
À l’aube de la seconde partie de son mandat, Javier Milei s’est certainement livré à un exercice d’introspection qui lui a permis d’apprécier avec satisfaction l’importance du chemin parcouru.
Un ton nouveau, politiquement incorrect
Dix ans nous séparent des premières apparitions, sur les médias, d’un jeune professeur d’économie, titulaire du simple master d’une université locale, sans autre bagage que ses travaux d’enseignant dans la spécialité de l’école autrichienne. Mais voilà. Javier Milei sait s’affranchir de technicismes parfaitement indigestes pour un public lassé de supporter, chaque soir, le verbiage ampoulé des gourous de service prétendant ressusciter une économie en décomposition. Un langage ferme, rude, direct, joliment politiquement incorrect, un sens de la formule lapidaire au service de diagnostics d’une crudité sans concession et, surtout, une virginité médiatique inédite face à une caste politique méprisée et à bout de souffle. Celle-ci commettra d’ailleurs l’imprudence et l’impudence de développer un niveau d’arrogance suffisamment intense pour lui permettre d’atteindre des sommets d’audience aussi inégalés que jalousés. La suite est connue. Contre toute attente, le 10 décembre 2023, 55 % des Argentins acceptent d’effectuer un saut dans l’inconnu et lui confient les destinées du pays.
Deux ans après, ce qui n’était qu’un projet précaire, un peu farfelu, porteur d’une fragilité structurelle préoccupante, s’est transformé en une réalité permettant d’augurer un avenir des plus encourageants à moyen terme. Le Milei version 2025 est même devenu crédible pour une partie de la presse qui, courageusement, s’empresse de voler au secours de la victoire et parle « d’état de grâce ».
Implosion du parti péroniste
Mais entrons dans l’arène. Le 26 octobre, l’onde de choc de l’implosion de ce qui restait du parti péroniste s’est fait sentir aux quatre coins de la République. Nous épargnerons au lecteur la description fastidieuse des règlements de comptes féroces entre les différentes tendances d’un parti désarticulé par l’adversité. Il suffira, dans la version gauchiste, de retenir la guerre ouverte entre l’ancienne présidente et son enfant adoptif jadis chéri, le « nain communiste » Axel Kicillof, désastreux gouverneur de la province de Buenos Aires. À cela s’ajoute la rébellion grandissante des très nombreux « barons » du péronisme traditionnel anticommuniste, en particulier les maires des banlieues habitués à la manne de la distribution d’argent de la corruption et qui, devant la sécheresse rudement imposée par Milei, se retrouvent dans la pénible situation de drogués en manque. Désespoir, fébrilité, impuissance, colère, mais pas l’ombre d’une proposition politique crédible. Une véritable descente aux enfers.
Par comble de malheur, le 6 novembre s’est ouvert le procès du siècle pour des faits de corruption étalés sur dix ans mettant en cause pas moins de 87 prévenus rassemblant l’ancienne présidente, ses proches mais aussi une belle brochette d’entrepreneurs véreux. Au rythme de la Justice argentine, il faudra attendre des années pour en voir la fin, mais le bon peuple trouve déjà que trop, c’est trop. Cristina Kirchner, depuis le balcon de son appartement prison, hurle au « lawfare », mais cette fois, dans la rue, il n’y a pas dix irréductibles pour la soutenir. Le spectacle est pitoyable, mais la reine déchue ne semble pas accuser le coup. Sic transit gloria mundi.
Pendant ce temps, Javier Milei, en bon économe, capitalise son gain politique et s’occupe des vrais problèmes. L’appui de l’ami Donald a non seulement stabilisé le secteur externe, rassuré les marchés, mais aussi consolidé les bases du programme politique des deux ans à venir. Nous retiendrons deux contingences adverses en passe de disparition.
Le ciel s'éclaircit pour Milei
En premier lieu, le Congrès très adverse, ces deux dernières années, bascule vers l’eldorado d’une majorité ferme. À la chambre basse, avec ses alliés et les ralliés post-élection, il manque au gouvernement moins de vingt sièges pour le contrôle. Milei a déjà lancé une offensive de charme envers les gouverneurs nécessiteux et semble en passe de l’obtenir. Au Sénat, Mme Bullrich, qui abandonnera, le 10 décembre, pour un siège, son poste de ministre, a promis de faire de même. Sur ces bases, l’approbation des lois nécessaires au bon fonctionnement de la tronçonneuse de M. Sturzenegger devrait connaître une forte accélération.
Sur le plan monétaire, Luis Caputo, ministre de l’Économie, a maintenant les possibilités d’accumuler un stock de réserves suffisant dans un double but. D’une part, décourager toute tentative de spéculation contre le peso et, d’autre part, faire baisser considérablement le risque argentin, condition nécessaire pour abattre le coût du crédit et permettre à l’Argentine de revenir sur les marchés de la dette avec des conséquences vertueuses sur les investissements étrangers dans les domaines pétroliers, miniers, infrastructure, touristique, etc. La liste est très longue dans un pays potentiellement aussi doué que l’Argentine. Vaste programme et, surtout, tâche de titan au niveau de l’organisation qui pourra faire l’objet d’un prochain article.
Javier Milei invoque souvent les « forces du ciel » et la défense trinitaire de la vie, la liberté et la propriété. Un syncrétisme un peu facile, mais probablement en passe d’expurger les rives du Rio de la Plata de vieux démons politiques quasi centenaires.
Michel de Saizieu