La bataille de Verdun racontée par ceux qui l’ont vécue

Dans la lumière rasante de l'automne, les bouquets d'arbres roux qui entourent le fort de Douaumont (Meuse) prennent des teintes chatoyantes. Plantée au lendemain de la Première Guerre mondiale sur le site de la plus longue et la plus sanglante bataille du conflit (plus de 300 000 hommes y ont perdu la vie entre février et décembre 1916), cette végétation constitue une « forêt mémorielle », selon les termes de Nicolas Barret, directeur du Mémorial de Verdun. Couvrant près de 20 km2, c'est de fait une sorte de linceul géant pour les 80 000 soldats morts sur place qui n'ont pas encore été retrouvés.

bataille de Verdun février-décembre 1916 - LAROUSSE

Les visiteurs du site relèvent régulièrement des reliques des combats en s'y promenant. Il y a quelques mois, des marcheurs sont tombés sur un casque rouillé étonnamment bien conservé. L'été précédent, des randonneurs avaient repéré une dépouille au pied d'un épicéa déraciné. Ici plus de 2 millions d'hommes ont vécu l'enfer sous un déluge inouï d'artillerie. Verdun est probablement l'affrontement du XXe siècle où a été employée la plus importante puissance de feu. Soixante millions d'obus y auraient été tirés, selon les spécialistes, blessant plus de 400 000 soldats. Plus d'un siècle après, des millions de munitions non explosées restent enfouies dans le sol, couvert de cratères témoignant du caractère littéralement « industriel » de cette bataille.

Lieu de mémoire

Créé en 1967 pour que soit perpétué le souvenir des « poilus » qui luttèrent pied à pied contre l'armée allemande, le Mémorial organise régulièrement des expositions. « L'enjeu est double : raconter ce qui s'est passé ici et, ce faisant, éviter qu'une telle tragédie ne se reproduise sur notre territoire », témoigne Nicolas Czubak, responsable du pôle histoire, collections et médiation de l'établissement public qui gère le lieu.

Mémorial de Verdun. Musée et lieu de mémoire de la bataille de Verdun

Mémorial de Verdun

Le relief du champs de bataille a été totalement remodelé par l'explosion de près de 60 millions d'obus.  © Baudouin Eschapasse

L'exposition Destins de Verdun, qui se tient à Verdun jusqu'au 28 avril 2024, renoue en ce sens avec l'ADN du Mémorial, inauguré en 1967 par l'écrivain Maurice Genevoix, qui combattit lui-même à Verdun. Conçue comme une déambulation au sein du bâtiment mais aussi des forts qui l'entourent, elle donne à entendre une vingtaine de témoignages de soldats et médecins des deux camps. « Notre souhait était de mettre en récit ce site, de raconter la bataille à hauteur d'hommes », indique Nicolas Barret, directeur du Mémorial.

« Longtemps, cette bataille n'a été racontée que d'un point de vue militaire, c'est-à-dire en évoquant les grands mouvements de troupes, les actions des régiments? Nous avons eu envie d'adopter un autre point de vue, pour permettre au public de saisir de manière presque charnelle la trajectoire des individus qui sont passés sur place », complète Nicolas Czubak. Du fort de Douaumont à l'ouvrage de Froideterre, en passant par le fort de Vaux, un dispositif d'audioguide permet d'écouter leurs histoires dites par des comédiens bénévoles.

Installés sur des belvédères implantés sur chacun des sites par le scénographe Sylvain Roca, les visiteurs écoutent ainsi sur leur téléphone portable Omar Sy raconter les actions héroïques du tirailleur Moussa Dansako. Ou Mathieu Amalric restituer le calvaire d'Eugène Criqui, l'une des « gueules cassées » dont le destin a basculé à Verdun. Clotilde Hesme évoque l'engagement de Nicole Girard-Mangin, première femme médecin au sein de l'armée française, aujourd'hui injustement oubliée. La même lit aussi les souvenirs de Fernande Herduin, qui dut se battre près de dix ans pour que soit lavé l'honneur de son mari, Henri, fusillé « pour l'exemple » le 11 juin 1916 dans le bois de Fleury-devant-Douaumont.

Récits incarnés

La grande histoire s'incarne ainsi de manière saisissante. Et la geste de ces citoyens ordinaires plongés dans une situation extraordinaire résonne d'autant plus fort que l'on entend ces récits dans les ruines de bunkers et les vestiges de villages rasés. La bravoure s'illustre des deux côtés. Chez le Français Jean Tourtay, né en 1891 à Chalon-sur-Saône, guetteur perché en haut d'un ballon aérostatique pour aider les canonniers français à ajuster leur tir et qui signale des mouvements de troupes ennemies. Comme chez le médecin berlinois Benno Hallauer qui, au mépris du danger, court au secours de ses camarades blessés lors de l'explosion d'une réserve d'obus le 8 mai 1916 à Douaumont. Mais aussi chez Léon Buffet ou d'Albert Neyton, messagers traversant les lignes de front sous la mitraille allemande.

Le relief du champs de bataille a été totalement remodelé par l'explosion de près de 60 millions d'obus.   © Baudouin Eschapasse

Le relief du champs de bataille a été totalement remodelé par l'explosion de près de 60 millions d'obus.  © Baudouin Eschapasse

Graffiti au fort de Douaumont. © Baudouin Eschapasse

Le récit des souffrances endurées par les belligérants, notamment à cause du ravitaillement défaillant en eau potable des premières lignes, comme l'évocation de la folie qui guette les soldats confrontés au fracas des obus prennent un relief singulier dans les couloirs exigus des positions fortifiées qui ont survécu aux bombardements. D'autant que, sur certains murs, des hommes ont laissé des graffitis : silhouettes de soldats ou noms de recrues mobilisées.

Des épisodes devenus quasi mythiques

« La force de ces enregistrements que l'on peut écouter in situ ou chez soi, c'est leur puissance d'évocation. Nous expérimentons ici une nouvelle manière de transmettre l'histoire », insiste Nicolas Barret, qui s'apprête à moderniser la muséographie des forts, passés sous la gestion du Mémorial en janvier 2022. « La question de la transmission de cette mémoire est centrale, et c'est la raison pour laquelle le Conseil départemental de la Meuse s'engage, au côté du Mémorial, pour organiser un festival d'histoire l'an prochain qui réunira tous les acteurs institutionnels qui réfléchissent au sujet », confie Jérôme Dumont, président du Conseil départemental de la Meuse, lui-même historien.

En avril 2024, un colloque organisé à l'instigation de Nicolas Barret devrait revenir sur les « dramaturgies » de Verdun. L'occasion, là encore, de réfléchir à la manière dont on raconte cette histoire dont bien des épisodes sont devenus quasi mythiques. Qu'il s'agisse de ce peloton prétendument « enterré debout » près de l'ossuaire de Douaumont ou de ce vaillant pigeon qui porta les appels à l'aide du régiment assiégé par les Allemands au fort de Vaux. « On sait aujourd'hui que celui qui est conservé, empaillé, au mont Valérien? n'est pas le bon », relève Nicolas Barret.

En juin prochain, la flamme olympique passera par Verdun avant de rejoindre Paris. « Ce sera l'occasion de rappeler à la jeune génération que l'histoire de cette bataille doit d'autant plus être étudiée qu'elle a laissé des traces encore tangibles dans toutes les familles de France », émet Nicolas Czubak. La preuve ? À la fin du parcours, les visiteurs du Mémorial se voient poser une question. « Avez-vous un "Destin de Verdun" dans votre famille ? » 30 % d'entre eux répondent oui. Une adresse mail a été mise en place pour aider l'institution à collecter des traces et des témoignages susceptibles de nourrir de nouvelles expositions à l'avenir. « Pour le moment, on reçoit surtout des demandes de renseignement de gens qui veulent savoir où sont enterrés leurs morts », confie Nicolas Barret.

« Destins de Verdun », exposition jusqu'au 28 avril 2024 au Mémorial de Verdun, 1 Av. du Corps Européen, Fleury-devant-Douaumont (Meuse).

Baudouin Eschapasse 

 

 

 

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 11/11/2023

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