
Le 1er septembre 1870, Sedan devient le théâtre d’un drame qui scelle le destin du Second Empire. Ce jour-là, l’armée française, commandée par le maréchal Mac-Mahon et accompagnée de l’empereur Napoléon III lui-même, se retrouve encerclée par les troupes prussiennes et leurs alliés allemands. L’issue est tragique : plus de 103.000 soldats français sont faits prisonniers, la capture d’un empereur malade humilie la France et, quelques jours plus tard, la Troisième République est proclamée.
La guerre franco-prussienne
La guerre franco-prussienne éclate en juillet 1870, à la suite d’une montée des tensions diplomatiques autour de la question mineure de la succession au trône d’Espagne. Le chancelier prussien Otto von Bismarck exploite habilement la susceptibilité française et pousse Napoléon III à lui déclarer la guerre, espérant ainsi provoquer un conflit qui fédérerait les États allemands autour de Berlin.
La France s’engage alors dans la guerre, persuadée de pouvoir compter sur la supériorité de son armée, composée d’environ 270.000 hommes et héritière du prestige napoléonien. Cependant, les illusions tombent rapidement : l’organisation est défaillante, la logistique chaotique et l’artillerie française se révèle inférieure aux redoutables canons Krupp. En face, la Prusse de Guillaume Ier et Bismarck mobilise une armée moderne, bien structurée et comptant environ 400.000 soldats
Dès août, les revers s’accumulent. À Wissembourg, Froeschwiller puis Gravelotte, l’armée française est repoussée. Une partie de ses forces, sous les ordres du maréchal Bazaine, est enfermée dans Metz. Napoléon III, affaibli mais toujours présent, décide alors de rejoindre l’armée de Mac-Mahon pour tenter une manœuvre de dégagement.
Sedan, l’étau se referme
Le 30 août, les troupes françaises sont surprises à Beaumont et rejetées en désordre vers Sedan. Le 31 août, les Bavarois s’emparent de Bazeilles après de violents combats de rue. La nasse est ainsi en train de se refermer : les armées prussiennes et allemandes encerclent la place.
Napoléon III, atteint depuis des années de douloureux calculs rénaux, est diminué et fiévreux. Son état de santé altère sa lucidité. Pourtant, refusant de se retirer, il choisit de rester avec ses soldats, comme s’il cherchait à partager leur sort, quitte à précipiter le sien et abréger ses souffrances.
À l’aube du 1er septembre, le fracas des canons Krupp ouvre la bataille. Les Bavarois attaquent de nouveau Bazeilles, où la Division Bleue française résiste héroïquement, maison par maison. Mais l’ennemi est trop nombreux et la ville tombe dans la matinée.
Vers 7 heures, le maréchal Mac-Mahon est grièvement blessé. Le général Ducrot prend le commandement et ordonne une retraite vers Mézières, seule échappatoire possible. Mais ce repli est contrecarré par le général Wimpffen, fraîchement nommé, qui exige une offensive. Cet aller-retour d’ordres plonge l’armée dans la confusion.
Napoléon III, témoin de ce chaos, demeure physiquement diminué. Selon des témoins, ses traits sont tirés, ses gestes hésitants. Pourtant, il pousse à lancer des attaques presque suicidaires, comme s’il espérait trouver la mort au milieu de ses troupes. Les charges de cavalerie du général Margueritte, l’un des plus brillants officiers français, en témoignent. Malheureusement, malgré leur bravoure, chacune de ces attaques se brise contre le feu meurtrier de l’artillerie allemande. Margueritte lui-même est blessé mortellement. Voyant le courage de ces hommes, Guillaume Ier aurait même déclaré : « Ach die tapferen Leute ! » (« Ah, les braves gens ! »).
La fin d’un empire et la naissance d’une république
L’artillerie allemande, installée sur les hauteurs, écrase ensuite Sedan sous un déluge d’obus. Les canons français, dépassés en portée et en cadence, ne peuvent répondre. La ville est bombardée sans relâche, les lignes disloquées et les pertes sont énormes.
En fin de journée, Napoléon III, conscient de l’impossibilité de poursuivre la lutte et hanté par le massacre de ses hommes, accepte l’inéluctable. Le soir du 1er septembre, il fait envoyer à son adversaire un message annonçant ses volontés : « Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée entre vos mains. » Le lendemain, il se rend personnellement au roi de Prusse Guillaume Ier et à Bismarck. L’empereur français, désormais prisonnier, réussit à envoyer un dernier message à son épouse, l’impératrice Eugénie : « Grand désastre, l’armée est défaite et captive, moi-même je suis prisonnier. »
La capitulation de Sedan entraîne aussitôt l’effondrement du régime impérial. À Paris, la nouvelle provoque une explosion populaire. Le 4 septembre 1870, la Troisième République est proclamée à l’hôtel de ville. En Allemagne, désormais, la victoire sera célébrée chaque année comme le Sedantag, jour de gloire nationale, jusqu’à la Première Guerre mondiale. En France, Sedan reste le symbole d’une humiliation, comparable à un Austerlitz à l’envers, qui nourrira le sentiment de revanche et préparera les esprits à la terrible Première Guerre mondiale.
Eric de Mascureau