
« Petit Bateau s’apprête à écrire une nouvelle page de son histoire. » C’est ainsi que, sur son site, le groupe Rocher a annoncé « avoir retenu Regent comme repreneur », autrement dit être en passe de vendre à un fonds d’investissement américain cette marque française iconique qui a habillé, du slip au ciré, de nombreuses générations.
Officiellement, « ce projet de cession s'appuie sur l’ambition d’insuffler une nouvelle dynamique de croissance pour Petit Bateau, portée par les moyens et l'expertise de Regent, spécialiste de la relance de maisons patrimoniales telles que DIM (France), Bally (Suisse) ou La Senza (Canada) ». La marque se portait pourtant bien… Dans un communiqué, Alexandre Rubin, directeur général de Petit Bateau, indique que les ventes de l’enseigne ont progressé en 2024 et au premier semestre 2025. Dans ces conditions, pourquoi la vendre ? Il semblerait que Petit Bateau fasse les frais des loupés de la marque phare du groupe, Yves Rocher. Pour la firme bretonne, l’objectif de la cession serait donc de se relancer dans le secteur des cosmétiques.
Le Petit Bateau sous pavillon américain
Le groupe Rocher lâche du lest. Et, même si Jean-David Schwartz, le directeur général exécutif du Groupe Rocher, assure que « Régent donnera à la marque l’élan nécessaire pour soutenir ses ambitions, tout en préservant l’ancrage et l’identité qui font sa force », ce changement de pavillon a de quoi inquiéter. Que vont devenir les 2.400 salariés de la marque, son usine et son site logistique de Troyes (Aube) ? BV a posé la question à Petit Bateau, elle est restée sans réponse.
Pour l’heure, Michael Reinstein, président du fonds Régent, dit vouloir préserver ce qu’il juge être un « héritage » et promet de conserver « ce qui rend Petit Bateau irremplaçable : ses traditions artisanales, son esprit français et la confiance que les familles accordent à chaque vêtement ». Il n'empêche que la France perd encore l’un de ses fleurons, l’une de ses marques emblématiques. L'hémorragie se poursuit. Petit Bateau ne fait qu’allonger la longue liste des enseignes d’habillement iconiques ayant changé de nationalité : Lacoste, Bonpoint, Aigle, Cacharel, Le Coq Sportif, Du pareil au même, Chipie…
Évidemment, ce n’est pas le seul secteur à être touché. Côté agroalimentaire, la France a perdu Cochonou, Justin Bridou, Petit Navire, Poulain, Carambar, Orangina et autres Panzani. Elle a aussi dit adieu à Opella, filiale de Sanofi productrice du Doliprane, au Club Med, à Alstom, à Bourjois, à La Fourchette devenue The Fork, et à bien des marques encore.
Adieu « Small Boat »
Les entreprises françaises sont reconnues pour leur savoir-faire et attirent des investisseurs étrangers. S’il convient de se réjouir de cet aura, il convient également de se demander pourquoi la France ne parvient pas à conserver ses sociétés. Sans vouloir faire de l’économie d’ascenseur, rappelons que les charges patronales et salariales sont plus importantes en France que dans n’importe quel autre pays d’Europe et que notre belle nation est dans le Top 3 mondial de celles où l’impôt sur les sociétés est le plus élevé. Cela n’explique sans doute pas tout, mais c’est peut-être une piste.
Cela étant, ce n’est pas maintenant que l’État doit trouver des milliards d’euros pour alléger son déficit public qu’il va lâcher la bride aux entrepreneurs. Comme tous les Français qui aiment Petit Bateau, l'État va regarder la marque voguer vers l’Amérique dans le sillage d’autres navires français et devant une flotte probablement encore importante. Bye-bye Small Boat.
Sarah-Louise Guille