
Qui n’a entendu, au détour d’une conversation de comptoir, dans la rue, entre amis ou voisins, l’affirmation suivante : « La France, ça devient pire que le Brésil » ?
Effectivement, nous en prenons la direction, d’autant que quelques sommités s’y attellent avec ardeur. Mais que de chemin il reste à parcourir ! Avec un taux d’homicides volontaires (par an/100.000 habitants) douze fois supérieur au nôtre et que seuls sur ce continent, la Colombie et surtout le Venezuela parviennent à dépasser, il y a encore du boulot.
Au Brésil, les statistiques ethniques sont autorisées. Profil moyen du tueur et du tué : un homme, jeune, afro-descendant, et de condition modeste. Bref, un narcotrafiquant. De quoi rassurer en partie ceux qui se tiennent à l’écart de ce genre de combine.
Ceci étant, qui a vraiment envie de se faire descendre n’est pas obligé de devenir dealer : les mauvaises surprises peuvent surgir à un arrêt de bus, un feu rouge, dans un commerce ou tout simplement chez soi. Le Brésilien est imaginatif.
Dans un pays où il ne se passe pas 24 heures sans plusieurs affrontements à l’arme automatique entre gangs ou contre la police, celle-ci défouraille sans trop se poser de questions. Il vaut mieux pour elle, sinon tous les flics seraient morts. La hiérarchie en étant parfaitement consciente, elle ne s’oppose pas aux « ripostes préventives », et même les encourage : le mois dernier, l’Assemblée de l’État de Rio a voté une loi attribuant une prime pouvant aller jusqu’à 150 % du salaire mensuel à tout fonctionnaire ayant saisi des armes lourdes ou « neutralisé » un criminel.
Graças a Deus, Rio ne reflète pas la situation globale. Certes le PCC, (Primeiro Comando da Capital) basé à São Paulo reste la plus grosse organisation criminelle du pays, mais le Comando Vermelho carioca remporte haut la Kalach’ la palme de la violence.
La beauté hallucinante de Rio va subjuguer qui la découvre, et pour le curieux il n’est pas interdit de se promener de jour dans les favelas, à condition d’être accompagné d’autochtones et, bien sûr, d’éviter toute ostentation. Le malfrat patenté pourra se montrer très cool avec vous, tant que vous ne vous mêlez pas de ses affaires. Rien à voir avec les « Wesh » de nos banlieues.
Pas évident, à vue de nez, d’appréhender ce qui peut se tramer, alors que c’est du très lourd.
Silencieux ou non, le Comando Vermelho, véritable cancer social dont pseudopodes et ramifications s’étendent jusque dans les coins les plus paumés d’Amazonie ou du Sertão va amener Claudio Castro, gouverneur de l’État, à procéder à des mesures radicales : siège total et asphyxie de deux favelas, « o complexo do Alemão » et surtout « o complexo da Penha », délaissant pour une fois la tristement célèbre Roucinha.
Et là, les choses ne se passent pas exactement comme prévu.
Malfrats et policiers se mettent à tirer dans tous les sens et semble-t-il sans grand discernement, et le premier bilan des victimes (64) serait en passe d’être doublé.
Dans une ville où les échanges de tirs sont quotidiens et les opérations ponctuelles fréquentes, même si de moindre envergure, on cherche à expliquer ce « dérapage ».
Ce que fait pour nous Ubiratan Angelo, ex-chef de la police militaire de Rio.
« Pour eux (les malfrats), ce territoire est le leur, pas celui de l’État. Les flics ne sont pas des intrus mais des envahisseurs venus tenir un siège qu’il faut impérativement briser. La police n’est qu’une faction rivale qu’il faut combattre au même titre que les autres. La perte du territoire signifie que d’autres prendront leur place, ce qui, sur le plan de l’honneur comme de la rentabilité, leur est insupportable.
En outre, ils disposent d’un équipement impressionnant : armes de guerre, drones bombardiers, en plus d’une connaissance parfaite du terrain. À force d’entraînement, certains d’entre eux sont de vrais tireurs d’élite. Ils n’ont pas non plus peur de perdre la vie.
Le plus triste, c’est que sur le plan politique l’opération sera considérée comme une réussite, alors que pour les populations pauvres vivant dans ces communautés, le quotidien sera encore plus dur ».
À part ça, sur le plan administratif, comment peut-on gérer ce qui, pour le moins, peut être qualifié de « bavure », vu qu’au moins quatre policiers y ont laissé la vie ?
Ben, c'est simple, pour le gouverneur, du Parti Libéral (celui de Bolsonaro), c’est parce que l’État fédéral n’a pas fourni l’aide nécessaire, ce à quoi Brasilia rétorque que c’est parce que rien ne leur a été demandé.
Là, on se rapproche un peu de notre culture.
Jacques Vinent