité et une insertion professionnelle tout au long de leur vie et pas une simple certification pour une tâche avec un faible salaire ».

Les raisons de la mobilisation de Maria, professeure d’espagnol au lycée Artaud dans le 13e arrondissement marseillais, sont nombreuses. « Nous sommes toutes et tous mobilisés et en grève pour dire non à toutes ces réformes qui nous tombent dessus depuis 2017 » déclare l’enseignante qui défile aussi à Marseille. « Ce qui est imposé ne fonctionne pas et les enseignants ne sont pas écoutés. Les dernières annonces Attal-Amélie Oudéa-Castéra, c’est le tri social des élèves. Nous n’en voulons pas. On va retrouver des élèves dans des groupes de niveau, les faibles ensembles, les forts entre eux, cela ne fonctionne pas, toutes les recherches en sciences de l’éducation l’ont démontré. Que veut le ministère ? Considérer que les mesures populistes vont résoudre les problèmes de l’École ? ». Elle s’indigne également du Service National Universel, de l’uniforme, « l’argent est mis là où il ne faut pas ». « J’ai fait le calcul pour mon lycée par exemple pour 1300 élèves, la mise en place de cette mesure va coûter 260 000 €. Nous considérons que cet argent doit servir à améliorer le fonctionnement de nos établissements, réduire le nombre d’élèves par classe »

Une lame de fond

Infirmière scolaire à Paris, Mathilde aussi était dans la rue. Malgré la revalorisation annoncée mardi par le Premier ministre. “C’est du réchauffé, cette revalorisation était annoncée depuis décembre : 200 euros dès le 1er janvier. Les 800 euros dont a parlé Gabriel Attal, ce n’est pas en plus, c’est tout simplement les quatre mois qu’ils nous devront”. “Nos salaires ont décroché de 1 000 euros par mois, 200 euros c’est nettement insuffisant. Le gouvernement doit revoir sa copie…”, soutient-elle.

Les chefs d’établissements, plus rarement grévistes, étaient aussi nombreux à avoir arrêté le travail. « Les chefs d’établissement sont dans la même situation que les enseignants. Le ras-le-bol est là. Ils ont la volonté de se mobiliser. Le gouvernement doit vraiment entendre cette colère. C’est une lame de fond qui ne s’arrêtera pas », prévient Agnès Andersen, secrétaire générale d’ID-FO. « On est dans une convergence des luttes. Nous sommes au service du service public de l’éducation nationale. Nous sommes d’anciens enseignants, les valeurs qui nous animent sont restées les mêmes ».

Plusieurs syndicats appellent les personnels à se réunir pour décider de la suite du mouvement. Fort de cette première journée d’action, réussiront-ils à mobiliser rapidement avec les vacances d’hiver qui approchent et qui s’étaleront sur quatre semaines ?

Lilia Ben Hamouda

Date de dernière mise à jour : 02/02/2024

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