
« Dans le Tarn-et-Garonne, une salariée de l'ASE a fourni à son compagnon proxénète les coordonnées des jeunes filles. »
Alors qu’un rapport parlementaire vient de pointer la gestion catastrophique de l’aide sociale à l’enfance (ASE), et plus largement de l’échec et la dérive de la politique publique menée dans ce domaine, ce sont de véritables scandales d’État qui émergent peu à peu au grand jour, malgré l’omerta qui règne dès que l’on aborde certains sujets « gênants ».
20.000 enfants prostitués sur 227.000 placés
Si celui de l’entrisme islamiste dans les structures de protection de l’enfance reste encore à investiguer en détail, celui de la prostitution enfantine est désormais un secret de polichinelle. Dans un entretien accordé au Figaro, l’avocat Michel Amas met les pieds dans le plat bien peu ragoûtant des activités de prostitution enfantine dont les foyers pour mineurs et associations de l’aide à l’enfance s’avèrent être de vastes viviers. Environ 20.000 enfants sur les 227.000 placés dans ces structures, supposées les protéger, y seraient au contraire la cible de proxénètes, de pédocriminels, opérant seuls ou en réseaux.
Me Amas relate une histoire effrayante qui résume bien le drame vécu par la plupart des victimes et dont les responsabilités commencent à poindre au fil des plaintes, des enquêtes et des témoignages. Cette histoire est celle de deux petites filles d’Évry (Essonne), dont « la maman a fait une dépression » et dont le père est « très peu présent ». Elles sont placées avec un droit de visite mensuel. Au bout de trois mois, « on apprend parmi les services sociaux [que l’une des filles] qui a treize ans a des rapports sexuels avec plein de gens dans le foyer ». La demande de rencontre avec le magistrat reste sans réponse. Puis les services sociaux alertent que la jeune fille a des problèmes de toxicomanie. Nouvelle demande de rencontre avec le magistrat, à nouveau sans réponse. « Là, l’enfant fugue », poursuit l’avocat, « et au bout de plusieurs mois, cette petite fille appelle sa maman au secours et elle lui dit "je suis dans un réseau de prostitution à Toulon". » Ramenée à Paris par la police, elle est une nouvelle fois enlevée par son « mac » avant d’être récupérée à nouveau. « Et là, toujours pas d’audience », déplore Me Amas, pour qui « ce n’est pas du manque de travail mais du mépris », et qui ajoute que « lorsque le père s’est alors vu refuser un droit de visite, il s’est pendu ». Pour Michel Amas, « ce qui se passe dans l’aide sociale à l’enfance est un scandale […], je rencontrais peu de prostitués, avant. Cela a flambé il y a un ou deux ans. » La faute aux juges ? Aux directeurs de foyers ? « Il n’y a qu’un seul responsable, c’est le président du département » (dont dépend l’aide sociale locale), « la seule administration qui n’a pas de contrôle, c’est l’ASE », répond sans hésiter Me Amas, qui a déjà assigné les départements de l’Essonne, des Yvelines et des Bouches-du-Rhône pour « faute en responsabilité ». D’autres plaintes devraient suivre.
La prostitution enfantine : un tabou
Marine Hamelet, députée RN du Tarn-et-Garonne, membre de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, qui a produit le rapport sur la gestion de l’ASE, s’est confiée à BV sur ce dossier. Elle pointe notamment les manques du rapport, « qui ne parle pas suffisamment des placements abusifs et des problèmes de prostitution et de pédocriminalité ». Un tabou pour l’élue, qui ne s’est pas intéressée à la question par hasard : « Si j'ai décidé de travailler sur ce sujet, c’est parce que dans le Tarn-et-Garonne, c'est une salariée de l'ASE qui a fourni à son compagnon proxénète les coordonnées des jeunes filles », ajoutant que dans « la plupart des cas, ce sont des jeunes filles qui ont moins de 15 ans ». Et quand elle entend les départements expliquer leurs dysfonctionnements par un manque de moyens, Marine Hamelet s’insurge. « Je vais vous dire le contraire : il y a trop de moyens. On y consacre 10 milliards ! Et ça fait des convoitises. Il y a tout un business qui se fait autour de ça. Il y a des associations qui arrivent à toucher et, finalement, à détourner de l'argent. Ce problème touche l'ASE, mais plus largement aussi les mineurs non accompagnés » (MNA).
Bientôt une proposition de loi
Face à la pandémie de prostitution enfantine, Marine Hamelet propose en premier lieu de « recentraliser l'ASE. Avec la décentralisation, les départements travaillent en silo, et dès qu’un enfant change de département, on perd sa trace et il n’y a ni coordination ni échange d’informations. » Et « concernant les MNA, il faudrait aussi rendre obligatoires les contrôles afin que l’on sache s’ils sont vraiment mineurs ». Par ailleurs, l’élue RN estime nécessaire « que les parlementaires soient autorisés à visiter les structures d’accueil, ce qui leur est pour l’instant interdit », mais aussi que les magistrats en charge des dossiers aient une obligation de réponse.
Une proposition de loi dans ce sens devrait d’ailleurs arriver sur le bureau de l’Assemblée nationale « d’ici quelques semaines, afin qu’elle soit discutée avant la fin de la session parlementaire, d’ici juillet », indique Marine Hamelet. « Avec Maître Hamas, qui est avocat au barreau de Marseille, nous sommes en train de préparer un texte transpartisan sur ces questions, avec notamment Anne-Marie Blin et Olivier Marleix (Droite républicaine), mais aussi des députés des groupes LIOT et socialiste. »
Il y a urgence, en effet.
Etienne Lombard