Le terroriste Georges Ibrahim Abdallah libéré

« Les lois de 1986 et 1988 ont permis une adaptation de nos procédures pénales à la lutte contre le terrorisme ; bien sûr, on luttait déjà contre le terrorisme avant ces lois : ainsi, nous avions par exemple réussi à arrêter Georges Ibrahim Abdallah. Le lien avec la justice s’est toujours fait par des relations directes avec les magistrats, tant les magistrats instructeurs que ceux du parquet. L’acte de saisine des magistrats, c’est le procès-verbal de renseignement ou le rapport de renseignement ; mais en amont de la procédure judiciaire proprement dite, il y a et il doit y avoir des relations personnelles et institutionnelles entre la DST et les magistrats. Cela permet de prévenir de l’existence de menaces et de faire le point sur les affaires qui pourraient faire l’objet d’une procédure judiciaire. Il y avait donc un dialogue : la DST n’a jamais voulu cacher des renseignements à la justice ; elle a toujours, au contraire, cherché à lui présenter le meilleur dossier possible pour entamer une procédure judiciaire. » (Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la DST, audition à l'Assemblée Nationale le 21 février 2013 de la commission d'enquête sur le fonctionnement des services de renseignements français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés).

Le terroriste libanais Georges Ibrahim Abdallah, incarcéré en France depuis le 24 octobre 1984 et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité le 28 février 1987 pour sa complicité dans l'assassinat de deux diplomates (un Américain et un Israélien) en 1982, devrait être libéré ce vendredi 25 juillet 2025. Pendant ses quarante années de détention, le prisonnier a toujours revendiqué ses idées marxistes, communistes et pro-palestiniennes, ce qui lui a permis de connaître des amis de l'extrême gauche actuelle, en particulier une députée européenne qui n'était même pas née lors de son arrestation.

Les partisans de la libération de Georges Ibrahim Abdallah ont fait valoir que cette décision du 17 juillet 2025 était une victoire politique, décision prise contre l'avis du parquet national antiterroriste qui avait fait appel de la décision. Cette décision de justice est donc loin de faire l'unanimité parmi les juges français.

Ces militants marxistes (oui, il en existe encore en plein dans le XXIe siècle) estiment que Georges Ibrahim Abdallah était un prisonnier politique en ce sens que des pressions américaines voire israéliennes auraient été faites à la France pour traiter avec sévérité cet encombrant prisonnier.

La réalité est plutôt le contraire. La France n'a jamais voulu de ce prisonnier et a tout fait pour que la justice fût la plus douce pour lui. La France, qui avait subi des vagues d'attentats terroristes, en 1982 puis en 1986, préférait éviter de provoquer de nouvelles motivations d'attentats.

Pendant le procès, le numéro deux de la DST, Raymond Nart, a témoigné en minimisant le rôle de Georges Ibrahim Abdallah, ce qui n'a pas manqué de surprendre les juges. En 2024, Raymond Nart, à l'âge de 88 ans, a publiquement justifié sa position de l'époque : « Les services algériens m’ont expliqué que les FARL et Abdallah ne représentaient rien politiquement, que c’était un petit groupe, des communistes pro-palestiniens excités. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’étaient pas dangereux. Compte tenu du fait qu’on avait déjà essayé d’échanger Abdallah contre un otage, ma logique était de ne pas empêcher qu’un tel échange puisse se reproduire. ».

Parmi les partisans de la libération de Georges Ibrahim Abdallah à l'époque (donc de sa non-condamnation), Yves Bonnet, le directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST) du 14 novembre 1982 au 1er août 1985, ensuite préfet de 1985 à 1991, futur député UDF de la Manche de mars 1993 à avril 1997, puis futur conseiller régional RN de la Normandie depuis juin 2021, en particulier parce que le directeur de la DST avait promis sa libération aux services algériens proches des FARL en échange de la libération d'un otage enlevé par les FARL, le Français Gilles Sidney Peyrolles (fils de l'écrivain Gilles Perrault), alors directeur du centre culturel de Tripoli (au Liban). Mais la justice a refusé de libérer Georges Ibrahim Abdallah, malgré la libération de Gilles Sidney Peyrolles, car on a retrouvé les armes qui ont tué les deux diplomates, ce qui allait condamner lourdement le dirigeant des FARL.

Si les Américains étaient autant impliqués pour punir sévèrement Georges Ibrahim Abdallah, c'était parce qu'ils le considéraient comme le responsable notamment de l'assassinat du lieutenant-colonel Charles R. Ray, attaché militaire à l'ambassade des États-Unis en France et probablement membre de la CIA, tué le 18 janvier 1982 à Strasbourg par un attentat revendiqué par les FARL.

Ainsi, si des pressions américaines ont bien eu lieu, la France a toujours tenté de s'y opposer. Pour preuve, cet échange au cours d'un dîner à Paris en juillet 1986 entre le chef de la CIA, William Casey, proche du Président Ronald Reagan, et le Ministre français délégué à la Sécurité Robert Pandraud, second du Ministre français de l'Intérieur Charles Pasqua. William Casey a menacé son interlocuteur français avec sa fourchette : « Si jamais la France ne condamne pas Abdallah à la perpétuité, ça va mal se passer entre nos deux pays, il y aura rupture diplomatique. Ce sera un énorme scandale. ». Réponse froide et cynique de Robert Pandraud : « On va faire plus simple. Nous allons libérer Abdallah et l'envoyer au Moyen-Orient. On vous donne ensuite son adresse, vous le liquidez et on n'en parle plus ! ».

C'est notamment ce qu'a relaté l'excellente émission radiophonique "Secrets d'info" produite par Jacques Monin, directeur des enquêtes et de l'investigation de Radio France de 2016 à 2024, et diffusée le 22 juin 2024 sur France Inter avec pour titre : "Les derniers secrets de l'affaire Georges Ibrahim Abdallah" (voir lien en fin d'article).

Pendant longtemps, avant et pendant le procès, les gouvernements français ont tenté d'expulser Georges Ibrahim Abdallah mais les juges français, jaloux de leur indépendance, ont refusé les pressions des dirigeants français. Au cours du procès, l'avocat général n'avait requis que dix ans de prison, tandis que les juges ont préféré la perpétuité.

Pierre Baechlin, l'avocat général, a demandé en effet à la cour son indulgence : « Je crois, dans l’intérêt de tous, pouvoir vous demander, vous conjurer, vous supplier, de ne pas prononcer à l’encontre de l’accusé [Georges Ibrahim Abdallah], une peine de réclusion criminelle supérieure à dix ans. ».

Et Jacques Monin de raconter : « Un témoin de la scène, présent au tribunal ce jour-là, nous raconte aujourd’hui avoir entendu l’avocat général dire à voix basse : "Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour la France…". Pourquoi une telle clémence ? "La France ne voulait pas faire de vagues à cause de ses otages au Moyen-Orient", analyse Patrice de Méritens. Il raconte qu’à la veille de son réquisitoire, Pierre Baechlin aurait été "invité à prendre un whisky par le Procureur général de Paris. Ce dernier lui explique qu’il risque d’y avoir une nouvelle vague d’attentats s’il requière la perpétuité contre Abdallah. L’avocat général est traumatisé. On lui demandait de trahir la justice au nom de la raison d’État". Georges Ibrahim Abdallah sera cependant condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité d’assassinat. ».

Au fil des années et de l'application de la peine, certains gouvernements ont refusé une libération conditionnelle à laquelle Georges Ibrahim Abdallah aurait pu prétendre à partir de 1999 (la moitié d'une peine de 30 ans). Il y a eu plusieurs tentatives de libération conditionnelle depuis l'an 2000 qui, jusqu'à juillet 2025, ont toutes échoué pour diverses raisons plus judiciaires que politiques.

Le Ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy a voulu être ferme. Jean-Marie Beney, à l'époque directeur de cabinet du Ministre de la Justice Pascal Clément (de juin 2005 à mai 2007), maintenant procureur général près la cour d'appel de Montpellier, a décrit son état d'esprit : « Il s’agissait de répondre à une préoccupation exprimée par les Américains, pas de céder à leurs doléances. On ne leur a pas donné de garantie, on leur a dit ce qu’on allait faire. Il n’y a eu aucune tentative d’ingérence ou de pression. Avec ou sans message des Américains, la position du Ministère public aurait été la même. ».

On peut aussi évoquer le Ministre de l'Intérieur Manuel Valls qui, en refusant le 14 janvier 2013 de signer l'arrêté d'expulsion de ce prisonnier encombrant, a empêché sa libération conditionnelle. Manuel Valls a reconnu des pressions américaines (Hillary Clinton sur son homologue français Laurent Fabius) mais qui n'ont eu aucun effet sur sa prise de décision dictée par le climat politique : « Je le maintiens en prison volontairement, il n’était pas question que je signe l’arrêté d’expulsion. Je le fais par conviction. J’en ai informé le Président de la République [François Hollande], qui ne m’en a pas dissuadé. » (dira-t-il plus tard celui qui est devenu Premier Ministre puis, maintenant, Ministre d'État, Ministre des Outre-mer).

Ce vendredi, c'est donc un dinosaure des prisons françaises qui va en sortir, immédiatement expulsé vers son pays d'origine, le Liban. Certains militants vont crier victoire, bien sûr, mais les autorités françaises, elles, vont juste pousser un ouf de soulagement.


Sylvain Rakotoarison

Date de dernière mise à jour : 29/12/2025

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