
« Voilà sans aucun doute les dépouilles des quelques 63 victimes du doux médecin… Dans ces années troubles de l’entre-deux-guerres, puis de la Seconde Guerre mondiale, le jeune médecin de province, fraîchement débarqué à Paris, a pourtant bonne réputation. Il soigne les pauvres gratuitement, réconforte les malheureux. Qui peut imaginer qu’il mène une double vie, nocturne, inavouable, baignée de sang et calcinée de chaux vive ?… » (Jean-Marc Varaut).
Un de mes amis me reproche régulièrement ce qu’il appelle « mes fixations » – entendez par là mes idées fixes – contre la franc-maçonnerie, l’ultragauche, l’islamisation rampante de la France, les atrocités commises par les communistes à la Libération, etc. Il n’a pas tout à fait tort car je finis par tourner en boucle, même si je pense sincèrement que c’est en tapant sur le clou, de façon répétitive, qu’on l’enfonce. La désinformation est telle, dans notre foutu pays, que je m’impose un devoir de vérité. Récemment j’ai écrit deux articles sur « l’épuration ». J’y parlais des femmes tondues et des atrocités commises par les FTP. Aujourd’hui je vais vous parler du « capitaine Valéri » qui cochait toutes les cases de la bien-pensance puisqu’il était socialiste, franc-maçon et résistant.
« La Secte » maçonnique ayant la fâcheuse habitude de traîner en justice ceux qui osent la dénigrer, je me garderai bien de mettre tous les « frères-maçons » dans le même panier. Il existe sans doute des FM désintéressés, honnêtes et intègres, mais, tel le mouton à cinq pattes ou le poisson-volant, ils ne représentent pas la majorité de l’espèce. Depuis le « Carrefour du développement » des frères Nucci et Chalier ou l’affaire Urba-Gracco du frère Monate, et malgré la volonté d’une presse complice d’étouffer les scandales, les affaires louches ou les histoires crapuleuses se suivent, année après année, avec une régularité de métronome. Mais, je ne vais pas m’attarder sur le sujet, Ghislaine Ottenheimer (1) ou Sophie Coignard (2), qui ne passent pas pour des journalistes d’extrême-droite, ont écrit des choses édifiantes sur cet État dans l’État.
L’évocation de la Résistance m’a donné l’idée de vous parler d’un médecin franc-maçon, une belle conscience de gauche, un humaniste, qui a été maire de son patelin puis conseiller général de son canton et, de surcroît, un grand résistant puisque, comme officier FFI, il était chargé de faire la chasse aux collabos à la Libération. J’ai raconté cette histoire dans un de mes livres (3).
Marcel P….. (conservons-lui pour l’instant l’anonymat) naît à Auxerre le 17 janvier 1897. Il est issu de la petite bourgeoisie bourguignonne. Dès l’enfance, Marcel manifeste une intelligence vive – à 5 ans, il lit comme un enfant de 10 ans -, mais il est sujet à des accès de violence. Esprit retord, il serait allé jusqu’à distribuer des images pornographiques à ses condisciples de classes primaires, aurait tiré au revolver en pleine classe et aurait ébouillanté un chat. Par la suite, il est renvoyé de plusieurs écoles ou collèges pour indiscipline. À 17 ans, il est arrêté pour avoir fracturé des boîtes aux lettres pour lire les lettres et cartes postales. Il n’est pas condamné, un psychiatre l’ayant déclaré inapte à être jugé, estimant qu’il est « bipolaire ».
La Grande Guerre éclate et Marcel devance l’appel le 11 janvier 1916. Il est blessé au pied, d’un éclat de grenade, le 20 mars 1917. Accusé de vol à l’hôpital, il fait un premier séjour à la prison militaire d’Orléans avant son transfert en psychiatrie à Fleury-les-Aubrais. Là, les psychiatres le déclarent « neurasthénique, dépressif et paranoïaque ». Mais le pays a besoin de « chair à canon » et, malgré son état, il est renvoyé au front en 1918, avant d’être réformé pour troubles psychiatriques. En 1920, une commission fixe son incapacité à 100 %, ramenée à 50 % en 1921. Chose surprenante, Marcel a repris des études de médecine entre temps : il obtient son doctorat de médecine de la faculté de Paris, le 15 décembre 1921, avec mention « très bien ».
En 1922, il ouvre un cabinet à Villeneuve-sur-Yonne où il devient rapidement très populaire en offrant aux indigents consultations et vaccinations. Car Marcel penche à gauche : il se dit socialiste et « humaniste ». Jean-Marc Varaut (4) écrit qu’il est soutenu par des « forces occultes », c’est un doux euphémisme pour dire qu’il est devenu franc-maçon. Très vite, cet étrange docteur se fait remarquer par des tendances à la cleptomanie. Ses détracteurs l’accusent aussi de pratiquer des avortements clandestins et de fournir de la cocaïne aux drogués. Mais nous sommes sous la IIIe « Ripoux-blique » et sa réputation ne l’empêche pas d’être élu conseiller municipal en 1925, puis maire en 1926.
Mais, rapidement, il est poursuivi pour plusieurs délits : fausses déclarations à l’assurance maladie, détournements d’argent, utilisation frauduleuse de fonds publics en sa qualité de maire…
« Médecin des pauvres », Marcel et déjà riche et choisit comme avocat un ténor du Barreau, maître René Floriot, lequel lui évite la prison. Révoqué de son mandat de maire, en 1931, il se fait aussitôt élire conseiller général de son canton mais il est définitivement déchu de tout mandat électif, en 1934, pour avoir trafiqué… son compteur électrique. C’est décidément un drôle d’oiseau ce toubib socialiste et humaniste ! Il commence sérieusement à sentir le souffre même auprès de ses « frères maçons ». Sitôt révoqué, plusieurs affaires inexpliquées suscitent des rumeurs dans sa ville, entre autres, la disparition de sa bonne, Louisette, qui fut sa maîtresse et l’incendie, pour le moins suspect, de la laiterie « Debove », dans lequel est morte la patronne de l’entreprise. Poursuivi par la justice pour plusieurs délits, Marcel part s’installer à Paris en 1933. Et personne ne cherche à le retrouver. « Bizarre, bizarre, vous avez dit bizarre ! ». À son arrivée dans la capitale, il ouvre un cabinet médical au premier étage du 66 rue de Caumartin. Son entreprise est vite florissante : il inonde son quartier de tracts publicitaires dignes d’un charlatan, pour s’attirer des patients crédules et souffrant des maux les plus divers. Il y vante sa pratique de l’électrothérapie. Il se dit spécialiste en désintoxication, ce qui lui permet de délivrer des ordonnances de complaisance à des toxicomanes. En 1936, il est arrêté pour vol à l’étalage à la librairie Joseph Gibert, dans le quartier latin. Il affirme à ses juges qu’« un génie ne se préoccupe pas de basses choses matérielles ». Déclaré aliéné mental, il échappe à la prison mais est interné à la maison de santé d’Ivry pendant sept mois. La question de son état mental se pose alors : est-il fou ou a-t-il simulé la folie pour éviter la prison ? Un premier expert psychiatre le déclare « délirant et irresponsable ». Un second voit en lui « un individu sans scrupules, dépourvu de tout sens moral ». Rendu à la liberté en février 1937, il reprend ses consultations comme avant son internement et continue à s’enrichir.
Le 11 août 1941, en pleine Occupation, il acquiert un hôtel particulier, à Paris, au 21 rue Le Sueur. Il y réalise d’importants travaux avec l’idée, dit-il, d’en faire une clinique. À partir de 1942, « le bon docteur des pauvres » devient résistant : il propose un passage vers l’Argentine à des gens poursuivis par la Gestapo. Les candidats au départ sont invités à se présenter chez lui, de nuit, munis d’une valise contenant bijoux, espèces et argenterie. Sous le pseudonyme de « docteur Eugène », il recrute deux rabatteurs : un coiffeur, Raoul Fourrier, et un artiste de music-hall raté, Edmond Pintard. Les candidats au voyage disparaissent tous, mystérieusement, sans atteindre l’Amérique du Sud. Une première victime disparaît le 2 janvier 1942. Il s’agit de Joachim Guschinow, un fourreur juif. Il aurait donné à Marcel l’équivalent de 300 000 euros en diamants. Yvan Dreyfus, prisonnier juif missionné par la Gestapo pour infiltrer le réseau du « docteur Eugène » disparaîtra lui aussi sans laisser de trace. Après les personnes isolées, Marcel s’en prend à des familles entières en leur proposant des « tarifs de groupe ». Les victimes sont essentiellement des Juifs, mais aussi des malfrats désireux de se faire oublier. D’autres individus, risquant de le dénoncer, s’évanouissent dans la nature. Les services allemands finissent par découvrir le « réseau Eugène » grâce à un indicateur : un Français nommé Beretta. Marcel est arrêté, interrogé et torturé. Interné pendant huit mois à la prison de Fresnes, il n’avoue rien et pour cause : il n’a aucun lien, aucun contact réel, avec la Résistance. Il est libéré le 13 janvier 1944, « contre une caution » (5). On est en droit de se demander, à une époque où les Allemands fusillaient ou déportaient le moindre suspect, pourquoi l’a-t-on relâché si facilement ?
On suppose qu’il décide alors de faire disparaître des indices compromettants : le 11 mars 1944, les pompiers sont alertés par des voisins qu’incommodent, depuis plusieurs jours, les odeurs pestilentielles provenant d’une cheminée de la maison (à l’abandon) située au 21 rue Le Sueur. Ils fracturent une fenêtre et pénètrent dans l’immeuble. Ils sont aussitôt alertés par le ronflement d’une chaudière. Dans la cave, ils découvrent des corps humains découpés, dépecés et prêts à être incinérés dans deux énormes chaudières-calorifères à bois. Pour la suite, il existe plusieurs versions des faits : certains auteurs prétendent que Marcel serait arrivé à bicyclette, se serait fait passer pour son frère Maurice, puis aurait quitté les lieux. Henry Sergg (6) suppose que Marcel se serait rendu au 93 rue Lauriston, au siège de la Gestapo française. Son chef, Henri Lafont, aurait découvert ses crimes et, par chantage, l’aurait contraint à travailler pour lui. Mais cette affirmation ne repose sur rien.
Quoi qu’il en soit, Marcel s’est volatilisé ! Lors de perquisitions ultérieures, on découvrira rue Le Sueur un débarras contenant 72 valises et 655 kilos d’objets dont 1760 pièces d’habillement.
En fuite, Marcel rejoint, sous une fausse identité, les FFI dans lesquelles il est intégré comme lieutenant. Qui lui a procuré cette fausse identité ? Qu’est-ce qui justifiait son grade ? Toujours est-il qu’« on » s’empresse… de le nommer capitaine (à quel titre ?) : le « capitaine Valéri » (7).
Il est affecté à la caserne de Reuilly. Là, le capitaine Valéri, (qui prendra également le nom de « docteur Westerwald ») est nommé officier de Sécurité Militaire, chargé de l’épuration des traîtres et des collaborateurs : ce « grand résistant », torturé par les Allemands et, à ce titre, respecté par ses subalternes, trouve que l’épuration est trop tendre et pas assez expéditive ; on croît rêver !
À la Libération de Paris, un mandat d’arrêt est lancé contre Marcel qui reste introuvable. Finalement, on l’arrête le 31 octobre 1944 à la station de métro « Tourelle ». On trouve sur lui un revolver chargé, une carte des « Milices Patriotiques » et plusieurs cartes d’identité. L’enquête met au jour la complicité du frère de Marcel, Maurice, commerçant à Auxerre ; de sa femme Georgette ; de sa belle-fille et maîtresse Léonie Arnaux ; d’Albert Neuhausen, marchand de cycles à Courson-les-Carrières, chez qui ont été retrouvées des valises. Avant l’ouverture du procès, on inculpe son épouse et Neuhausen de recel et son frère d’homicide involontaire. Ils bénéficieront finalement d’un non-lieu. Ce n’est jamais qu’une bizarrerie de plus dans cette affaire sordide !
Celui que la presse baptise « docteur Satan » est jugé du 18 mars au 4 avril 1946, par la Cour d’assises de la Seine, pour 27 assassinats, dont ceux de 12 israélites et de 4 proxénètes accompagnés chacun de sa « gagneuse ». Dès le deuxième jour du procès, par fanfaronnade, il revendique 63 meurtres. Il affirme qu’il s’agit de cadavres de traîtres, de collaborateurs et d’Allemands. Jusqu’au bout, il prétend avoir tué « pour la France ». Il explique, le plus sérieusement du monde, que son réseau, nommé « Fly Tox » – marque très connue d’un insecticide et allusion ironique à la chasse aux mouchards – avait été démantelé par les Allemands. Durant les auditions, il montre une attitude désinvolte et va même jusqu’à s’endormir. Malgré la plaidoirie de six heures prononcée par maître René Floriot, il est condamné à mort pour 24 meurtres. Au matin de l’exécution, l’avocat général Pierre Dupin le réveille en lui disant : « Ayez du courage, c’est l’heure », il rétorque : « Tu me fais chier ! ». Et quand il lui demande s’il a quelque chose à déclarer, il répond : « Je suis un voyageur qui emporte ses bagages ». Ses paroles rappellent étrangement celles de Landru. Le 25 mai 1946, il est guillotiné dans la cour de la Santé.
La fortune amassée par Marcel… Petiot – vous aurez compris que c’est de lui qu’il s’agit – n’a jamais été retrouvée mais, après la guerre, sa famille est partie vivre en Amérique latine. On se demande, bien sûr, avec quel argent elle a pu émigrer puis vivre confortablement là-bas ?
L’histoire tient parfois à peu de choses : si, le 11 mars 1944, des voisins n’avaient pas été incommodés par les odeurs et les fumées sortant de l’hôtel de la rue Le Sueur, on peut supposer que le « capitaine Valéri » (sans doute devenu colonel entre temps ?) aurait continué sa carrière avec les honneurs dus à un grand résistant. Peut-être serait-il devenu député ou sénateur ? Peut-être même le « docteur Eugène » (ou « Westerwald ») aurait-il écrit ses mémoires et – pourquoi pas – l’histoire du réseau de Résistance « Fly-tox » ? Peut-être même aurait-il laissé son nom à des rues, des places, des avenues… ou une Loge ? Mais avec des « Si », c’est connu, on mettrait Paris en bouteille.
Eric de Verdelhan
1)- « Les frères invisibles » de Ghislaine Ottenheimer (avec Renaud Lecadre) ; Albin Michel ; 2001
2)- « 100 questions sur les francs-maçons », de Sophie Coignard ; La Boétie ; 2013
3)- « Mythes et Légendes du Maquis » publié aux éditions Muller ; 2019
4)- « L’abominable docteur Petiot » de Jean-Marc Varaut ; Balland ; 1974
5)- « L’affaire Petiot » de Jacques Perry et Jane Chabert ; Gallimard ; 1951
6)- « Petiot : le docteur diabolique » d’Henry Sergg ; Éditions Dualpha ; 2008
7)- Valéri est parfois orthographié Valéry.