La France est-elle proche d’une révolution ?

LA FRANCE LIBÉRÉE

La France tourne à la parodie d'elle-même. C'est un des effets inattendus de la crise. Nous rejouons les drames de notre histoire dans une version tragique, et pathétique. En étant incapables ne serait-ce que d'imiter correctement ceux qui, dans des situations comparables ou parfois bien pires, ont sauvé le pays. Et si, à force d'oublier notre histoire, nous étions incapables de la rejouer ?

François Bayrou n'avait pas tous les mérites, mais il était cultivé. Ça n'est pas rien et, surtout, c'est rare. Auteur d'une biographie sur Henri IV, il a fait référence au roi de Navarre dès les débuts de sa nomination. Il a ensuite exprimé son admiration pour Pierre Mendès France, qui avait lui aussi gouverné la France durant neuf mois, entre les feux d'un Parlement dissipé. Ces comparaisons sont bien flatteuses, mais après tout, il a eu le mérite de les faire. Comme le répétait Winston Churchill, l'histoire est la seule matière qui enseigne quelque chose de la politique. Connaître celle de son pays n'est donc pas inutile.

Comme la France des années 1780

L'élocution de François Bayrou n'était pas flamboyante, mais son vocabulaire était précis, son français, parfait, sa syntaxe, irréprochable. Bref, il y avait en Bayrou quelque chose de cette notabilité française, parfois trop assurée certes, mais décente, sobre. Un genre suranné, il est vrai, mais qui n'était pas pour déplaire dans une époque où les bateleurs règnent en maître à l'Assemblée. Pour autant, nous avons assisté à une parodie. Une parodie d'Henri IV, d'abord, qui était parvenu, disons-le vite, à apaiser une France meurtrie par des guerres de religion, où des voisins, des amis, parfois des membres d'une même famille se sont littéralement entretués.

La stratégie de François Bayrou, celle de l'apaisement, de la discussion et de l'écoute, a échoué, ce qui n'est pas si grave, mais elle n'a surtout pas été comprise. Comment l'expliquer ? Après tout, y avait-il mieux à faire au regard des circonstances ? Le Premier ministre a confondu le levier et l'obstacle. Quand il disait « consensus », les Français répondaient « action ». La politique du compromis aurait pu fonctionner à condition de produire des effets. Ce qui n'a pas été le cas.

La France des années 2020 ressemble à celle des années 1780, neuf avant le début de la Révolution française. La dette contraint alors la monarchie dans de telles proportions qu'elle n'a plus de marge de man?uvre. Les dépenses du roi sont extravagantes. Et Necker, ce banquier qui passait pour un magicien en Europe, ne parviendra pas à convaincre Versailles des réformes nécessaires. Comme le rappelle l'historien Benoît Carré dans ses travaux passionnants, la monarchie, tout en ayant conscience des difficultés budgétaires, ne se rendait pas compte de l'étendue de la catastrophe.

Inefficacité de l'État

Par exemple, elle était convaincue que l'intégralité des pensions reversées, grandes et petites, représentait un peu plus de 10 millions de livres. Or, tout compte fait, elles représentaient la somme extravagante de 28 millions. Ce montant sera rendu public dans un texte publié par Necker en 1781, « Le compte rendu au roi ». La publication des comptes de la nation rencontre un succès important, mais ce genre de chiffre sur les dépenses de la couronne a suscité un malaise général. Aux yeux de l'opinion, c'était une preuve accablante du gaspillage de l'argent public.

Ça n'était d'ailleurs pas totalement faux non plus. La révolution se produit, sans pour autant régler le problème de la dette. Le dernier défaut de paiement de la France date du Directoire. Ce qui prouve qu'un bouleversement d'ordre politique peut advenir sans qu'il résolve, pour autant, une crise économique. Si François Bayrou a eu raison d'alerter l'opinion sur le péril du surendettement, il s'est montré bien téméraire en associant son avenir politique à celui de l'assainissement des finances publiques.

Pour le dire simplement : il y avait d'autres façons d'emporter l'opinion. Le climat insurrectionnel s'explique par le pouvoir d'achat, certes, mais pas seulement. L'absence d'oxygène dans cette démocratie n'est pas pour rien dans la colère. L'inefficacité de l'État y est pour beaucoup. Il aurait suffi, à ce propos par exemple, de se montrer compréhensif.

Bref, François Bayrou aurait pu faire de la politique en étant avec les Français. Dans le sens le plus noble du terme. Nul ne lui demandait de résoudre une crise de la dette en moins d'un an. L'Ancien Régime n'est pas mort de la dette, mais de son incapacité à agir sur les symboles, à raviver un lien disparu entre le gouvernement et la France, à redonner de la vigueur à une légitimité abîmée. Sommes-nous confrontés à des défis différents ?

Arthur Chevallier

Date de dernière mise à jour : 09/09/2025

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