FINANCES - Emmanuel Macron, Rothschild et les millions introuvables

DE ROTHSCHILD À NESTLÉ : RÉVÉLATIONS SUR LES MILLIONS ENVOLÉS D'E. MACRON

Chacun connaît aujourd’hui l’histoire officielle : Emmanuel Macron a gagné beaucoup d’argent comme banquier d’affaires chez Rothschild, puis s’est lancé en politique en affichant un patrimoine relativement modeste. Entre les deux, un trou noir comptable qui, depuis dix ans, nourrit à la fois des enquêtes fouillées, des soupçons tenaces et des fantasmes complets. Plutôt que de rejouer, une énième fois, la série des rumeurs, il vaut la peine de reprendre ce dossier comme un cas d’école : que sait-on objectivement, ce que certains médias d’investigation supposent, ce que la justice et la Haute Autorité ont conclu, et surtout ce que cette affaire dit de notre démocratie quand il s’agit de richesse privée et de transparence publique.

Les faits de base : un enrichissement rapide, un patrimoine étonnamment faible

Les chiffres de départ sont relativement stabilisés. Entre 2009 et 2014, Emmanuel Macron déclare environ 3,3 millions d’euros de revenus bruts, dont l’essentiel pendant ses années chez Rothschild & Cie (2009–2012), le reste comme haut fonctionnaire à l’Élysée puis à Bercy. Des médias généralistes comme Europe 1 ou Challenges, qui ont recoupé ces montants, aboutissent à des ordres de grandeur similaires. Au même moment, lorsqu’il entre dans la vie gouvernementale, son patrimoine net déclaré tourne autour de 200 000 euros : un peu plus d’un million d’actifs bruts, à peu près un million de dettes, principalement immobilières. C’est ce décalage flagrant entre revenus cumulés et patrimoine final qui alimente la controverse : comment peut-on encaisser plusieurs millions en quelques années et ne pas apparaître, sur le papier, comme un homme riche en entrant au gouvernement ?

L’explication d’Emmanuel Macron : fiscalité, dettes, travaux, train de vie

Interrogé dès 2017, Emmanuel Macron a livré sa propre version, largement documentée dans la presse : environ 3,3 millions d’euros de revenus sur la période, dont 1,4 million absorbé par l’impôt et les cotisations sociales, ce qui laisserait environ 1,9 million nets disponibles. (NLTO) Sur cette somme, il affirme avoir remboursé une partie importante de ses emprunts immobiliers, notamment liés à un appartement parisien revendu par la suite, financé d’importants travaux dans la maison de son épouse au Touquet, et maintenu un haut niveau de dépenses courantes, typique d’un couple à très hauts revenus vivant à Paris. D’après cette narration, la combinaison d’une fiscalité lourde, de dettes immobilières importantes, de travaux coûteux et d’un train de vie confortable expliquerait pourquoi il ne reste au final qu’un patrimoine net relativement réduit, cohérent avec ce qu’il déclare à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Le contrôle institutionnel : HATVP et justice ont-elles tout clos ?

Contrairement à ce que laissent entendre certains commentaires militants, cette affaire n’est pas restée totalement hors radar des institutions. En mars 2017, l’association Anticor saisit officiellement la HATVP. Elle pointe le manque de cohérence entre revenus déclarés et patrimoine final et demande de vérifier le caractère « exhaustif, exact et sincère » des déclarations d’Emmanuel Macron. La réponse de la Haute Autorité, rendue publique quelques jours plus tard, est nette : après examen et contrôles, elle indique n’avoir trouvé « aucun élément de nature à remettre en cause » la sincérité des déclarations du futur président. Il ne s’agit pas d’un blanc-seing moral, mais d’une conclusion juridique : pour l’autorité chargée de la transparence, les documents fournis sont compatibles avec les obligations légales. Quelques années plus tard, la plainte pénale déposée par Anticor pour approfondir ces questions est classée sans suite par le parquet de Paris. Les institutions considèrent donc que, sur le plan strictement légal, l’affaire ne justifie ni poursuites ni remise en cause des déclarations officielles. C’est un point crucial : on peut juger cette conclusion insuffisante politiquement, mais on ne peut pas, honnêtement, parler aujourd’hui de fraude démontrée ou de scandale judiciaire étouffé.

Les médias d’investigation : des hypothèses sérieuses, mais non prouvées

Ce constat n’a pas éteint la curiosité des médias d’enquête. D’abord Off-Investigation, relayé notamment par Marianne, puis plus récemment Blast, ont tenté de reconstituer le parcours financier d’Emmanuel Macron pendant ses années chez Rothschild. Leur point de départ : l’opération Nestlé / Pfizer Nutrition, un deal de près de 9 milliards d’euros sur lequel Macron joue un rôle central côté Rothschild. Les journalistes appliquent alors les fourchettes habituelles de commissions en fusions-acquisitions pour estimer les honoraires que la banque aurait pu encaisser, et, par ricochet, ce qu’un associé-gérant très impliqué comme lui aurait pu recevoir en rémunération variable. Ils en déduisent des montants potentiels qui se chiffrent en millions d’euros supplémentaires. À partir de là, ils explorent plusieurs pistes : intéressement sophistiqué, bonus différés, participation à des véhicules d’investissement, droits sur des actions Rothschild, voire valorisation future de parts au moment de son départ. Dans certaines configurations, l’écart entre ce qu’Emmanuel Macron aurait pu objectivement accumuler et ce qu’il déclare devient vertigineux. Mais tout repose sur des modèles, des témoignages hors micro, des estimations de pratiques internes, pas sur la production de documents bancaires nominatifs. Aucun registre de comptes personnels, aucun relevé d’avoirs ou contrat d’intéressement précisément attribué n’a été publiquement produit. En clair : ces enquêtes posent des questions raisonnables sur la faiblesse apparente des revenus déclarés au regard des usages de la profession, mais elles ne franchissent pas le seuil de la preuve.

Le démenti de Rothschild et la limite des reconstructions externes

Mise en cause, la banque Rothschild & Co a, de son côté, opposé un démenti simple et frontal : les banquiers français de la maison seraient rémunérés en France, et non via des montages offshores opaques. Plusieurs médias rapportent ce démenti sans pouvoir le contredire par des éléments concrets. On touche ici à la limite structurelle du journalisme d’investigation dès qu’il s’attaque à des structures financières très fermées : on peut reconstituer les usages, interroger des anciens, recouper les pratiques, mais il est extrêmement difficile d’accéder aux contrats individuels de rémunération, encore plus lorsqu’il s’agit d’un ancien associé devenu chef de l’État. Tant que des documents nominatifs ne sortent pas, le débat reste enfermé dans l’entre-deux : d’un côté des reconstitutions jugées « plausibles » par des experts, de l’autre un démenti institutionnel, et au milieu un grand public qui n’a aucun moyen de trancher.

Le brouhaha complotiste : Bahamas, jeu et fantasmes politiques

Sur ce terrain déjà glissant, les milieux complotistes ont ajouté une couche de fiction pure. À la veille du second tour de 2017 apparaissent sur Internet de prétendus documents bancaires prouvant l’existence d’un compte offshore de Macron aux Bahamas. Des médias comme Le Monde démontent rapidement ces « preuves » en montrant leurs incohérences matérielles et leur absence totale de traçabilité, tandis qu’Emmanuel Macron dépose plainte pour faux et propagation de fausses nouvelles. Ces éléments n’ont jamais été confirmés par la moindre enquête sérieuse et n’ont pas été retenus comme crédibles par Off-Investigation ou Blast, pourtant loin d’être complaisants. Dans le même registre circulent des rumeurs psychologisantes sur un prétendu goût du jeu qui aurait englouti des millions, sans la moindre source vérifiable. Là, on n’est plus dans le doute légitime mais dans la pure fiction politique, qui prospère parce qu’elle fournit une histoire simple, spectaculaire et émotionnelle.

Une opacité structurelle : comment gagne (et déclare) son argent un banquier d’affaires ?

Pour comprendre pourquoi cette affaire est si difficile à éclaircir, il faut regarder au-delà de la personne d’Emmanuel Macron et s’intéresser à la mécanique même de la rémunération dans la banque d’affaires. Un banquier de haut niveau combine généralement un fixe élevé, des bonus annuels variables, parfois indexés sur plusieurs années, des stock-options ou actions de performance, et parfois des participations à des véhicules d’investissement ciblés. Une partie peut être différée, une autre conditionnée à la réussite de deals, une autre encore soumise à des clauses de présence ou de confidentialité. Cette architecture, pensée pour aligner les intérêts des dirigeants et des partenaires sur le long terme, est parfaitement légale, mais elle est d’une grande complexité comptable. Selon la manière dont on valorise ces droits (à la date de l’attribution, à la date de la sortie, en fonction d’un cours de bourse, etc.), les sommes « gagnées » peuvent varier considérablement d’une méthode à l’autre. C’est précisément ce terrain que pointent certains analystes : même si les déclarations d’Emmanuel Macron sont juridiquement conformes, elles ne disent sans doute pas tout des droits dont il a pu bénéficier à un moment donné, ni de la manière dont ces droits ont éventuellement disparu, été cédés, fiscalisés ou compensés. L’affaire révèle alors moins un « secret inavouable » qu’un système dans lequel la frontière entre revenus, patrimoine futur et droits conditionnels est si floue que la transparence devient quasi impossible à vérifier pour le citoyen moyen.

Le vrai problème : une transparence calibrée pour des élus moyens

La plupart des dispositifs actuels de transparence patrimonial en en France comme ailleurs – ont été pensés pour des élus dont la richesse repose principalement sur des actifs simples : immobilier, salaires, produits d’épargne classiques, éventuellement une entreprise familiale. Dès qu’on se heurte à des profils passés par la banque d’affaires, le private equity ou les grandes firmes de conseil, ces outils montrent leurs limites. Les formulaires de déclaration ne sont pas conçus pour cartographier des bonus différés complexes, des carried interest, des stock-options conditionnelles, ou des véhicules logés à l’étranger mais détenteurs d’actifs français. La HATVP, dans le cas Macron, a fait son travail dans le cadre que la loi lui donne, et a conclu que les déclarations étaient « exhaustives, exactes et sincères ». (hatvp.fr) Mais cette conformité procédurale ne suffit pas à lever le malaise politique. D’un côté, les citoyens ont le sentiment de se voir demander des sacrifices permanents, en particulier sur le plan fiscal ; de l’autre, ils voient un président issu de la banque d’affaires dont le parcours financier reste à leurs yeux « incompréhensible ». Le ressentiment prospère dans ce fossé entre une légalité formelle et une intelligibilité politique très faible.

Ce que cette histoire dit de notre démocratie

L’affaire des soi-disants « millions envolés » ne prouve pas, à ce jour, que le chef de l’État ait caché des comptes à l’étranger, menti sciemment à la HATVP ou commis une fraude patrimoniale caractérisée. En revanche, elle dit plusieurs choses inquiétantes sur l’état de nos institutions démocratiques. D’abord, elle montre que des rémunérations extrêmement élevées, structurées de façon complexe, s’insèrent mal dans des dispositifs de transparence conçus pour des trajectoires plus simples. Ensuite, elle illustre la difficulté des contre-pouvoirs civiques : une association comme Anticor peut saisir, enquêter, déposer plainte, mais se retrouver juridiquement désarmée face à un mélange de secret bancaires, de pouvoir d’appréciation de la HATVP et de classements sans suite. Enfin, elle met en lumière un espace béant dans lequel prospèrent les récits complotistes : là où l’État et les institutions se contentent de dire « circulez, il n’y a rien à voir », une partie de l’opinion est tentée par des fictions beaucoup plus claires même si elles sont fausses.

Au bout du compte, ce que l’on sait et ce que l’on ne saura probablement jamais

Il est probable que le détail précis des flux financiers entre Rothschild et Emmanuel Macron ne sera jamais entièrement rendu public, à moins de fuites spectaculaires ou de revirements institutionnels peu vraisemblables. Ce qui ne signifie pas que le sujet doive être abandonné aux extrêmes ou aux conspirationnistes. On sait que le président a gagné beaucoup d’argent en quelques années, que les montants déclarés posent des questions légitimes au regard des usages de sa profession, que la HATVP et la justice n’ont pas jugé ses déclarations mensongères, et que des médias indépendants comme Off-Investigation et Blast continuent de contester la vraisemblance de la version officielle sans pouvoir, pour l’heure, la prendre en défaut juridiquement. (blast-info.fr) Entre la naïveté (« tout est clair, circulez ») et le roman noir (« tout est offshore »), il existe une voie plus exigeante : transformer ce cas emblématique en levier de réforme. Tant que le destin financier de ceux qui gouvernent restera illisible, le soupçon restera la norme. Ce n’est pas seulement un problème d’image pour un président passé par la banque d’affaires, c’est une faille de confiance au cœur même de la démocratie représentative.

Antoine Léon

Date de dernière mise à jour : 26/11/2025

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